En matière d’arrêtés relatifs au port du masque, la jurisprudence est plutôt maintenant nette pour ce qui est de ses principes. Maintenant que ces principes sont fixés (I), s’est une pluie de jurisprudence qui s’est abattue sur notre pays (II).
I. Une jurisprudence fixée entre la sortie de l’état d’urgence sanitaire et le 6 septembre
I.A. Pour les arrêtés préfectoraux
Pour les arrêtés préfectoraux, les décisions clefs ont été rendues le 6 septembre, par le Conseil d’Etat.
La Haute Assemblée a posé qu’un préfet peut imposer le port du masque dans des zones larges, afin que cette obligation soit cohérente et facile à appliquer pour les citoyens. Toutefois ces périmètres étendus doivent être délimités – et se justifier – par l’existence de plusieurs zones à fort risque de contamination. Le port du masque peut ainsi être imposé sur l’ensemble d’une commune densément peuplée comme Lyon ou Villeurbanne, mais doit être limité au centre-ville dans les communes moins denses.
On notera aussi l’importance de l’information, de la compréhension du message par le public, bref de la lisibilité du message comme critère, nouveau critère, de légalité des actes de police administrative.
Voir CE, ord. 6 septembre 2020, n°443750 (Bas-Rhin) et n°443751 (Lyon, Villeurbanne) et voir :
I.B. Pour les arrêtés municipaux
Pour les arrêtés municipaux, à Pau et Strasbourg, après Amiens, Cergy-Pontoise et Nice, les TA sont entrés dans la danse. Ils ont tous imposé, aux maires, mais aussi désormais aux préfets, un tempo mesuré.
Même en période d’état d’urgence sanitaire, le maire n’avait pas été dépourvu, selon le Conseil d’Etat, de sa capacité à agir au titre de ses pouvoirs de police générale.
Sources : CE, ord., 17 avril 2020, n°440057. Voir aussi : TA de Montpellier, ord., 26 mars 2020, n° 2001502 ; TA de la Guadeloupe, ord. 27 mars 2020, n°2000294 ; TA Caen ord., 31 mars 2020, n°2000711 ; TA de Montpellier, ord., 31 mars 2020, n° 2001567 ; TA Versailles, ord. 3 avril 3020, n° 2002287 (refus de dérogation de réouverture d’un marché) ; TA de Montpellier, ord., 3 avril 2020, n° 2001599 ; TA Montreuil, ord. 3 avril 2020, n°2003861 (couvre-feu) ; TA de Montpellier, ord., 7 avril 2020, n° 2001647 ; TA de Montpellier, ord., 7 avril 2020, n° 2001660 ; TA Cergy-Pontoise, ord., 9 avril 2020, LDH, n°2003905 ; TA de La Guadeloupe, ord., 20 avril 2020, n°2000340 ; TA Nancy, ord. 21 avril 2020, n°2001055 ; TA Nice, ord., 22 avril 2020, n°200178 ; TA Toulon, 23 avril 2020, LDH, n° 2001178 ; TA Nantes, ord., 24 avril 2020, n°2004365 ; TA Cergy-Pontoise, ord., 24 avril 2020, n°2004143 ; CE, ord. 24 avril 2020, n° 440177 ; TA Cergy-Pontoise, ord., 27 avril 2020, n°2004144 ; TA Nantes, ord., 28 avril 2020, n°2004501 (couvre-feu) ; TA Bordeaux, ord., 28 avril 2020, n°2001867 (circulation ; recevabilité des référés liberté) ; CE, ord., 30 avril 2020, n°440179 (vélo) ; CE, ord., 30 avril 2020, n° 440267 (déplacement) ; TA Grenoble, ord., 28 avril 2020, 20022394 (refus d’arrivée de nouveaux vacanciers) ; TA de Cergy-Pontoise, ord., 5 mai 2020, n° 2004187 ; etc.
