Aux termes du II de l’article L. 110-1 du code de l’environnement, les autorités s’inspirent, dans le cadre des lois qui en définissent la portée, du :
« principe de non-régression, selon lequel la protection de l’environnement, assurée par les dispositions législatives et réglementaires relatives à l’environnement, ne peut faire l’objet que d’une amélioration constante, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment. »
Le juge applique certes ce principe, mais de manière raisonnée, non absolue voire, parfois, un brin parcimonieuse :
- Environnement : déroger expérimentalement n’est pas régresser
- Néonicotinoïdes sur les betteraves : le Conseil constitutionnel refuse de saupoudrer la Constitution d’un principe de non-régression absolu
- Principe d’amélioration constante, de non régression, en matière de protection de l’environnement et, notamment, de biodiversité : ce principe s’applique-t-il à toutes les décisions publiques ?
- Pas de nouvelle exemption d’évaluation environnementale sauf cas d’incidence notable sur la santé ou l’environnement (application souple du principe de non régression ; courses de véhicules)
- Environnement : régression du principe de non régression… quoique (application parcimonieuse, mais application quand même, de ce principe)
- Néonicotinoïdes sur les betteraves : après le Conseil constitutionnel, au tour du Conseil d’Etat de refuser de saupoudrer la Constitution d’un principe de non-régression absolu
- Continuité écologique : tempête dans un cours d’eau (annulation, par le CE, de l’article 1er du décret du 3 août 2019)
NB : ces sources correspondent pour l’essentiel aux décisions suivantes : CE, 17 juin 2019, n° 421871, publié au recueil Lebon ; C. const., décision n° 2020-809 DC du 10 décembre 2020 (voir aussi auparavant et plutôt dans le même sens : décision n° 2016-737 DC du 4 août 2016) ; CE, 8 décembre 2017, n° 404391 ; TA La Réunion, 1ère chambre, 14 décembre 2017, n° 1401324 et 1500484 ; CE, ord., 15 mars 2021, n° 450194-450199 ; CE, 15 février 2021, n°435026 …
Or, le Conseil d’Etat vient d’en faire une spectaculaire application, en suspendant un arrêté du 26 décembre 2019 qui avait prévu que le ministre compétent pouvait, au cas par cas, autoriser des dérogations à l’interdiction faite, pour l’aérodrome de Beauvais-Tillé, que des aéronefs atterrissent ou décollent entre 0 heure et 5 heures.
En cause : la violation du principe de non-régression, avec un caractère plus absolu que ce qui résulte d’une lecture de toutes les références susmentionnées.
Citons la Haute Assemblée :
« 3. Les dispositions de l’arrêté attaqué donnent au ministre chargé de l’aviation civile le pouvoir d’accorder, au cas par cas, aux aéronefs effectuant des vols réguliers de transport de passagers et performants d’un point de vue acoustique, dont le dernier atterrissage était prévu entre 21 heures et 23 heures et dont le décollage est prévu le lendemain après 5 heures, le droit d’atterrir la nuit sur l’aéroport de Beauvais, par dérogation à l’interdiction posée par l’arrêté du 25 avril 2002, sans que soit limité le nombre de ces autorisations dérogatoires. Faute pour l’administration, d’une part, d’avoir encadré le surcroît du trafic aérien nocturne qui pourrait résulter de l’octroi de ces dérogations et d’autre part, d’avoir indiqué les motifs d’intérêt général qui pourraient le cas échéant les justifier, les associations requérantes sont fondées à soutenir que l’arrêté attaqué méconnaît les dispositions du 9° du II de l’article L. 110-1 du code de l’environnement. posant le principe de non-régression de la protection de l’environnement. »
Nombre de juristes saluent cette décision comme étant une victoire majeure du principe de non-régression, comme étant la preuve d’une application plus stricte de ce principe.
Nous nous permettons d’avoir un avis plus nuancé.
Il ne nous semble pas certain que le juge impose une vision plus stricte dans ce dossier de ce principe. Il nous paraît surtout que le juge impose que l’application, et les dérogations, à ce principe puissent être contrôlées par le juge, ce qui impose au minimum un peu de transparence et de justification par l’administration active. En clair : il ne nous semble pas que le juge rend plus strict l’application qu’il fait de ce principe, mais il censure une régression qui ne serait ni encadrée ni justifiée.
Alors les commentateurs enthousiastes ont-ils vraiment tort ? Non. Car il s’agit à l’évidence d’une victoire de l’application de ce principe (que chacun ensuite sur le fond du dossier en l’espèce s’en félicite ou le déplore). Surtout il s’agit d’une victoire du droit : notre Pays s’est doté d’un principe législatif important et dont l’essence même n’est pas sans écho dans notre charte de l’environnement, à valeur constitutionnelle… donc c’est bien le moins que les dérogations à ce principe législatif soient justifiées et contrôlables. Et comme le principe de non-régression n’aurait (sans doute) pas pu être ensuite brandi contre les décisions individuelles d’application de cet arrêté, il était logique que le Conseil d’Etat mît le holà sur ce point dès ce contentieux contre l’arrêté réglementaire.
Mais nous voulons signaler que la victoire de l’application de ce principe ne préjudicie pas au fait qu’ensuite, une fois que l’administration aura justifié son action et encadré ladite dérogation… il sera possible, voire probable, que le contrôle opéré alors par le juge restera somme toute très mesuré. Le juge a donc imposé que lorsqu’il y a dérogation à ce principe, celle-ci doit être limitée, encadrée (ce qui est bien le moins), se fonder sur des motifs d’intérêt général clairement énoncés (pour être contrôlables par le juge)… ce qui n’est tout de même pas si nouveau que cela (la formulation est juste moins implicite qu’auparavant sur ce dernier point).
Bref, oui, en ce domaine du trafic aérien nocturne, source notamment de pollution sonore, le principe de non-régression n’a fait qu’une toute petite envolée et il importe, sur ce point, d’atterrir un peu.
Voir les conclusions de Mme Sophie Roussel, rapporteure publique :
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