Les installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) peuvent donner lieu à trois régimes procéduraux différents (I.A.), avec, au moins pour les autorisations environnementales, un régime contentieux, prévu l’article L. 181-18 du code de l’environnement, devenu fort souple (I.B.).
Or, le Conseil d’Etat vient de rendre un important avis contentieux, publié en intégral au recueil Lebon, dont il ressort :
- que le juge administratif doit si les conditions en sont réunies faire usage de ses pouvoirs de régularisation ou d’annulation partielle, dans le cas des recours contre une autorisation environnementale (II.A.)… même si cette obligation est à relativiser.
- que ce régime s’applique aussi aux recours formés contre certaines décisions d’enregistrement d’une ICPE (liées à une autorisation : « projet faisant l’objet d’une autorisation environnementale ou d’une évaluation environnementale donnant lieu à une autorisation » ; II.B.).
- qu’en revanche, pour les autres cas de décisions d’enregistrement … le juge a la faculté, et non l’obligation, d’user des pouvoirs qui lui sont reconnus par le régime de l’article L. 181-18 du code de l’environnement(II.C.).
I. Un régime rénové qui attendait son mode d’emploi jurisprudentiel
I.A. Survol rapide des procédures ICPE
Les installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) peuvent donner lieu à trois régimes procéduraux différents :
- Le régime de déclaration, le plus léger (D ou DC)
- Le régime d’enregistrement, dit « E » (autorisation simplifiée ; risques connus pouvant être encadrés par des prescriptions génériques sauf impact fort).
- Le régime d’autorisation (A)
Ou comme le résume le Conseil d’Etat dans cette nouvelle décision :
« En application des articles L. 511-2 et L. 512-7 du code de l’environnement, les installations classées pour la protection de l’environnement sont soumises à un régime d’autorisation, d’autorisation simplifiée, sous la dénomination d’enregistrement, ou de déclaration en fonction de leur inscription dans les rubriques correspondantes de la nomenclature des installations classées établie par décret, et suivant la gravité des dangers et des inconvénients que peut présenter leur exploitation pour les intérêts mentionnés à l’article L. 511-1 du même code.»
Voir la nomenclature : https://aida.ineris.fr/thematiques/nomenclature-icpe
Voir aussi une page de vulgarisation fort bien faite : https://entreprendre.service-public.fr/vosdroits/F33414
I.B. Les larges souplesses permises par l’article L. 181-18 du code de l’environnement, une nouvelle fois rénovées en mars 2023
L’article L. 181-18 du Code de l’environnement permet au juge, saisi de conclusions dirigées contre une autorisation environnementale, de prendre diverses mesures permettant la régularisation de ladite autorisation ou une reprise de l’instruction à la phase ou sur la partie qui a été entachée d’irrégularité.
Voir :
- Le CE donne un mode d’emploi détaillé des contentieux des autorisations environnementales (avis contentieux en date du 22 mars 2018, n°425852)
- Autorisations environnementales : plus régularisateur que le CE, désormais, y’a pas (CE, 27 septembre 2018, n° 420119, à publier au rec)
- Autorisation environnementale : quel sort réserver aux contentieux engagés avant l’ordonnance de 2017 ? (CE, 26 juillet 2018, n°416831, à publier au rec.)
- ICPE : le TA de Lille admet une annulation partielle n’imposant pas de revenir à la case départ de la procédure
- Autorisation environnementale, information et participation du public… ratification des ordonnances du 3 août 2016 et réforme législative (loi 2018-148 du 2 mars 2018 )
- Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur l’autorisation environnementale sans oser le demander
- La régularisation d’une autorisation environnementale peut être accordée par le juge… sans avoir été demandée : CE, 11 mars 2020, n° 423164 et 423165, à publier aux tables du rec.
- Rafale de textes sur l’autorisation environnementale au JO de ce matin : importante réforme des ICPE et des IOTA
- Annulation d’une autorisation environnementale puis reprise de la procédure : quels peuvent être les moyens du requérant, ensuite, contre les actes nouvellement adoptés ? (CAA Bordeaux, 10 mars 2020, n° 19BX00337)
- Régularisation d’une autorisation environnementale : attaquer le sursis à exécution ne suffit pas. Encore faut-il, pour le requérant, attaquer ensuite la décision du juge actant de la légalité de l’autorisation ainsi régularisée…
- Autorisation environnementale : précisions sur le contentieux des refus de régularisation d’un vice de procédure (CAA Bordeaux, 29 décembre 2020, 17BX02824).
- etc.
Reste que cela pose un problème quant aux règles applicables au cas par cas, s’agissant notamment d’un droit qui évolue beaucoup et souvent…
NB : en cas de différence entre le droit à la date des faits et à la date où statue le juge, voir : Conseil d’État, 9 août 2023, n° 455196, aux tables du recueil Lebon (v voir ici cette décision et notre article).
