Ecriture inclusive : un état des lieux, juridique, en droit public [au 21/12/24 : nouvelles décisions du CE et du TA de Paris en décembre 2024]

Source : Panneau pratiquant la flexion à trait d'union (écriture inclusive) à Fontenay-sous-Bois (source Chabe01 ; Wikipedia)

Dans le monde public, les choses sont claires pour les agents de l’Etat : l’écriture inclusive est, dans cette fonction publique, persona non grata (I)étant bien précisé que mon but n’est absolument pas de me prononcer sur le fond du débat, mais seulement sur son appréhension en droit. 

Plus largement, les autorités administratives peuvent, comme vient de le rappeler le Conseil d’Etat, interdire dans les services publics (comme celui de l’éducation, par exemple) relevant de leur responsabilité de recourir à certains éléments de l’écriture inclusive; notamment le point médian (II). A cette occasion, la Haute Assemblée a également confirmé que les règles de féminisation féminisation en vigueur dans l’enseignement (circulaire du ministre de l’éducation nationale du 5 mai 2021) ne sont pas contraires au droit national ou au droit européen.

La situation s’avère bien plus délicate pour les autres personnes publiques, d’autant que des jurisprudences du TA de Paris et du TA de Grenoble pourraient être présentées comme contradictoire à première vue… et beaucoup moins quand y regarde de près. Et ce au fil de débats juridiques subtils (III). 

Enfin, il est à noter qu’une proposition de loi a été adoptée en première lecture à ce sujet au Sénat, mais la fin de son parcours parlementaire pourrait être interrompue (IV). Comme un mot l’est par un point en sa dernière syllabe. 

  • I. Pour les agents de l’Etat, il n’y a pas de débat.  
  • II. Plus largement, les autorités administratives peuvent, comme vient de le rappeler le Conseil d’Etat en décembre 2024, interdire dans les services publics (comme celui de l’éducation, par exemple) relevant de leur responsabilité de recourir à certains éléments de l’écriture inclusive; notamment le point médian. A cette occasion, la Haute Assemblée a également confirmé que les règles de féminisation féminisation en vigueur dans l’enseignement (circulaire du ministre de l’éducation nationale du 5 mai 2021) ne sont pas contraires au droit national ou au droit européen.
  • III. L’administration peut donc refuser de passer à l’écriture inclusive et elle peut l’imposer dans ses services publics. Mais, inversement, peut-elle décider de l’adopter ? Le TA de Paris dit que… OUI en 2023 comme en décembre 2024. Celui de Grenoble répond que NON. Fol qui s’y fie. Mais derrière ces divergences, se cachent des différences quant aux moyens soulevés (respect du français ? intelligibilité ? difficulté pour les personnes en situation de handicap ? Ces trois moyens sont, en droit, fort différents) et aux cas d’espèce
  • IV. Une proposition de loi fixera-t-elle le droit ? Le Sénat y met un point d’honneur. Mais le texte se perdra-t-il dans les limbes des procédures parlementaires ? Et le droit fixera-t-il la pratique ?

 


 

 

I. Pour les agents de l’Etat, il n’y a pas de débat.  

 

En 2017, une circulaire du Premier Ministre se prononçait :

  • pour la féminisation des titres
    N.B.: la féminisation des noms de fonctions était la règle dans notre pays jusqu’à la Renaissance…
  • contre l’écriture inclusive.

 

Pour les agents de l’Etat (hors statuts particuliers dotés d’une indépendance supplémentaire), ce texte valait — et vaut encore — ordre hiérarchique s’agissant des rédactions de textes à publier au JO (et même au delà).

Pour les autres autorités publiques de la République, ce texte n’a pas de valeur juridique si ce n’est indicative.

