Une affaire corse embrouillée, portant sur un syndicat d’énergie à la riche vie juridique et juridictionnelle par ailleurs, conduit à une décision qui semble simple mais qui, en droit des syndicats mixtes ouverts (SMO), se révèle peut-être éclairante, si du moins on tente de prendre le temps de dissiper quelques ténèbres.
A la base, c’est l’histoire d’un DGS qui convoque à la place des élus… une illégalité évidente ? Attention… pas forcément en SMO (I).
Il y a bien illégalité en l’espèce, mais en raison de l’absence d’autorisation en l’espèce pour le SMO. Ce qui est intéressant et en tous cas concorde avec d’autres jurisprudences. Au total, il n’y avait pas légalement de délégation au DGS pour convoquer le comité mais peut-être, à lire ce jugement, eût-il été loisible aux statuts de prévoir autrement… justement parce que nous sommes en SMO (II).
Oui mais ce que le TA passe sous silence (solution implicite ?) c’est que la décision attaquée fût susceptible de recours. Là encore, cela soulève, mais implicitement une question intéressante en SMO (notamment pour tous les SMO qui utilisent la formulation par défaut de modification des statuts posée par l’article L. 5721-2-1 du CGCT , III), qui soit n’a pas été traitée, soit l’a été implicitement.
I. C’est l’histoire d’un DGS qui convoque à la place des élus… une illégalité évidente ? Attention… pas forcément en SMO
Un DGS de syndicat mixte ouvert convoque un comité syndical pour une modification des statuts et cette délibération est annulée par un TA car le comité a été convoqué par une autorité incompétente pour ce faire. C’est simple, clair. Fermez le ban ?
Non pas tout de suite car cette histoire est moins simple qu’il n’y paraît en droit.
II. Il y a bien illégalité en l’espèce, mais en raison de l’absence d’autorisation en l’espèce pour le SMO. Ce qui est intéressant et en tous cas concorde avec d’autres jurisprudences. Au total, il n’y avait pas légalement de délégation au DGS pour convoquer le comité mais peut-être, à lire ce jugement, eût-il été loisible aux statuts de prévoir autrement… justement parce que nous sommes en SMO
Le TA n’exclut pas par principe qu’un DGS puisse convoquer le comité syndical dans le cas d’un syndicat mixte ouvert (SMO) des articles L. 5721-1 et suivants du CGCT. Car faute de texte dans le code, sur ce point, c’est aux statuts qu’il appartenait de fixer l’autorité ou les autorités susceptibles de convoquer ledit comité :
« 2. En l’absence de toute disposition législative ou réglementaire du code général des collectivités territoriales qui régirait, soit directement, soit par renvoi aux règles applicables aux collectivités territoriales les modalités de convocation du comité syndical d’un syndicat mixte régi par les articles L. 5721-1 à L. 5722-11 du code général des collectivités territoriales et associant des collectivités territoriales, des groupements de collectivités territoriales et d’autres personnes morales de droit public, il appartient à ce syndicat de fixer les règles applicables dans ses statuts. En l’espèce, l’article 4 du règlement intérieur du SDE2A prévoit que le président est tenu de convoquer le comité dans un délai maximum de trente jours quand la demande lui motivée lui en est faite, soit par le représentant de l’Etat dans le Département, soit par le tiers au moins de ses membres en exercice. Aux termes de l’article 5 de ce règlement : « Le Président, ou à défaut en cas d’empêchement ou d’absence, le vice-président désigné convoque le comité syndical par écrit au moins douze jours francs avant la séance prévue ». Il résulte de ces dispositions que, dès lors que le président sortant n’appartenait plus au comité syndical et avait du reste autorisé, par arrêté en date du 24 juin 2021, le premier vice-président à convoquer et à présider le conseil syndical, il n’appartenait qu’à M. Ottavi, élu le 30 juillet 2020 en tant que « vice-président chargé de remplacer le président en cas de vacance », de convoquer le nouveau comité. Si M. Ottavi avait, par arrêté du 29 juin 2021, donné délégation de signature à M. Pierre-Paul Cesari, directeur général des services, pour convoquer le comité syndical, cette délégation ne trouve de fondement dans aucune habilitation textuelle. Il suit de là que les requérants sont fondés à soutenir que M. Cesari n’était pas compétent pour procéder à cette convocation.»
On aboutit donc au résultat auquel tous le monde local se serait attendu mais en passant par une ouverture possible à des règles dérogatoires dans les statuts (voir le règlement intérieur mais ce point est plus discutable) du SMO.