La dernière mouture de cet article L. 181-18 du Code de l’environnement est issue de la fameuse « loi EnR» de mars 2023 :
-
loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables (NOR : ENER2223572L)
Voir à ce sujet :
- Survol de la loi EnR n° 2023-175 du 10 mars 2023
- ainsi que : Eolien, photovoltaïque : blocages et déblocages de la loi EnR 2023-175 du 10 mars 2023 [VIDEO et article]
L’intention du législateur, à l’article 23 de cette loi, apparaît nettement : glisser de la faculté à l’obligation de régulariser dans certains cas si les conditions prévues se trouvent réunies à cet effet :
Au point de conduire à cette version, à ce jour, de l’article L. 181-18 de ce code :
« I.-Le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre une autorisation environnementale, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, même après l’achèvement des travaux :
1° Qu’un vice n’affecte qu’une phase de l’instruction de la demande d’autorisation environnementale, ou une partie de cette autorisation, limite à cette phase ou à cette partie la portée de l’annulation qu’il prononce et demande à l’autorité administrative compétente de reprendre l’instruction à la phase ou sur la partie qui a été entachée d’irrégularité ;
2° Qu’un vice entraînant l’illégalité de cet acte est susceptible d’être régularisé, sursoit à statuer, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, jusqu’à l’expiration du délai qu’il fixe pour cette régularisation. Si une mesure de régularisation est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations.
« Le refus par le juge de faire droit à une demande d’annulation partielle ou de sursis à statuer est motivé.
« II.-En cas d’annulation ou de sursis à statuer affectant une partie seulement de l’autorisation environnementale, le juge détermine s’il y a lieu de suspendre l’exécution des parties de l’autorisation non viciées. »
II. Les apports de l’avis contentieux du 10 novembre 2023
Par un avis contentieux, le Conseil d’Etat vient de fournir une série, importante, de précisions.
II.A. Le juge administratif DOIT si les conditions en sont réunies faire usage de ses pouvoirs de régularisation ou d’annulation partielle, dans le cas des recours contre une autorisation environnementale. Mais cette obligation est à RELATIVISER
Le juge commence par rappeler que dans ce nouveau régime, il DOIT faire usage des pouvoirs dont il est investi si les conditions suivantes se trouvent réunies :
- il s’agit d’un recours contre une autorisation
- le ou les vices dont est entachée cette autorisation sont :
- SOIT « susceptibles d’être régularisés »,
- SOIT « n’affectent qu’une partie de la décision ou une phase seulement de sa procédure d’instruction »
- les autres moyens dont le juge est saisi ne sont pas fondés
En ce cas, le juge est tenu de faire usage des pouvoirs prévus par cet article L. 181-18 du code de l’environnement, avec une alternative mais, qui là encore, encadre l’action du juge :
- soit le juge DOIT surseoir « à statuer pour permettre la régularisation devant lui de l’autorisation environnementale attaquée lorsque le ou les vices dont elle est entachée sont susceptibles d’être régularisés »,
- soit le juge DOIT limiter « la portée ou les effets de l’annulation qu’il prononce si le ou les vices qu’il retient n’affectent qu’une partie de la décision ou une phase seulement de sa procédure d’instruction ».
Enfin le Conseil d’Etat rappelle que le II de cet article PERMET au juge (qui sur ce point n’est plus en obligation de faire usage de ses pouvoirs) de prononcer la suspension de l’exécution de parties non viciées de l’autorisation environnementale.
D’où cet extrait de ce futur résumé des tables tel que préfiguré par la base Ariane :
« L’article L. 181-18 du code de l’environnement précise les pouvoirs dont dispose le juge de l’autorisation environnementale. D’une part, le I prévoit que lorsqu’il est saisi de conclusions contre cette autorisation, le juge, après avoir constaté que les autres moyens dont il est saisi ne sont pas fondés, soit sursoit à statuer pour permettre la régularisation devant lui de l’autorisation environnementale attaquée lorsque le ou les vices dont elle est entachée sont susceptibles d’être régularisés, soit limite la portée ou les effets de l’annulation qu’il prononce si le ou les vices qu’il retient n’affectent qu’une partie de la décision ou une phase seulement de sa procédure d’instruction. D’autre part, le II permet au juge de prononcer la suspension de l’exécution de parties non viciées de l’autorisation environnementale. »
A noter cet extrait des abstrats encore plus clairs (même s’ils portent sur l’hypothèse du II.B. ci-dessous) :
« Application de l’article L. 181-18 du code de l’environnement dans sa rédaction postérieure à la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 – Conséquence – Obligation, pour le juge, de faire usage de ses pouvoirs de régularisation et d’annulation partielle »
Mais relativisons tout de même cette obligation car, même si celle-ci résulte de la loi de mars 2023 précitée :
- reste la possibilité pour le juge de ne pas y faire droit via la formation de l’article L. 181-18 du code de l’environnement, dont il faut rappeler la formulation : « Le refus par le juge de faire droit à une demande d’annulation partielle ou de sursis à statuer est motivé. »
MAIS cette formulation est ambigüe.