 

 

NB : le Conseil d’Etat a refusé de censurer cette circulaire : CE,  28 février 2019, n° 417128. Voir : Voici le rapport de l’Académie Française et l’arrêt du Conseil d’Etat sur la féminisation des noms de fonctions 

Citons ces extraits de l’arrêt du Conseil d’Etat de 2019 :

 « 5. En premier lieu, la circulaire attaquée, qui se borne à préciser certaines règles grammaticales et syntaxiques applicables à la rédaction des actes administratifs, en particulier de ceux destinés à être publiés au Journal Officiel de la République française, ne fixe aucune règle qu’il appartiendrait au législateur d’énoncer en vertu de l’article 34 de la Constitution. Le Premier ministre était donc compétent pour édicter cette circulaire, laquelle, contrairement à ce que font valoir les requérantes, n’a d’autres destinataires que les membres du Gouvernement et les services placés sous leur autorité. Le moyen tiré de la méconnaissance du principe de séparation des pouvoirs garanti par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ne pourra par suite qu’être écarté. L’association requérante ne saurait, par ailleurs, utilement se prévaloir à cet égard de la méconnaissance de l’article 111 de l’ordonnance du 25 août 1539 sur le fait de la justice, dite ordonnance de Villers-Cotterêts.
« 
6. En deuxième lieu, en prescrivant d’utiliser le masculin comme forme neutre pour les termes susceptibles, au sein des textes réglementaires, de s’appliquer aussi bien aux femmes qu’aux hommes et de ne pas faire usage de l’écriture dite inclusive, la circulaire attaquée s’est bornée à donner instruction aux administrations de respecter, dans la rédaction des actes administratifs, les règles grammaticales et syntaxiques en vigueur. Eu égard à sa portée, elle ne saurait en tout état de cause être regardée comme ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à l’égalité entre les femmes et les hommes, en méconnaissance de l’article 1er de la Constitution, de l’article 2 du traité sur l’Union européenne, de l’article 157 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, de la directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006 relative à la mise en oeuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail et de l’article 1er de la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes. Elle n’est pas davantage de nature, eu égard à sa portée, à porter préjudice aux personnes que les requérantes qualifient  » de genre non binaire  » ou, en tout état de cause, à porter atteinte au droit au respect de leur vie privée garanti par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et l’article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Elle n’est par ailleurs entachée ni de contradiction ni d’erreur manifeste d’appréciation.
« 
7. En troisième lieu, il ne saurait être sérieusement soutenu que la circulaire attaquée, en précisant les règles grammaticales et syntaxiques applicables à la rédaction des actes administratifs, en particulier de ceux destinés à être publiés au Journal officiel de la République française, aurait porté atteinte à la liberté d’expression des agents de l’Etat chargés de cette rédaction. En outre, eu égard à ses destinataires, elle ne saurait en tout état de cause être regardée comme portant atteinte à la liberté d’expression des enseignants-chercheurs.
« 
8. En quatrième lieu, il ressort des termes mêmes de la circulaire attaquée que celle-ci définit clairement les destinataires auxquels elle s’adresse et les instructions qui leur sont données. Ainsi, contrairement à ce qui est soutenu, elle ne méconnaît pas en tout état de cause l’objectif à valeur constitutionnelle de clarté et d’intelligibilité de la norme.»

 

 

 

II. Plus largement, les autorités administratives peuvent, comme vient de le rappeler le Conseil d’Etat, interdire dans les services publics (comme celui de l’éducation, par exemple) relevant de leur responsabilité de recourir à certains éléments de l’écriture inclusive; notamment le point médian. A cette occasion, la Haute Assemblée a également confirmé que les règles de féminisation féminisation en vigueur dans l’enseignement (circulaire du ministre de l’éducation nationale du 5 mai 2021) ne sont pas contraires au droit national ou au droit européen.

 

 

Par une circulaire du 5 mai 2021 intitulée « Règles de féminisation dans les actes administratifs du ministère de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports et les pratiques d’enseignement », le ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports d’alors avait a demandé aux services de respecter la circulaire du Premier ministre du 21 novembre 2017 précitée en matière :

  • de féminisation des titres
  • de rédaction des textes publiés au Journal officiel de la République française, afin de participer à la lutte contre les stéréotypes de genre.
  • de proscription de l’usage et l’enseignement de certaines règles relevant de l’écriture dite inclusive, et notamment le point médian

 

Sur ce dernier point, le Conseil d’Etat réaffirme les principes de sa décision, précitée, de 2019.

