Le favoritisme est une infraction fort large en termes de personnes et de manquements susceptibles de poursuites, avec des présomptions redoutables (I).
Cette sévérité rejoint celle du juge administratif, désormais, estimant notamment qu’un collaborateur de la personne publique trop proche d’un des soumissionnaires peut par sa présence, même non officiellement décisionnelle, entraîner la censure du contrat (II).
Mélangez le tout et l’on obtient sans surprise une censure par la Chambre criminelle de la Cour de cassation (III) des agents des acheteurs publics qui manquent de neutralité pour tel ou tel soumissionnaire (dans des circonstances inusuelles cela dit).
I. Une infraction fort large en termes de personnes et de manquements susceptibles de poursuites, avec des présomptions redoutables
Le droit pénal est d’interprétation stricte et ses sanctions frappent donc des agissement précisément définis, en général. A telle enseigne par exemple que pour distinguer décideurs corrompus, d’un côté, et ceux qui étaient des conseilleurs corrompus, de l’autre, le code pénal a bien créé deux infractions distinctes (la corruption, d’un côté, et le trafic d’influence, d’autre part).
Mais les « influenceurs » (pas ceux de Dubaï ; ceux de nos cabinets et services…) n’ont pas leur infraction spécifique quand le délit principal, en aval, commis, est celui de favoritisme de l’article 432-14 du Code pénal.
Oui mais… mais cette infraction :
- est très largement définie quant aux actions ainsi censurées et, surtout, lorsqu’il s’agit de définir les personnes susceptibles de commettre ce délit :
- s’applique par ailleurs à un grand nombre de contrats :
- aux contrats de feu l’ordonnance de 2005 (ce qui est une confirmation : Cass. crim., 17 février 2016, n° 15-85.363 ; voir : Les marchés de l’ordonnance de 2005 peuvent-ils donner lieu à la commission du délit de favoritisme ? ) ; le juge a posé que cela s’appliquait aussi à d’autres textes similaires imposant des règles de concurrence et de publicité (voir Cass. crim., 20 mars 2019, 17-81.975) ;
- aux procédures auxquelles on s’assujettit librement (ce qui était déjà net en matière de marchés publics classiques : Cass. 15 mai 2008, n° 07-88.369) ;
- aux procédures même non formalisées… dès lors qu’il y a violation des grands principes de la commande publique, schématiquement. Ce point est important. La Cour de cassation avait certes déjà estimé possible de constituer cette infraction en dessous des seuils de mise en concurrence formalisée (Cass. crim., 14 février 2007, n° 06-81924 ; voir aussi circulaire Chancellerie, 4 mars 2002 n° 2002-06 G3/04-03-2002, nor JUSDO0230050C, BOJ n° 86) mais cet arrêt avait porté sur des faits antérieurs à la notion de procédure adaptée…
Rappel : s’appliquent (sauf dérogation textuelle) les grands principes de la commande publique, dès le premier euro, tant en droit communautaire (CJCE, 7 décembre 2000, Telaustria et Telefonadress, affaire C-324/98 ; CJCE 3 décembre 2001, Bent Mousten Vestergaard, C-59/00) qu’en droit interne (CE, avis, 29 juillet 2002, Société MAJ blanchisseries de Pantin, req. n° 246921 ; CE, 30 janvier 2009, ANPE, req. n° 290236).
- frappe vite les receleurs de cette infraction (dès que l’on a connaissance de l’existence de cette infraction, avec des présomptions de connaissance qui viennent très vite, schématiquement). Avec des résultats complexes (voir par exemple Cass. crim., 4 mars 2020, 19-83.446, 19-83446, Publié au bulletin).
- peut frapper aussi aussi les complices par négligence (qui en droit est une infraction volontaire et non de négligence, mais le juge a bâti une sorte de présomption de caractère volontaire consistant soit à fermer les yeux, soit à prendre un risque de commettre cette infraction à ne pas vouloir contrôler ses mandataires ou subordonnés) : voir Favoritisme : fermer les yeux, c’est risquer de les rouvrir en prison . Une telle complicité s’avère ainsi vite présumée… La connaissance que le juge attribue aux décideurs publics se mesurant au nombre d’années de pratique, à la formation initiale, au caractère plus ou moins débordé du service à tel moment… et au nombre d’années de mandat pour les élus ce qui pourrait faire sourire si le sujet n’était pas aussi sérieux, tant nous connaissons tous des élus nouveaux connaisseurs en marchés publics et des maires qui après leur 4e ou 5e mandat continuent de n’y rien comprendre…
Sources : pour une pétition de principe, voir Cour de cassation, criminelle, Chambre criminelle, 23 juillet 2014, 14-90.024. Exemples frappants : CA Rennes 21/11/96 ; CA Grenoble 27/8/97 ; CA Colmar 12/12/97 et 14/11/97 ; TGI Rennes 18/6/98… toutes affaires citées in Circulaire du Garde des Sceaux, n° Crim-98.4/G3, du 2 juillet 1998.
Cette responsabilité du complice par abstention un peu vite présumée délibérée, a été forgée par des jurisprudences fondées sur le recours à des professionnels internes ou externes, notamment en matière de tenues ou de certification des comptes (cf. p. ex. Cass. crim., 31 janvier 2007, n° 02-85.809).
L’adaptation de cette jurisprudence au monde territorial (notamment à celui des élus locaux), reste discutable. Mais cela a été vivement confirmé par Cass. crim., 29 janvier 2020, n°19-82942.