Voir :
- Covid-19 : le pouvoir de police des maires est-il en quarantaine ? [VIDEO]
- Covid-19 : 40 jours de jurisprudence mettent les pouvoirs de police des maires…. en quasi-quarantaine
- Covid-19 : le point sur les arrêtés couvre-feux [mise à jour au 28/4/2020]
- Arrêtés préfectoraux ou municipaux de police, covid et interdiction de circulation : point juridique au 30/4
- etc.
Mais le principe fut quand même la censure des arrêtés municipaux imposant le port du masque en telle ou telle circonstance (CE, ord., 17 avril 2020, n°440057 ; TA Cergy-Pontoise, ord., 9 avril 2020, LDH, n°2003905) à de rares exceptions près (TA Cergy-Pontoise, ord., 28 mai 2020, n° 2004706 ; voir : Valses-hésitations contentieuses : un étrange bal masqué ).
OUI MAIS … mais le droit a changé. Un peu. Avec une ampleur qui pourrait être débattue pour ce qui est de ses conséquences sur les pouvoirs de police des maires.
Toute l’argumentation du juge pendant l’état d’urgence sanitaire reposait sur le fait que selon le Conseil d’Etat, pendant l’état d’urgence sanitaire, le principe était qu’au contraire du préfet, qui disposait de pouvoirs de police très larges, le maire, quant à lui, devait fonder son arrêté de police sur des circonstances locales, et calibrer les mesures ainsi prises à due proportion des dangers spécifiquement locaux qu’il s’agit d’obvier (la décision de référence, sur ce point, précitée, est CE, ord., 17 avril 2020, n° 440057).
MAIS NOUS NE SOMMES PLUS EN ÉTAT D’URGENCE SANITAIRE.
La loi n°2020-856 du 9 juillet 2020 organise la sortie de l’état d’urgence sanitaire. Voir :
Ce texte et ses décrets d’application ont institué une police spéciale donnant aux autorités de l’Etat la compétence, pour édicter, dans le cadre de la sortie de l’état d’urgence sanitaire et pour une période allant du 11 juillet au 30 octobre 2020, les mesures générales ou individuelles visant à encadrer la circulation des personnes, règlementer l’accueil du public dans certains établissements et limiter ou interdire les rassemblements sur la voie publique, aux fins de limiter la propagation du virus et préserver la santé publique.
Saisi, le TA de Nice a repris les conditions cumulatives exigées lors de l’état d’urgence sanitaire :
- que les mesures soient proportionnées à des « raisons impérieuses propres à la commune » (formulation du CE, reprise avec une petite évolution de formulation non substantielle par le TA de Nice)
- que ces mesures « ne soient pas susceptibles de compromettre la cohérence et l’efficacité des mesures prises par l’Etat dans le cadre de ses pouvoirs de police spéciale » (là encore, formulation du CE, reprise avec une petite évolution de formulation non substantielle par le TA de Nice)
Mais en raison des circonstances locales, de l’adaptation des mesures adoptées par le maire de Nice, le TA de Nice a refusé de censurer cet arrêté (avec une parenté forte, au delà du changement de cadre juridique, avec TA Cergy-Pontoise, ord., 28 mai 2020, n° 2004706).
Sur la base des mêmes critères, le juge (à Nice, après Cergy-Pontoise) semble donc prêt à être plus souple dans l’appréciation des faits justifiant le recours à des arrêtés de police des maires. Les maires, de leur côté, fondent souvent, désormais, plus solidement leurs arrêtés en termes de proportionnalité aux spécificités locales et les juges semblent (mais attendons de voir ce que dira le Conseil d’Etat) accepter, comme l’Etat central lui-même, une plus grande présence réglementaire des maires aux côtés des préfets.