Il juge qu’en demandant aux enseignants d’appliquer les règles d’accords communément admises, dont celle dite du « masculin générique », et de proscrire d’autres règles d’accords ou les graphies recourant à la fragmentation des mots (point médian par exemple), ceci afin de faciliter l’acquisition de la langue française et de la lecture et de favoriser l’égalité des chances entre tous les élèves, cette circulaire ne porte pas atteinte aux principes d’égalité, de non-discrimination, d’égal accès à l’instruction, de droit des parents à l’instruction de leurs enfants conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques, de liberté de conscience des enseignants ou des élèves, de liberté d’expression ou de respect de la vie privée.

La nouveauté de cette décision est que pour la première fois étaient convoquées à l’appui de la requête toute une série de normes internationales (CEDH ; simples recommandations du Comité des ministres du Conseil de l’Europe ; directive 2006/54/CE  ; article 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne… témoignant d’une réelle inventivité juridique de la partie requérante). Mais aucune de ces normes ne conduit à faire changer de position le Conseil d’Etat sur ce point et, de fait, aucun de ces moyens n’était en droit bien sérieux.

Le plus imaginatif (et un brin plus sérieux) était sans doute l’argument tiré du code de l’éducation lui-même. Voici le moyen et les motifs de son rejet :

« 8. En sixième lieu, si l’article L. 111-1 du code de l’éducation nationale dispose que « Le service de l’éducation nationale (…) veille à la scolarisation inclusive de tous les enfants, sans aucune distinction », ces dispositions n’ont pas pour objet et ne sauraient avoir pour effet d’imposer, comme le soutient le requérant, « la démasculinisation de la grammaire ».

 

Bref, le Conseil d’Etat met un point final aux prétentions du requérant, sauf à ce que celui-ci aille à Strasbourg, lieu de naissance de l’imprimerie et de la CEDH, ce qui serait là encore, en droit, fort aventureux.

Source :

CE, 20 décembre 2024, n° 474812 et 487671

Voir aussi en pdf : 474812_487671

 

III. L’administration peut donc refuser de passer à l’écriture inclusive et elle peut l’imposer dans ses services publics. Mais, inversement, peut-elle décider de l’adopter ? Le TA de Paris dit que… OUI en 2023 comme en décembre 2024. Celui de Grenoble répond que NON. Fol qui s’y fie. Mais derrière ces divergences, se cachent des différences quant aux moyens soulevés (respect du français ? intelligibilité ? difficulté pour les personnes en situation de handicap ? Ces trois moyens sont, en droit, fort différents) et aux cas d’espèce. 

 

Mais pour les autres ? Pour les communes ou, plus significativement encore, pour les universités par exemple ? L’écriture inclusive est-elle interdite ?

La question n’est pas si simple (II.A.) et conduit à des jurisprudences contrastées  (III.B. et III. C.)

 

III.A. Le français s’impose, mais… quel français ?

 

Car le recours au français s’impose aux termes de la loi « Toubon » n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française précisait l’article 2 de la Constitution qui, par certains côtés, réactivait l’ordonnance de Villers-Cotterêts du 10 aout 1539.

Voir aussi : C. Const., décision 99-412 DC – 15 juin 1999 – Charte européenne des langues régionales ou minoritaires – Non conformité partielle. Voir plus récemment la décision n° 2021-818 DC du 21 mai 2021, avec un important volet sur les langues régionales. Voir :

Voir aussi du côté du Conseil d’Etat :

Pour les langues régionales en assemblées locales, voir :

Avec un cas à part pour les traductions (laquelle n’est pas interdite par la loi) en sus du français : CE, 22 juillet 2022, n°455477 ; Conseil d’État, 31 octobre 2022, n° 444948, aux tables du recueil Lebon.
De même faut-il traiter séparément les textes écrits en allemand et qui s’imposent encore parfois en Alsace-Moselle (voir : CAA Nancy, 9 juillet 2020, n° 18NC01505; arrêt que nous avons diffusé et commenté ici : Alsace-Moselle : quand un texte de droit local, en allemand, remontant à la période 1871-1918, est-il encore applicable ? )

Voir aussi deux vidéos de ma part à ce sujet :

 

Oui mais, cher avocat digressif me direz-vous… quid de l’écriture inclusive ?

NB : pour le rejet d’un référé liberté visant à demander d’enjoindre à un maire de mettre à l’ordre du jour du conseil municipal une délibération portant entre autres sur l’usage de l’écriture inclusive, voir CE, 5 mai 2022, n° 463170. 