Ceci dit, une telle complicité n’est pas automatique (voir par analogie avec l’article 432-12 : https://blog.landot-avocats.net/2022/07/20/prise-illegale-dinterets-fermer-les-yeux-ne-conduit-pas-pas-toujours-a-les-rouvrir-en-prison/: Cour d’appel d’Agen, 23 juin 2022, n° 275/2022).
II. Cette sévérité rejoint celle du juge administratif, désormais, estimant notamment qu’un collaborateur de la personne publique trop proche d’un des soumissionnaires peut par sa présence, même non officiellement décisionnelle, entraîner la censure du contrat
Combinez tout ceci avec le fait que le juge, administratif cette fois, a pu estimer qu’un conflit d’intérêt (très largement entendu) entraîne l’annulation du contrat même si personne n’a été favorisé… avec une opposition d’intérêts au sens du code de la commande publique très large qui a pu être constituée par une personne n’ayant pas réellement « l’administration de l’affaire » (voir CE, 25 novembre 2021, Corsica Networks a c/ collectivité de Corse et NXO France, n° 454466, à publier au rec. Voir ici cette décision et notre article).
Ce raisonnement repose alors que l’opposition d’intérêts, proche de la prise illégale d’intérêts de l’article 432-12 du Code pénal, et non du favoritisme (art. 432-14 dudit code). Mais, appliquée à une procédure pour cause d’altération de l’impartialité de l’acheteur public, le moins qu’on puisse dire est que les problématiques s’entrechoquent, voire se confondent.
N.B. : Rappr., s’agissant de vices révélant une volonté de la personne publique de favoriser un candidat et ayant affecté gravement la légalité du choix du concessionnaire, CE, 15 mars 2019, Société anonyme gardéenne d’économie mixte, n° 413584, p. 63. Cf., sur le principe et les modalités de la réparation qui peut en résulter, CE, Section, 13 mai 1970, Monti c/ Commune de Ranspach, n° 74601, p. 322 ; CE, 18 juin 2003, Groupement d’entreprises solidaires ETPO Guadeloupe, Société Biwater et Société Aqua TP, n° 249630, T. pp. 865-909 ; CE, 8 février 2010, Commune de La Rochelle, n° 314075, p. 14 ; CE, 19 janvier 2015, Société Spie Est, n° 384653, T. pp. 760-872 ; CE, 2 décembre 2019, Groupement de coopération sanitaire du Nord-Ouest Touraine, n° 423936, T. pp. 838-1018.
Mais si le conseil est externe, via un bureau d’études on notera que le Conseil d’Etat refuse l’audace qui avait été celle de plusieurs TA à utiliser le référé secret des affaires pour empêcher les AMO à accéder aux offres des candidats, quand lesdits AMO s’avèrent trop, trop proches de certains des candidats (Conseil d’État, 10 février 2022, n° 456503, au rec. ; auparavant voir TA Montreuil, ord., 1er juin 2021, n° 2106741 ; TA de Nancy, ord., 26 oct. 2020, n° 2002619 ; cliquer ici pour voir ces affaires et un certain nombre d’autres dans l’article que nous avions alors rédigé au lendemain de cette décision du Conseil d’Etat que nous persistons à trouver d’une naïveté confondante).
III. Mélangez le tout et l’on obtient sans surprise une censure par la Chambre criminelle de la Cour de cassation des agents des acheteurs publics qui manquent de neutralité pour tel ou tel soumissionnaire (dans des circonstances inusuelles cela dit).
Aussi est-ce sans surprise que l’on voit la chambre criminelle de la Cour de cassation passer tout ceci au milk shake au point de censurer les conseilleurs « non neutres » au point d’influencer les décideurs et d’altérer la neutralité de leur jugement puisque :
- nous avons vu dans la définition de l’article 432-14 que les personnes sanctionnées peuvent être des subordonnés ou des mandataires (voir le texte même de cette infraction, partie soulignée ci-avant), voire, dans la jurisprudence (Cass. crim., 29 janvier 2020, n°19-82942, arrêté précité) être des mandats ou des supérieurs hiérarchiques négligents dans leurs contrôles
- les agissements sanctionnés s’avèrent fort larges avec des présomptions peu favorables aux personnes poursuivies.
Donc la formation suprême de nos juridictions pénales a posé que l’article 432-14 du code pénal n’exige pas que la personne poursuivie soit intervenue, en fait ou en droit, dans la procédure d’attribution d’une commande publique.
En l’espèce, en raison de ses connaissances techniques et du savoir-faire dont elle disposait à raison de son affectation au service de restauration scolaire de la commune, la prévenue bénéficiait de compétences et d’informations privilégiées lui ayant permis de procurer à une société candidate dans le cadre de l’attribution d’une délégation de service public et à son dirigeant un avantage injustifié de nature à porter atteinte au principe de liberté d’accès et d’égalité des candidats dans les marchés publics et les contrats de concession.
Justifie donc sa décision la cour d’appel qui, pour déclarer la prévenue coupable du délit d’atteinte à la liberté d’accès et à l’égalité des candidats dans les marchés publics, relève que, cumulant les fonctions de responsable du restaurant scolaire au sein de l’association qui exerçait antérieurement la délégation de service public, et les fonctions d’agent territorial en charge des missions de gestion et d’organisation de la restauration scolaire, elle disposait du pouvoir d’intervenir dans la procédure d’attribution de la délégation de service public au regard des multiples missions qu’elle assumait, de sa connaissance approfondie du fonctionnement de la restauration scolaire, du rôle qu’elle jouait tant au sein de la mairie que du groupement en charge de la délégation de service public pour la mise en oeuvre de la politique municipale de restauration scolaire et de l’expertise qu’elle apportait en la matière aux élus.
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