Source : TA Nice, ord., 5 août 2020, n°2003001 :
TA NICE
Le TA d’Amiens a ensuite repris le même principe :
Source, TA Amiens, ord., 11 août 2020, n° 2002564 :
TA AMIENS
… et idem à Pau :
Source : TA Pau, ord., 25 août 2020, n° 2001586 :
I.C. La question, connexe, de savoir de quelles libertés nous parlons…
Ajoutons qu’en référé liberté, s’est posée la question de savoir à quelle liberté on porte atteinte quand s’impose le port du masque (voir sur ce point la saga des décisions rendues par le TA de Strasbourg : TA Strasbourg, ord., 23 mai 2020, n°2003056 ; TA Strasbourg, ord., 25 mai 2020, n°2003058 ; voir : A quelle liberté l’obligation du port du masque peut-elle porter atteinte ? [mise à jour, au 26 mai, d’une nouvelle décision] ).
II. Depuis lors, une pluie de jurisprudences confirmatives avec quelques précisions à la clef
I. Le TA de Cergy-Pontoise et l’arrêté du préfet des Hauts-de-Seine (lequel doit modifier son arrêté rendant obligatoire le port du masque dans tout son département)
Par un arrêté du 31 août 2020, le préfet des Hauts-de-Seine a rendu le port du masque obligatoire, pour les personnes de onze ans et plus, sur l’ensemble de la voie publique et dans tous les lieux ouverts au public du département, à l’exception de celles circulant à vélo ou à l’intérieur des véhicules et celles pratiquant la course à pied.
Reprenant la grille de lecture fixée par le juge des référés du Conseil d’Etat dans les deux ordonnances, précitées, du 6 septembre dernier, le juge des référés du TA de Cergy-Pontoise rappelle que le préfet de département est habilité à rendre le port du masque obligatoire, sauf dans les locaux d’habitation, lorsque les circonstances locales l’exigent. Il précise que, s’agissant d’une mesure de police de nature à porter atteinte aux libertés fondamentales d’aller et venir et personnelle, cette dernière doit être proportionnée mais également simple et lisible afin d’assurer son effectivité.
En l’espèce, le juge des référés confirme que l’ensemble de l’Ile-de-France, et notamment le département des Hauts-de-Seine, est marqué par une recrudescence de la pandémie de Covid-19 et que, en l’état actuel des connaissances, porter systématiquement un masque en plein air est justifié en présence d’une forte densité de personnes ou lorsque le respect de la distance physique ne peut être garanti.
Le juge des référés relève toutefois que, si le département des Hauts-de-Seine constitue le deuxième département français en termes de densité démographique, toutes les communes du département des Hauts-de-Seine ne sont pas caractérisées par la même concentration de population, ni par une présence équivalente de centres d’affaires ou de zones d’activités générant de forts déplacements de population sur l’espace public. Il considère en conséquence que le préfet ne pouvait imposer le port du masque de manière générale dans tout le département sans prendre en compte les caractéristiques des différents territoires communaux. Il estime qu’en n’identifiant aucune zone exemptée de l’obligation de port du masque, le préfet a porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’aller et venir et à la liberté personnelle.
Il souligne également qu’il n’est pas justifié de ne pas exempter de l’obligation du port du masque l’ensemble des personnes pratiquant des activités physiques et sportives en plein air, et de limiter l’exemption aux seuls cyclistes et personnes pratiquant la course à pied. Il valide cependant l’absence de délimitation de périodes horaires où le port du masque serait obligatoire, afin d’assurer la lisibilité et la cohérence de cette mesure.
Le juge des référés conclut ainsi que l’arrêté du préfet des Hauts-de-Seine, en ce qu’il ne délimite pas des périmètres où l’obligation du port du masque est obligatoire et en ce qu’il n’exclut pas de cette obligation l’ensemble des personnes pratiquant des activités physiques et sportives en plein air, porte une atteinte immédiate à la liberté d’aller et venir et à la liberté personnelle des personnes appelées à se déplacer sur l’ensemble du département des Hauts-de-Seine. Compte tenu de l’urgence qui s’attache à ce que cet arrêté ne soit pas maintenu dans son intégralité, il enjoint au préfet des Hauts-de-Seine de le modifier en ce sens d’ici le jeudi 10 septembre à 16 heures. A défaut, son exécution sera suspendue.