Et bien pour censurer celle-ci, il fallait en passer par une position audacieuse selon laquelle ce mode d’expression ne relèverait pas de la langue française… c’est le pas qu’à refusé de franchir le TA de Paris, validant le recours à l’écriture inclusive par la ville de Paris… Mais cette même étape a été franchie par le TA de Grenoble (mais au nom de l’intelligibilité en l’espèce et non sur le principe de ce qu’est ou que serait la langue française), conduisant le petit monde des tribunaux en phase, toujours instable, de divergences entre jurisprudences.

 

III.B. Oui à Paris, deux fois

 

III.B.1. L’affaire de l’écriture inclusive dans le marbre de la liste des élus et anciens élus : l’inclusivité peut même se faire, littéralement, lapidaire… Le premier débat devant le TA de la capitale ayant porté sur le point de savoir si l’écriture inclusive est, ou n’est pas, du (bon) français, ce qui est pour un juge un angle d’attaque piégeux (le juge peut-il se faire l’arbitre de la langue elle-même ?).

 

L’association FRancophonie Avenir, AF.R.AV. a demandé au tribunal d’annuler la décision implicite par laquelle la maire de Paris a rejeté sa demande tendant au retrait de deux plaques commémoratives apposées dans l’enceinte de l’hôtel de Ville et gravées en écriture dite « inclusive ».

Voici un extrait du site de ladite association requérante qui montre qu’en effet la ville capitale met un point d’honneur à graver l’écriture inclusive dans le marbre :

https://www.francophonie-avenir.com/fr/Point-d-infos/631-Notre-proces-contre-l-ecriture-inclusive-de-Mme-Hidalgo

Le tribunal a rejeté cette requête en relevant, contrairement à ce que soutenait l’AF.R.AV., que ni l’article 3 de la loi du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française, ni aucun autre texte ou principe ne prévoit (prévoirait ?) que la graphie appelée « écriture inclusive », consistant à faire apparaître, autour d’un point médian, l’existence des formes masculine et féminine d’un mot ne relève (relèverait ?) pas de la langue française. 

Les circonstances que le ministre de l’éducation nationale ait proscrit son utilisation à l’école par une circulaire du 5 mai 2021 ou que l’Académie française se soit déclarée opposée à son usage dans une lettre ouverte du 7 mai 2021 restent à cet égard sans incidence sur la légalité de la décision attaquée de la Ville de Paris, selon le TA de la ville capitale.

Ce qui revient à dire que l’écriture inclusive est (serait) du français et que l’Académie ne définit (définirait) pas l’usage de notre langue, dont le respect s’impose aux administrations. .. alors même que

« Les documents administratifs doivent […] être rédigés en langue française
Conseil d’État, 31 octobre 2022, n° 444948, aux tables du recueil Lebon.

Ce jugement sera-t-il confirmé à hauteur d’appel ?

C’est possible (les magistrats administratifs n’ont sans doute pas envie d’être juges du « bon parler » et de la manière d’écrire).

Ce qui est certain, en revanche, c’est que cette décision n’a pas mis pas un point final à cette polémique… comme l’affaire grenobloise l’a, très vite, démontré.

Lire le jugement n° 2206681/2-1 du 14 mars 2023

III.B.2. L’affaire du règlement intérieur du conseil du 12e arrondissement avec, là encore, l’admission de cette écriture inclusive qui n’est, selon ce jugement du 10 décembre 2024 : ni contraire à ce qu’est notre langue ; ni contraire en l’espèce au principe d’intelligibilité ; ni une source de difficultés supplémentaires (ou pas de matière suffisante pour entraîner une censure) pour les personnes atteintes de troubles DYS

Le TA de Paris a partiellement annulé le règlement intérieur du conseil du 12e arrondissement de Paris adopté en 2022. Mais il a validé le recours à l’écriture inclusive dans ce règlement intérieur.

En premier lieu, certes, la « langue de la République est le français » (art. 2 de la Constitution et article 1er de la loi Toubon du 4 août 1994).