Cette précision du TA était-elle utile ? OUI elle était indispensable. Voir :
- Statuts de syndicats mixtes ouverts : attention à bien préciser les règles applicables par défaut, par exemple pour convoquer le comité syndical… Conseil d’État, 10ème – 9ème chambres réunies, 18/10/2018, 421197 . Citons un considérant de la décision alors rendue par le Conseil d’Etat :
- « En l’absence de toute disposition législative ou réglementaire du code général des collectivités territoriales qui régirait, soit directement, soit par renvoi aux règles applicables aux collectivités territoriales les modalités de convocation du comité syndical d’un syndicat mixte régi par les articles L. 5721-1 à L. 5722-11 du code général des collectivités territoriales et associant des collectivités territoriales, des groupements de collectivités territoriales et d’autres personnes morales de droit public, il appartient à ce syndicat de fixer les règles applicables dans ses statuts. En l’espèce, l’article 6 des statuts du SMAGA, approuvés par arrêté préfectoral le 7 octobre 2014, prévoit que le comité syndical se réunit au moins une fois par semestre sur convocation de son président ou à l’initiative de la majorité de ses membres. Il résulte de ces dispositions que, dès lors que la commune dont le président sortant était délégué s’est, en application de l’article L. 5216-7 du code général des collectivités territoriales, retirée du syndicat mixte au 1er janvier 2017 à la faveur de la création de la communauté d’agglomération du Grand Belfort, il n’appartenait, en l’absence de président, qu’à la majorité des membres du comité syndical, le cas échéant à l’invitation du préfet, de convoquer le nouveau comité. Il suit de là que Mme F…, 7ème vice-présidente sortante, n’était pas compétente pour procéder à cette convocation.»
C’était aussi aux statuts qu’il incombait de fixer les membres susceptibles d’être désignés pour siéger au comité syndical d’un tel SMO, comme l’avait posé le Conseil d’Etat dans l’arrêt du 27 juillet 2005, n° 274315, mentionné aux tables du recueil Lebon… avant que sur ce point précis la loi (NOTRe) de 2015 ne change la formulation de l’article L. 5721-2 du CGCT.
Ceci dit, des statuts de SMO eussent-ils pu prévoir que le comité peut être convoqué par le DGS (seul ou, plus prudemment, par délégation) ou le juge nous inventerait-il un PGD selon lequel une convocation doit se faire par un élu… la question n’est pas totalement tranchée. Dans le cas d’espèce, en tous cas, prendre les élus du bureau par liste de suppléance eût été la solution évidente de sécurité juridique. Sans doute des histoires locales ont-elles du contraindre le DGS…
(vous)
— Youpi bravo et vive le TA, nous dis-tu donc cher Avocat mais était-il utile d’être si bavard pour autant ?
(moi)
— Attends, lecteur impatient. Car je veux ajouter un point et c’est en raison de celui-ci que je bavasse à ce propos. Lis donc la suite.
III. Ce que le TA passe sous silence (solution implicite ?) c’est que la décision attaquée fût susceptible de recours. Là encore, cela soulève, mais implicitement une question intéressante en SMO (notamment pour tous les SMO qui utilisent la formulation par défaut de modification des statuts posée par l’article L. 5721-2-1 du CGCT , III), qui soit n’a pas été traitée, soit l’a été implicitement.
En second lieu, en effet, le TA annule la délibération en cause.
Et là, force est de se demander si le juge a soit implicitement réglé un problème qui en droit n’est pas simple, soit (mais nous ne pouvons l’imaginer) estimé ne pas devoir soulever un moyen d’ordre public.
En effet, ce qui est annulé est une délibération de demande de modification des statuts. Or, en intercommunalité générale, de telles délibérations sont insusceptibles de recours (seul l’arrêté préfectoral qui s’en suit est attaquable).
Sauf que là encore la question de savoir si la même solution l’emporte en SMO n’est pas extrêmement claire et si ce point devait être soulevé, il eût du l’être par la défense, ou au pire par le juge lui-même si on estime qu’il s’agit là d’un moyen d’ordre public.
Revenons à notre sujet. L’acte était-il attaquable ou non ?
Tous les juristes ont appris un jour où l’autre, lors de leurs études, qu’on ne peut pas attaquer en Justice un acte qui ne décide rien (ou pas encore, sauf opérationnel complexe parfois), soit parce que ce n’est qu’un voeu, soit parce que ce n’est qu’un acte préparatoire (la vraie décision, qui elle est attaquable, venant ensuite).
Cette belle règle connaît quelques exceptions (notamment quand le requérant est le préfet, voir par exemple CE, 5 avril 2019, n° 418906), mais elle n’en est pas moins importante.
En droit de l’intercommunalité classique, hors SMO donc, lorsqu’on parle des arrêtés de projets, qui lancent les diverses procédures de création, de fusion, de prise de compétence, de retrait, etc. Ces actes ne sont pas en eux-mêmes attaquables. Voir : TA Orléans, Ord, 2 mai 2012, Sieur Pédard et autres, n°1201198; (CAA Douai, 2 novembre 2004, Mme Annick X, req. n° 03DA00631 ; CE, 27 octobre 1999, Syndicat départemental d’électrification d’Ille-et-Vilaine, req. n° 160469, CE, 3 juillet 1998, Société Sade, req. n° 154234)… voir en sens contraire l’étrange arrêt CAA de Marseille, 12 juin 2001, Ministère de l’Intérieur, n° 01MA00070, 01MA00094, 01MA00157, 01MA00178, 01MA00193). A ce sujet, voir par exemple TA Nancy, 5 décembre 2017, n° 1601532 et 1603672 :
- Le TA de Nancy ayant décidé de ne pas changer les recettes du droit de l’intercommunalité, Saint-Ail reste bien dans sa gousse intercommunale.