Permet-elle de ne pas y faire droit via une décision motivée, ou ne le permet-elle pas et la mention d’une décision motivée viserait alors à ce que le juge de cassation puisse aisément s’assurer que le juge du fond aie été contraint de s’expliquer sur le fait que les conditions prévues par cet article ne seraient pas réunies en l’espèce. Ce débat n’est pas totalement tranché à notre connaissance et il est à noter que dans la nouvelle décision, le Conseil d’Etat ne clarifie pas ce point. - il y a souvent la possibilité de trouver d’autres moyens pour lesquels de réelles marges de manoeuvre d’appréciation du juge existent
- les critères susmentionnés de régularisation ou d’annulation partielle ont eux aussi leur part d’appréciation subjective.
II.B. Ce régime s’applique aussi aux recours formés contre certaines décisions d’enregistrement d’une ICPE (liées à une autorisation : « projet faisant l’objet d’une autorisation environnementale ou d’une évaluation environnementale donnant lieu à une autorisation »)
Le Conseil d’Etat commence par être d’avis que :
« 5. Les dispositions de l’article L. 181-18 du code de l’environnement, qui concernent les pouvoirs du juge de l’autorisation environnementale, sont applicables aux recours formés contre une décision d’enregistrement d’une installation classée dans le cas où le projet fait l’objet, en application du 7° du paragraphe I de l’article L. 181-2 du code de l’environnement, d’une autorisation environnementale tenant lieu d’enregistrement ou s’il est soumis à évaluation environnementale donnant lieu à une autorisation du préfet en application du troisième alinéa du II de l’article L. 122-1-1 du même code. »
Les cas de procédure d’enregistrement du 7° du I. de l’article L. 181-2 du Code de l’environnement portent sur les cas où on recourt à la procédure, assez souple, de l’enregistrement, mais dans le cadre d’un régime d’autorisation environnementale.
Citons des extraits de cet article :
« I.-L’autorisation environnementale tient lieu, y compris pour l’application des autres législations, des autorisations, enregistrements, déclarations, absences d’opposition, approbations et agréments suivants, lorsque le projet d’activités, installations, ouvrages et travaux relevant de l’article L. 181-1 y est soumis ou les nécessite :
[…]
« 7° Récépissé de déclaration ou enregistrement d’installations mentionnées aux articles L. 512-7 ou L. 512-8, à l’exception des déclarations que le pétitionnaire indique vouloir effectuer de façon distincte de la procédure d’autorisation environnementale, ou arrêté de prescriptions applicable aux installations objet de la déclaration ou de l’enregistrement ; »
Bref, si l’ICPE a donné lieu à autorisation dans ce cadre… par simplicité et regroupement des cadres procéduraux, on applique logiquement le régime des autorisations.
Logique.
II.C. Mais pour les autres cas de décisions d’enregistrement … le juge a la faculté, et non l’obligation, d’user des pouvoirs qui lui sont reconnus par le régime de l’article L. 181-18 du code de l’environnement.
Mais là s’arrêtent les cas d’obligation pour le juge de respecter à la lettre la ligne de conduite imposée par le législateur en termes de régularisation ou d’annulation partielle, prévue par cet article L. 181-18 du Code de l’environnement :
« Dans les autres cas où le juge administratif est saisi de conclusions dirigées contre une décision relative à l’enregistrement d’une installation classée, y compris si la demande d’enregistrement a été, en application de l’article L. 512-7-2 du code de l’environnement, instruite selon les règles de procédure prévues pour les autorisations environnementales, les dispositions de l’article L. 181-18 du code de l’environnement ne sont pas applicables. »
Ce qui ne lui interdit pas de le faire moyennant contradictoire :
« Cependant, en vertu des pouvoirs qu’il tient de son office de juge de plein contentieux des installations classées pour la protection de l’environnement, le juge administratif, s’il estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu’une illégalité entachant l’élaboration ou la modification de cet acte est susceptible d’être régularisée, peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu’à l’expiration du délai qu’il fixe pour cette régularisation. Si la régularisation intervient dans le délai fixé, elle est notifiée au juge, qui statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. Le juge peut préciser, par sa décision avant dire droit, les modalités de cette régularisation, qui implique l’intervention d’une décision corrigeant le vice dont est entachée la décision attaquée. En outre, le juge peut limiter la portée ou les effets de l’annulation qu’il prononce si le ou les vices qu’il retient n’affectent qu’une partie de la décision. Enfin, lorsque l’annulation n’affecte qu’une partie seulement de la décision, le juge administratif peut déterminer s’il y a lieu de suspendre l’exécution des parties non viciées de cette décision. Et lorsqu’il prononce l’annulation, totale ou partielle, d’une décision relative à une installation classée soumise à enregistrement, il a toujours la faculté, au titre de son office de juge de plein contentieux, d’autoriser lui-même, à titre provisoire, et le cas échéant sous réserve de prescriptions et pour un délai qu’il détermine, la poursuite de l’exploitation de l’installation en cause, dans l’attente de la régularisation de sa situation par l’exploitant. »
Sources :
CE, avis contentieux, 10 novembre 2023, n° 474431, au recueil Lebon
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.