Mais le TA rappelle la position, dans sa décision n° 94-345 DC du 29 juillet 1994, du Conseil constitutionnel, sur « la liberté de communication et d’expression proclamée par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen » qui « implique le droit pour chacun de choisir les termes jugés par lui les mieux appropriés à l’expression de sa pensée » et que « la langue française évolue, comme toute langue vivante, en intégrant dans le vocabulaire usuel des termes de diverses sources, qu’il s’agisse d’expressions issues de langues régionales, de vocables dits populaires, ou de mots étrangers ».

Dès lors, le TA de Paris réaffirme sa position antérieure, sur ce point, selon laquelle il ne résulte pas de notre droit écrit ni de la position du Conseil constitutionnel « que l’utilisation de la graphie dite écriture inclusive ne relèverait pas de la langue française», le TA déniant toute portée juridique aux déclarations de l’Académie française.

L’autre angle d’attaque était celui de la clarté et d’intelligibilité de la norme constituent un objectif de valeur constitutionnelle auquel doivent satisfaire les actes administratifs (et le TA de citer l’article 110 de l’ordonnance du 25 août 1539 sur le fait de la justice, dite ordonnance de Villers-Cotterêts… ce qui se discute puisque ce texte ne s’applique, justement, qu’aux décisions de Justice, mais bon disons que nous sommes là dans l’évocation des prémisses du principe constitutionnel).

Et le TA de Paris estime qu’en l’espèce il n’y a pas atteinte à l’intelligibilité du texte. De fait, les exemples cités ne rendaient pas le texte illisible, au contraire de ce qui prévalait dans l’exemple de l’Université de Grenoble qui sera cité en III.C.

Citons le paragraphe 10 de cette décision du TA de Paris :

« 10. Le règlement intérieur du conseil du 12e arrondissement attaqué fait usage de l’écriture inclusive chaque fois qu’il y a lieu de désigner une autorité qui exerce des attributions dans le cadre du fonctionnement du conseil d’arrondissement. Sont ainsi mentionnés « la/le maire de Paris », « la/le maire d’arrondissement », « la/le maire suppléant-e », « la/le adjoint-e » « la/le conseiller-ère », « la/le candidat-e », « la/le président-e de séance », « la/le orateur/trice », « élu-e rapporteur-e », « la/le secrétaire de séance » ou « la/le doyen-ne d’âge ». Ces formulations ne rendent les dispositions du règlement intérieur ni imprécises ni équivoques dès lors qu’il n’en résulte aucune ambiguïté quant à la personne qui est chargée d’exercer le rôle que le règlement intérieur lui assigne. La circonstance que le règlement comporterait trois incohérences, avec l’emploi du masculin sans utilisation de l’écritures inclusive, n’est pas de nature à rendre ambigu le règlement intérieur lu dans son ensemble. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance de l’objectif objectif de valeur constitutionnelle de clarté et d’intelligibilité de la norme doit être écarté.»

Plus nouvelle était la question des discriminations, l’écriture inclusive étant possiblement plus difficile à lire pour les personnes atteintes de troubles DYS (dyslexie notamment). Là encore, les arguments de la requête n’ont pas convaincu le TA de Paris, essentiellement en raison des incertitudes sur l’amplitude de cette difficulté pour les personnes concernées qui sont en situation de handicap :

« 11. En troisième lieu, aux termes de l’article 1er de la loi du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations : « Constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, sur le fondement () de son handicap () une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne l’aura été dans une situation comparable. / Constitue une discrimination indirecte une disposition, un critère ou une pratique neutre en apparence, mais susceptible d’entraîner, pour l’un des motifs mentionnés au premier alinéa, un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d’autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour réaliser ce but ne soient nécessaires et appropriés. » Aux termes de l’article 4 de la même loi : « Toute personne qui s’estime victime d’une discrimination directe ou indirecte présente devant la juridiction compétente les faits qui permettent d’en présumer l’existence. Au vu de ces éléments, il appartient à la partie défenderesse de prouver que la mesure en cause est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles. (). »

