Une collectivité délibère à propos de l’évolution des statuts d’une SEML ou d’une SPL dont elle est actionnaire. Est-ce un acte attaquable en soi ?
Réponse de la CAA de Bordeaux, non sauf si le requérant est le préfet puisqu’il s’agit d’un acte préparatoire (II), ce qui est conforme aux canons de beauté de cette notion en contentieux adminsitratif (I).
Attention cependant au fait que certaines exceptions et limites à cette jurisprudence seront à avoir à l’esprit en ce domaine (III). En effet, d’autres actes de la collectivité actionnaire, à propos de sa SEML ou SPL, seront attaquables, d’une part, et le préfet reste un requérant possible même pour des délibérations telles que celles ayant donné lieu à l’affaire jugée par la CAA de Bordeaux, d’autre part.
I. Rappels de ce qu’est un acte, ou une mesure, préparatoire
Tous les juristes ont appris un jour où l’autre, lors de leurs études, que non… on ne peut pas attaquer en Justice un acte qui ne décide rien, soit parce que ce n’est qu’un voeu, soit parce que ce n’est qu’un acte préparatoire (la vraie décision, qui elle est attaquable, venant ensuite).
Cette belle règle connaît quelques exceptions (notamment quand le requérant est le préfet, voir par exemple CE, 5 avril 2019, n° 418906), mais elle n’en est pas moins importante.
Ainsi en contrats publics un AAPC est très nettement un acte préparatoire (au contraire des délibérations lançant les DSP). Voir par exemple : CE 17 février 2010, n° 325520 ; CE, 10 mai 1996, n° 162856 (par analogie) ; CE, 23 juin 1997, n° 167865… Voir récemment CE, 4 avril 2018, n° 414263 :
Idem en droit de l’intercommunalité lorsqu’on parle des arrêtés de projets, qui lancent les diverses procédures de création, de fusion, de prise de compétence, de retrait, etc. Ces actes ne sont pas en eux-mêmes attaquables. Voir : TA Orléans, Ord, 2 mai 2012, Sieur Pédard et autres, n°1201198; (CAA Douai, 2 novembre 2004, Mme Annick X, req. n° 03DA00631 ; CE, 27 octobre 1999, Syndicat départemental d’électrification d’Ille-et-Vilaine, req. n° 160469, CE, 3 juillet 1998, Société Sade, req. n° 154234)… voir en sens contraire l’étrange arrêt CAA de Marseille, 12 juin 2001, Ministère de l’Intérieur, n° 01MA00070, 01MA00094, 01MA00157, 01MA00178, 01MA00193). A ce sujet, voir par exemple TA Nancy, 5 décembre 2017, n° 1601532 et 1603672 :
- Le TA de Nancy ayant décidé de ne pas changer les recettes du droit de l’intercommunalité, Saint-Ail reste bien dans sa gousse intercommunale.
- Peut-on engager un contentieux contre un arrêté de projet de périmètre ? contre l’arrêté de SDCI ?
Cela dit, en ces domaines, parfois juge varie et fol qui s’y fie, comme le passage des avis des CDCI d’une catégorie à l’autre l’a illustré via l’arrêt du CE en date du 21 octobre 2016, CC du Val de Drôme, n° 390052 :
- Revirement de jurisprudence : le SDCi est attaquable en soi… mais ses vices ne peuvent plus être soulevés par voie d’exception.
- Une première décision, rendue hier, sur le niveau de contrôle du juge en matière de SDCI, depuis l’arrêt Val de Drôme. Et le message du juge est édifiant : Mesdames et Messieurs les Préfets, faites presque ce que vous voulez avec les SDCI, le Juge vous bénira a posteriori, sauf immense illégalité. Et encore…
De même les délibérations demandant, puis approuvant, la création d’une commune nouvelle ne sont que des actes préparatoires (un requérant doit s’en prendre à l’arrêté préfectoral ou interpréfectoral qui clôt la procédure…). Voir à titre d’illustration TA Orléans, 9 juin 2016, n° 1601267 puis TA Orléans, 4 février 2016, n° 1504130 :
- https://blog.landot-avocats.net/2016/04/14/peut-on-attaquer-la-deliberation-dune-commune-approuvant-la-creation-dune-commune-nouvelle/
- Peut-on faire un recours contre une délibération demandant la création d’une commune nouvelle ?
Idem pour les opérations Coeur de ville, s’agissant d’une délibération qui dresse le bilan de sa concertation et en fixe le programme, ainsi que l’a jugé TA Grenoble, 28 novembre 2019, n°1700829 :
Il en va de même, désormais, en matière d’urbanisme commercial, s’agissant des recours contre l’avis de la Commission nationale d’aménagement commercial (CE, 25 mars 2020, Société Le Parc du Béarn, req., n° 409675) :
etc.
Aussi est-ce sans surprise que l’on découvre que la CAA de Bordeaux a étendu cette catégorie des actes préparatoires, insusceptibles de recours pour excès de pouvoir par un requérant ordinaire (autre que le préfet), a CAA de Bordeaux, les délibérations des collectivités actionnaires d’une SEML ou d’une SPL.
En effet, quand une collectivité actionnaire d’une SEML ou d’une SPL accepte telle ou telle modification statutaire qui lui est demandée… cela reste préparatoire (et donc attaquable par le seul préfet).