- Peut-on engager un contentieux contre un arrêté de projet de périmètre ? contre l’arrêté de SDCI ?
Cela dit, en ces domaines, parfois juge varie et fol qui s’y fie, comme le passage des avis des CDCI d’une catégorie à l’autre l’a illustré via l’arrêt du CE en date du 21 octobre 2016, CC du Val de Drôme, n° 390052 :
- Revirement de jurisprudence : le SDCi est attaquable en soi… mais ses vices ne peuvent plus être soulevés par voie d’exception.
- Une première décision, rendue hier, sur le niveau de contrôle du juge en matière de SDCI, depuis l’arrêt Val de Drôme. Et le message du juge est édifiant : Mesdames et Messieurs les Préfets, faites presque ce que vous voulez avec les SDCI, le Juge vous bénira a posteriori, sauf immense illégalité. Et encore…
De même les délibérations demandant, puis approuvant, la création d’une commune nouvelle ne sont que des actes préparatoires (un requérant doit s’en prendre à l’arrêté préfectoral ou interpréfectoral qui clôt la procédure…). Voir à titre d’illustration TA Orléans, 9 juin 2016, n° 1601267 puis TA Orléans, 4 février 2016, n° 1504130 :
Autres illustrations : l’AAPC est très nettement un acte préparatoire (au contraire des délibérations lançant les DSP). Voir par exemple : CE 17 février 2010, n° 325520 ; CE, 10 mai 1996, n° 162856 (par analogie) ; CE, 23 juin 1997, n° 167865… Voir récemment CE, 4 avril 2018, n° 414263 : L’AAPC n’est (bien sûr…) pas un acte attaquable en soi . Idem pour les opérations Coeur de ville, s’agissant d’une délibération qui dresse le bilan de sa concertation et en fixe le programme, ainsi que l’a jugé TA Grenoble, 28 novembre 2019, n°1700829 : Opérations Coeur de ville : une délibération qui dresse le bilan de sa concertation et en fixe le programme est-elle un acte attaquable devant le juge administratif ? Il en va de même, désormais, en matière d’urbanisme commercial, s’agissant des recours contre l’avis de la Commission nationale d’aménagement commercial (CE, 25 mars 2020, Société Le Parc du Béarn, req., n° 409675) : Urbanisme commercial : le recours contre l’avis de la Commission nationale d’aménagement commercial n’est plus possible… mais ce n’est pas si grave .Idem pour certaines délibérations de collectivités à propos des décisions de leurs SEML ou SPL : CAA Bordeaux, 10 mai 2021, req. 19BX00138
Nous avons 2 solutions si fort de ces éléments nous revenons à notre syndicat corse :
- soit à la lecture des statuts on découvre que les modifications statutaires donnent lieu à délibération par le comité, puis à un arrêté préfectoral formulé de telle sorte que le préfet aurait à ce stade un pouvoir discrétionnaire… et en ce cas on ne s’explique pas que le recours ait pu prospérer en l’espèce (il aurait du y avoir irrecevabilité, sauf à estimer que ce n’est pas un moyen d’ordre public)
- soit à la lecture des statuts on découvre que (ce qui est la solution par défaut prévue par le code) la modification des statuts se fait par le comité syndical (par exemple à la majorité des deux tiers ce qui est la solution, encore une fois, par défaut posée par l’article L. 5721-2-1 du CGCT sauf mention contraire des statuts)… et dans ce cas le TA a implicitement posé que le vote du comité étant le seul acte décisoire (l’arrêté étant ensuite déclaratif), il était logique que l’acte attaquable fut la délibération du comité syndical. En rupture avec le droit de l’intercommunalité, mais en rupture logique. Auquel cas c’est logique, c’est normal… mais auquel cas cette décision qui n’a l’air de rien a une véritable portée juridique.
Le suspens est insoutenable. Oui je sais.
Si les statuts sont réellement encore sur ce point tels qu’ici :
… alors c’est que nous sommes dans le cas où les statuts du SMO (très très légers en l’espèce…) n’ont rien prévu et donc que s’appliquent les dispositions de l’article L. 5721-2-1 du CGCT… et donc que le TA a implicitement (pas de MOP sauf à dénier le caractère de MOP à ce moyen ?) estimé que c’était bien la délibération en cause qui modifiait les statuts, et non l’acte préfectoral ensuite (qui en ce cas serait donc non décisoire, plaçant le préfet en compétence liée !).
Bref, si le TA en ne soulevant pas de MOP a réellement pensé à tout cela (et nous ne pouvons lui faire l’injure d’imaginer l’inverse), alors cette décision est d’une plus grande importance que ce qu’il semble (à voir à hauteur d’appel si l’appelant pense à soulever ces moyens d’irrecevabilité susmentionnés ?).
D’où mon trop long bavardage qui fort heureusement pour tous, se clôt maintenant.
Source :
TA Bastia, 29 septembre 2022, M. OTTAVI et autres, n° 2101003
Voir aussi pour une étape précédente relative à ce même syndicat :
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