II.B. Le cas des personnes sourdes et malentendantes, d’une part, et les consommations de nourriture et de boissons, d’autre part
Le Conseil d’Etat a rendu d’autres ordonnances en ce domaine, dont une qui a fait un peu parler d’elle (CE, ord., 14 septembre 2020, n° 443904 ; cliquer ici) parce qu’au delà de rappels sans surprise, la Haute Assemblée a inséré dans son propos qu’il :
« ne ressort pas, en outre, des termes de l’arrêté préfectoral en litige qu’il ferait obstacle aux gestes de la vie quotidienne pouvant impliquer, dans le respect des mesures barrière et dans les lieux de faible concentration de personnes, d’enlever temporairement le masque en particulier pour les besoins d’une communication avec des personnes sourdes ou malentendantes ou pour la consommation d’aliments ou de boissons. Il appartient en outre aux agents verbalisateurs d’apprécier, le cas échant, dans un contexte donné, si l’infraction d’absence de port du masque est constituée. »
… ce qui peut, avec un peu d’optimisme, être considéré comme une invitation à ce que les agents verbalisateurs fassent preuve de discernement en ces deux domaines (cas des personnes sourdes et malentendantes, d’une part, consommations de nourriture et de boissons, d’autre part).
II.C. Validation du ort du masque obligatoire à Nancy
Le juge des référés du tribunal administratif de Nancy a été saisi en urgence d’un référé « liberté » en vue de suspendre les effets de l’arrêté du 7 septembre 2020 par lequel le préfet de Meurthe-et-Moselle a prolongé à Nancy l’obligation de port du masque de 7h00 à 2h00 dans le but de limiter la propagation du covid-19 et défini un périmètre élargi par rapport à celui initialement délimité par un précédent arrêté du 5 août 2020.
Par ordonnance du 14 septembre 2020, le juge des référés de ce TA a rejeté cette requête en considérant qu’au regard des circonstances locales, le nouvel arrêté préfectoral n’a porté aucune atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.
II.D. Application à des communes de taille moins grande, comme Bastia et Corte
Par deux arrêtés du 2 septembre 2020, le préfet de la Haute-Corse a rendu obligatoire le port d’un masque de protection dans les communes de Bastia et de Corte.
Se prévalant d’une atteinte grave à la liberté fondamentale d’aller et venir, des particuliers ont demandé au juge des référés du TA de Bastia, par une action en référé-liberté, d’enjoindre au préfet de modifier ses arrêtés ou d’en édicter de nouveaux en modulant la portée de l’obligation du port du masque en fonction de la densité de population et des périodes horaires.
Au regard des arguments invoqués, le juge des référés a considéré, tant pour Bastia que pour Corte, qu’il n’était pas manifeste que certaines zones au moins du territoire des communes concernées pourraient être exceptées de l’obligation de port du masque, ni qu’il y aurait une atteinte manifestement illégale à une liberté fondamentale en n’excluant pas certaines périodes horaires, alors qu’une telle exclusion ne pourrait être qu’une période nocturne présentant un intérêt très limité.
En conséquence, la requête a été rejetée.
> Lire l’ordonnance n° 2000913 du 8 septembre 2020
II.E. L’extension à un département en entier…
Voir TA Montreuil, 7 septembre 2020, n° 2009082 :
II.F. Reims, aussi, couronne son arrêté préfectoral
A Reims, aussi, avait été pris un arrêté préfectoral en matière de porte du masque à Reims, recours rejeté par le TA de Châlons-en-Champagne par une ordonnance 2001818 du 10 septembre 2020 :
II.G. Le bémol niçois
Le juge des référés du TA de Nice a suspendu l’arrêté du préfet des Alpes-Maritimes et impose le port du masque dans l’ensemble de l’espace public de la commune de Villeneuve Loubet.
Voir TA Nice, ord., 16 septembre 2020, n° 2003630 :