Attention le préfet lui peut attaquer de tels actes, comme ce fut jugé en matière d’ordures ménagères et d’intercommunalité (voir par exemple CE, 5 avril 2019, n° 418906, précité), ou… de SEML et de SPL (voir par exemple CE, 14 novembre 2018, n° 405628…).
Un mot s’impose sur cet arrêt n° 405628. Cette décision du Conseil d’Etat :
- reste pertinente sur ce point des recours possibles du préfet contre les délibérations des collectivités actionnaires de SPL et de SEML (alors que les autres requérants ne peuvent attaquer ces actes, au moins selon la CAA de Bordeaux présentement commentée, donc)
- n’est plus à jour de l’état du droit sur le fond… s’agissant de la composition de l’actionnariat des SPL au regard des compétences des collectivités actionnaires, le droit a quant à lui, fort heureusement, changé avec la loi n° 2019-463 du 17 mai 2019).
Voir à ces divers sujets :
- SPL : le juge confirme l’interprétation qu’il faut avoir, de la loi de 2019, en matière d’objet social de SPL
- SEML et SPL : rapide décryptage de la loi 2019-463 du 17 mai 2019 [article +mini vidéo]
- Vent de panique pour les SPL associant une commune et son EPCI à fiscalité propre
II. La CAA de Bordeaux étend, logiquement, cette notion aux délibérations relatives à l’évolution des statuts d’une SEML ou d’une SPL
Revenons à cette jurisprudence de la CAA de Bordeaux.
Le service public de restauration scolaire avait été confié par la communauté d’agglomération de l’espace sud Martinique (CAESM) à une SPL (la SOGES) à la suite d’un très long et complexe feuilleton contentieux.
Par une délibération, en 2017, le conseil communautaire de la CAESM a, d’une part, approuvé la modification des statuts de la SPL SOGES en vue de lui permettre de prendre en charge la gestion du service public de la restauration collective et, d’autre part, autorisé le président de l’établissement public à engager toute démarche utile en ce sens.
Le juge a annulé cette délibération, et la CAA vient de censurer ce jugement, donnant raison à la communauté d’agglomération martiniquaise.
La CAA note que :
« Si, en son article 1er, la délibération du 4 avril 2017 a, d’une part, approuvé la modification des statuts de la SPL SOGES et, d’autre part, autorisé le président de l’établissement public à engager toute démarche utile en ce sens […] »
Ces décisions n’étaient que préparatoires. En effet :
« seule l’assemblée générale extraordinaire de la SPL SOGES avait compétence, en application de cet article L. 1524-1, pour décider, par sa délibération du 26 avril 2017, d’approuver la modification de l’objet social de cette société anonyme en vue de l’étendre à la gestion de la restauration collective. »
Dès lors, selon la CAA :
« la délibération préalable du 4 avril 2017 ne revêtait que le caractère d’un acte préparatoire à la délibération du 26 avril 2017. Par suite, elle est insusceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. »
Ce qui semble tout à fait logique, même si en pratique cela conduit à déplacer vers le contentieux devant le juge judiciaire nombre de décisions en ces domaines, alors même que les points éventuellement litigieux relèveront souvent du droit public. Mais ce ne sera pas la première ni la dernière fois que le juge judiciaire aura à se pencher sur des questions de droit public, avec éventuel recours aux questions préjudicielles…
Voici cette décision :
CAA Bordeaux, 10 mai 2021, req. 19BX00138
III. Gare aux exceptions et aux limites probables à cette jurisprudence
Mais il importe aussi d’avoir à l’esprit que cette jurisprudence n’est pas sans limites. En effet :
- comme susévoqué le préfet pourra agir contre de telles décisions (et nous avions cité deux jurisprudences l’illustrant : unalité (voir par exemple CE, 5 avril 2019, n° 418906 ; CE, 14 novembre 2018, n° 405628…).
- en cas de création ou de dissolution de telles sociétés, l’acte décisoire, et donc attaquable, sera sans doute l’acte (ou les actes) de la (des) collectivité(s) actionnaire(s)
- de même d’autres actes concernant la société dont la collectivité actionnaire seront attaquables en soi, devant le juge administratif, dont les désignations de délégués à ladite société, par exemple…
- naturellement, les contrats signés ou à signer entre la collectivité actionnaire et sa société seront quant à eux attaquables, voire parfois la délibération relative à ces contrats (pour ses vices propres). Les spécialistes auront reconnu dans ces formulations une référence à la fameuse jurisprudence Tarn-et-Garonne.
Ce que l’on appelle un « recours Tarn-et-Garonne » (capitale Montauban), depuis l’arrêt éponyme, est le recours possible, directement, contre un contrat.
Mais par voie de conséquence, symétriquement, les recours contre les actes détachables du contrats, tel celui qu’est une délibération autorisant à passer un contrat, ne sont plus recevables (sauf cas particuliers notamment pour leurs vices propres ou pour certains cas de conclusion de contrats de droit privé ou d’actes antérieurs à 2014). Voir CE, Assemblée, 4 avril 2014, Département de Tarn-et-Garonne, n° 358994, rec. p. 70… et la nombreuse postérité de cet arrêt, souvent commenté au sein du présent blog (voir ici).