« 12. Les requérants soutiennent que l’emploi de l’écriture inclusive dans le règlement intérieur du conseil du 12e arrondissement de Paris, dont l’objet est de régir le fonctionnement interne de ce conseil, instituerait une discrimination indirecte à l’égard des personnes en situation de handicap visuel ou des personnes empêchées de lire. Ils produisent à cet effet un communiqué de presse du 20 novembre 2017 de la Fédération des aveugles de France, un article de la Fédération française des Dys du 17 août 2020, un article publié le 20 juillet 2020 sur le site internet handicap.fr ainsi qu’un extrait d’une tribune de linguistes. Ces articles évoquent en particulier des difficultés de lecture des textes rédigés avec l’utilisation du point médian sur lecteurs d’écrans et les obstacles pour la lecture et la compréhension de certaines personnes en situation de handicap. En défense, la Ville de Paris fait référence à deux articles publiés sur les sites internet 20minutes.fr et lepoint.fr dont les conclusions sont opposées ou tout au moins beaucoup plus nuancées. Alors que les différents documents produits relèvent principalement de prises de position plutôt que de résultats d’études, les éléments avancés par les requérants ne constituent pas de faits de nature à permettre de présumer l’existence d’une discrimination indirecte en raison du handicap au sens de l’article 1er de la loi du 27 mai 2008. Le moyen tiré de ce que le règlement intérieur attaqué comporterait une telle discrimination doit ainsi, en tout état de cause, être écarté.»

Source :

TA Paris, 2e sect. – 1re ch., 10 déc. 2024, n° 2217705.

III.C. Non à Grenoble : est-ce juge dauphinois qui fait de la résistance ? Et/ou l’Université qui fait de la militance ? En tous cas, le TA se fonde cette fois, non sur la notion même de ce qu’est ou serait la langue française, mais sur l’exigence en droit d’intelligibilité et de clarté du droit. Ce qui est à la fois plus efficace, plus habile (de la part du requérant)… mais non sans fragilités (le texte en écriture inclusive perd-il vraiment à ce point de sa lisibilité ? Nul doute que ce point sera encore débattu).

 

En 2020, l’Université de Grenoble – Alpes adopte le règlement du service des langues que voici :

 

Ce texte est rédigé en langue inclusive. Son article 11, par exemple, se trouve formulé comme suit :

« Le.la Directeur.trice du Service Des Langues est élu.e pour 5 ans au scrutin secret. Il.elle est élu.e au premier tour à la majorité absolue des membres élu.e.s, aux tours suivants, il.elle est élu.e à la majorité relative. Il ne peut être procédé à plus de trois tours de scrutin au cours d’une même séance en vue de l’élection du.de la Directeur.trice.
Il.elle est choisi.e parmi les enseignant.e.s chercheurs.euses ou les enseignant.e.s en poste à l’Université Grenoble Alpes. Son mandat est renouvelable une fois. Plus de la moitié des membres élu.e.s du Conseil de la composante doit être présente pour pouvoir valablement délibérer.
L’élection du.de la Directeur.trice de composante est effectuée à bulletin secret. Nul ne peut être élu Directeur.trice s’il.elle n’a fait expressément acte de candidature. Le dépôt de candidature est effectué auprès des services administratifs du SDL. Il intervient au moins 7 jours avant la date fixée pour l’élection. L’élection du.de la Directeur. trice doit être organisée au moins un mois avant l’expiration du mandat du.de la Directeur.trice en fonction. Le Conseil est convoqué au moins 15 jours à l’avance par le.la Directeur(trice) sortant.e ou l’administrateur.trice provisoire nommé.e par le.a Président(e) de l’université. La séance est présidée par le.la directeur.rice sortant.e. Si ce.cette dernier.ère est candidat.e, la séance est présidée par le.a doyen.ne d’âge élu.e non candidat.e parmi les enseignant.es, enseignant.es chercheur.es et les chercheur.es. Si l’élection n’est pas acquise au cours de la première séance, le.la Directeur.trice sortant.e, ou le.la doyen.ne d’âge, fixe une date pour la prochaine séance qui doit se tenir dans un délai d’au moins 15 jours suivant la précédente, en respectant les mêmes règles que pour la première séance. »

 

Un requérant a attaqué cette décision. Et il a gagné devant le TA de Grenoble, conduisant le Dauphiné à montrer sa traditionnelle autonomie d’une manière qui eût convenu au dauphin révolté qu’était le futur Louis XI, rebelle face à son père Charles VII.

Le TA a-t-il estimé que ce n’était pas du français ? NON et c’est logique car le juge a toujours été rétif à s’instituer juge du bon parler.

Mais il accepte de s’engouffrer dans la brèche du « bien parler », de l’intelligibilité du textes. Et même si objectivement cet angle d’attaque s’avère plus fragile (le texte restant plutôt lisible) en termes de langage courant, il est plus solide juridiquement.

En effet, il est constant que le juge (tant constitutionnel qu’administratif) censure les atteintes aux exigences de clarté et de sincérité et/ou d’intelligibilité des textes soumis à sa censure. Cette exigence provient même, selon lesdits juges, des termes mêmes de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ainsi que de ceux du premier alinéa de l’article 3 de la Constitution. 

Ceci dit, ces deux notions ne sauraient être confondues, au moins selon M. Alexandre FLÜCKIGER, Professeur à l’Université de Genève, in le numéro 21 des Cahiers du Conseil constitutionnel de 2007 :

« En France, le Conseil constitutionnel a reconnu un « principe de clarté de la loi » qu’il a fait découler de l’article 34 de la Constitution(7). Il le distingue de l’« objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi » qu’il fonde sur les articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration de 1789 dont le but est de « prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d’arbitraire, sans reporter sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n’a été confiée par la Constitution qu’à la loi »(8). La clarté et l’intelligibilité constituent selon cette jurisprudence deux notions distinctes dont le fondement et la nature diffèrent. La première est un principe lié à la compétence du législateur que la seconde dépasserait : une loi pourrait être claire tout en étant inutilement inintelligible(9). »

Et comment résister à l’envie d’emprunter à cet auteur la citation mise en exergue de cet article, elle-même tirée des écrits de Rivarol ? Allez je me lance :

« Ce qui n’est pas clair n’est pas français ;
ce qui n’est pas clair est encore anglais,
italien, grec ou latin
»(1).

Voici qui flatte au passage notre orgueil national. Revenons au Dauphiné.

C’est donc sur cette base, plus habile, que le TA de Grenoble se fonde :

6. La clarté et d’intelligibilité de la norme constituent un objectif de valeur constitutionnelle auquel doivent satisfaire les actes administratifs. Par ailleurs, le degré de clarté attendu d’un texte dépend de ses nature et fonction. Ainsi, le caractère technique et efficient d’un texte juridique impose un niveau de clarté propre à garantir son accessibilité immédiate.

Et en l’espèce, le juge (et c’est là le point un brin plus fragile du raisonnement) pose que la lisibilité en est altérée (ce qui n’est guère contestable) au point d’en perdre sa clarté et son intelligibilité (ce qui peut certes être discuté) :

« 7. En l’espèce, la plupart des articles des statuts en litige est rédigé en écriture « inclusive » consistant à décliner, autour d’un point médian, les formes masculine et féminines des mots variables. En attestent les exemples suivants : « Lorsqu’un.e représentant.e des personnels perd la qualité au titre de laquelle il.elle a été élu.e ou lorsque son siège devient vacant, il.elle est remplacé.e, pour la durée du mandat restant à courir par le.a candidat.e de la même liste non élu.e venant immédiatement après le.a dernière.e candidat.e élu.e » (premier alinéa de l’article 7) ; « Le.la Directeur.trice du Service Des Langues est élu.e pour 5 ans au scrutin secret. Il.elle est élu.e au premier tour à la majorité absolue des membres élu.e.s, aux tours suivants, il.elle est élu.e à la majorité relative./ Il ne peut être procédé à plus de trois tours de scrutin au cours d’une même séance en vue de l’élection du.de la Directeur.trice » (premier alinéa de l’article 11) ou encore « La séance est présidée par le.la directeur.rice sortant.e. Si ce.cette dernier.ère est candidat.e, la séance est présidée par le.a doyen.ne d’âge élu.e non candidat.e parmi les enseignant.es, enseignant.es chercheur.es et les chercher.es. » (huitième alinéa de l’article 11). »

Mais sans que soit totalement clair le point de savoir si la référence à l’Académie française mêle les argumentaires (ce ne serait plus du français ? ou l’Académie est-elle aussi juge de l’intelligibilité du texte, ce qui peut être discuté), le TA poursuit en se fondant sur les avis de l’institution fondée par Richelieu :

« 8. Conformément au constat opéré par l’Académie française dans sa déclaration du 26 octobre 2017, l’usage d’un tel mode rédactionnel a pour effet de rendre la lecture de ces statuts malaisée alors même qu’aucune nécessité en rapport avec l’objet de ce texte, qui impose, au contraire, sa compréhensibilité immédiate, n’en justifie l’emploi. Par suite, est fondé à soutenir que l’utilisation de ce type de rédaction porte en l’espèce atteinte à l’objectif constitutionnel de clarté et d’intelligibilité de la norme.»

 

 

D’où une censure franche et nette de ce texte que l’on accuse de n’avoir été, ni en français, ni net.

Source :

TA Grenoble, 11 mai 2023, GD c: Université Grenoble-Alpes, n°2005367 (écriture inclusive)

En tous cas, face à cette divergence de jurisprudences, la certitude, en droit, sur la manière de bien écrire notre langue perd de son assurance… Et en pratique, chacun y va de son viatique.

Source : Panneau pratiquant la flexion à trait d’union (écriture inclusive) à Fontenay-sous-Bois (source Chabe01 ; Wikipedia)

IV. Une proposition de loi fixera-t-elle le droit ? Le Sénat y met un point d’honneur. Mais le texte se perdra-t-il dans les limbes des procédures parlementaires ? Et le droit fixera-t-il la pratique ?

 

La sénatrice Mme Pascale GRUNY (LR) et d’autres sénateurs ont déposé une  « Proposition de loi visant à protéger la langue française des dérives de l’écriture dite inclusive ».

Voir le dossier législatif sur le site du Sénat à ce sujet :

 

Ce texte a été adopté, avec modifications, au Sénat le 30 octobre 2023 et transmis à l’Assemblée Nationale. Voici le dossier législatif sur le site de l’A.N. :

 

Le texte dépasse de loin la question des seules administrations publiques :

Proposition de loi visant à protéger la langue française des dérives de l’écriture dite inclusive

Article 1er
I. – Après l’article 19 de la loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française, il est inséré un article 19-1 ainsi rédigé :
« Art. 19-1. – I. – Les documents qui, en application de la présente loi ou d’une autre disposition législative ou réglementaire, doivent être rédigés en français, ne remplissent pas cette condition lorsqu’il y est fait usage de l’écriture dite inclusive, entendue comme désignant les pratiques rédactionnelles et typographiques visant à introduire des mots grammaticaux constituant des néologismes ou à substituer à l’emploi du masculin, lorsqu’il est utilisé dans un sens générique, une graphie faisant ressortir l’existence d’une forme féminine.
« II (nouveau). – L’écriture dite inclusive, au sens du I du présent article, est interdite dans les publications, revues et communications mentionnées à l’article 7 de la présente loi.
« III (nouveau). – Tout acte juridique qui comporte l’usage de l’écriture dite inclusive, au sens du I du présent article, est nul de plein droit.
« IV (nouveau). – Le présent article est d’ordre public. »
II. – La seconde phrase du premier alinéa du II de l’article L. 121-3 du code de l’éducation est remplacée par trois phrases ainsi rédigées : « L’usage de l’écriture dite inclusive, au sens de l’article 19-1 de la loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française, dans les documents qui s’y rapportent, est interdit. Cette disposition est d’ordre public. Des exceptions à l’usage du français peuvent être justifiées : ».

Article 2
La présente loi s’applique aux contrats et avenants conclus postérieurement à son entrée en vigueur.
Toutefois, l’article 19-1 de la loi n° 94-665 du 4 août 1994 précitée ne s’applique aux produits destinés à la vente qu’à compter du premier jour du septième mois suivant la publication de la présente loi.

Mais ce texte va-t-il être adopté à l’Assemblée Nationale (à laquelle il a été transmis en juillet 2024) ?
La situation politique ne permet pas de répondre aisément à cette interrogation. 
Une chose, en revanche, est certaine. C’est la pratique, et elle seule, qui finira par faire office de loi. 
Ceci dit, une loi peut en partie contribuer à forger la pratique, laquelle engendre la loi commune qu’est notre pratique langagière. 

A suivre donc. Car nous voici encore loin de tout point final dans cette
affaire. 

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