Par un avis contentieux à publier en intégral au recueil Lebon, le Conseil d’Etat vient de poser qu’il a, même en service public administratif (quand il y a, pour les collectivités territoriales, éligibilité au FCTVA pour la part investissement), inclusion de la TVA dans le montant d’une indemnité due par les constructeurs à une collectivité territoriale, maître d’ouvrage.
Par cet avis, le Conseil d’Etat commence par rappeler les bases :
« 1. D’une part, aux termes du premier alinéa de l’article 256 B du code général des impôts : ” Les personnes morales de droit public ne sont pas assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée pour l’activité de leurs services administratifs, sociaux, éducatifs, culturels et sportifs lorsque leur non assujettissement n’entraîne pas de distorsions dans les conditions de la concurrence. ”
« 2. D’autre part, aux termes du I de l’article L. 1615-1 du code général des collectivités territoriales : ” Les attributions ouvertes chaque année par la loi à partir des ressources du Fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée des collectivités territoriales visent à compenser la taxe sur la valeur ajoutée acquittée par les collectivités territoriales et leurs groupements sur leurs dépenses d’investissement ainsi que sur leurs dépenses pour : / 1° L’entretien des bâtiments publics et de la voirie ; / (…) “. »
Certes. Donc il y a exonération de TVA pour les SPA et assimilés, d’une part, et FCTVA quand il n’y a pas d’assujettissement à TVA, sous certaines conditions, d’autre part. La base connue de tous.
Or, se pose ensuite la question de savoir s’il y a TVA pour les indemnisations dues au maître d’ouvrage public pour des désordres affectant un de ses immeubles.
Deux considérations pouvaient conduire à des réponses négatives ; d’une part là c’est la collectivité qui percevrait la TVA alors qu’elle n’y est pas assujettie par défaut ; d’autre part elle bénéficie du FCTVA qui fait qu’ensuite, quand ladite collectivité exposera des dépenses pour réparer ces désordres, ladite collectivité aura une récupération (partielle) de TVA sur la part investissement.
Oui mais ce n’est pas ainsi que le juge a décidé de raisonner. La Haute Assemblée traite ces flux de la même manière qu’ils soient dans l’un ou l’autre sens, il les traite de la même manière que si nous parlions de flux exposés par la collectivité (laquelle paye ses travaux avec TVA bien sûr à quelques exceptions près) :
« 3. Le montant du préjudice dont le maître d’ouvrage est fondé à demander la réparation aux constructeurs à raison des désordres affectant l’immeuble qu’ils ont réalisé correspond aux frais qu’il doit engager pour les travaux de réfection. Ces frais comprennent, en règle générale, la taxe sur la valeur ajoutée, élément indissociable du coût des travaux, à moins que le maître d’ouvrage ne relève d’un régime fiscal lui permettant normalement de déduire tout ou partie de cette taxe de celle qu’il a perçue à raison de ses propres opérations. »
D’où le point suivant :
« 4. Il résulte des dispositions de l’article 256 B du code général des impôts que les collectivités territoriales ne sont pas assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée pour l’activité de leurs services administratifs. Si, en vertu des dispositions de l’article L. 1615-1 du code général des collectivités territoriales, le fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée vise à compenser la taxe sur la valeur ajoutée acquittée par les collectivités territoriales notamment sur leurs dépenses d’investissement, il ne modifie pas le régime fiscal des opérations de ces collectivités. Ainsi, ces dernières dispositions ne font pas obstacle à ce que la taxe sur la valeur ajoutée grevant les travaux de réfection d’un immeuble soit incluse dans le montant de l’indemnité due par les constructeurs à une collectivité territoriale, maître d’ouvrage, alors même que celle-ci peut bénéficier de sommes issues de ce fonds pour cette catégorie de dépenses.»
Cette solution actualise, sans la bouleverser, ce qui avait déjà été fixé par le Conseil d’Etat sous l’empire du fonds d’équipement prévu par l’article L.235-13 du code des communes (CE, Section, 19 avril 1991, SARL Cartigny, n° 109322, rec. p. 163).
Mais, surtout vu le caractère automatique du FCTVA, remplaçant des fonds qui l’étaient moins, n’y a-t-il pas récupération indue d’une somme par la collectivité territoriale, semblait se poser la CAA de Marseille, qui avait ainsi, de manière claire, posé sa question au Conseil d’Etat :
« 1°) Le fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée prévu par les dispositions de l’article L. 1615-1 du code général des collectivités territoriales permet en principe aux collectivités territoriales de récupérer intégralement le montant de la taxe sur la valeur ajoutée qu’elles ont acquittée sur leurs dépenses réelles d’investissement. Au regard des garanties de compensation intégrale apportées par ce mécanisme budgétaire et comptable, les collectivités territoriales doivent-elles être présumées bénéficier d’un remboursement intégral de la taxe sur la valeur ajoutée grevant le coût des travaux de reprise qu’elles doivent engager ‘»
« 2°) Le montant de l’indemnité versée par la personne condamnée à réparer le préjudice résultant des désordres affectant l’ouvrage doit-il dès lors exclure le montant de la taxe sur la valeur ajoutée grevant le coût des travaux de réfection, charge étant à la collectivité qui demande l’indemnisation de son préjudice toutes taxes comprises de justifier qu’elle n’a pu ou ne pourra bénéficier d’une compensation intégrale de la taxe par le fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée ».
La CAA avait raison : si la collectivité reçoit la TVA, puis dépense avec TVA, puis récupère avec FCTVA, on glisse vers un double paiement de sommes correspondant à la TVA.
Et, on le voit par la manière de poser ces questions par la CAA (voir ici CAA de MARSEILLE, 6ème chambre, 07/03/2022, 19MA03382)… le juge d’appel invitait à mi-mots le Conseil d’Etat à adopter une autre solution (non adjonction de la TVA dans le montant de l’indemnisation ; ajustements sur le FCTVA… qui eussent été complexes en fait ce qui sans doute conduit le Conseil d’Etat à maintenir sa position).
D’où le résumé que voici dans la base Ariane et qui préfigure celui des tables :
«Le montant du préjudice dont le maître d’ouvrage est fondé à demander la réparation aux constructeurs à raison des désordres affectant l’immeuble qu’ils ont réalisé correspond aux frais qu’il doit engager pour les travaux de réfection. Ces frais comprennent, en règle générale, la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), élément indissociable du coût des travaux, à moins que le maître d’ouvrage ne relève d’un régime fiscal lui permettant normalement de déduire tout ou partie de cette taxe de celle qu’il a perçue à raison de ses propres opérations. Il résulte de l’article 256 B du code général des impôts (CGI) que les collectivités territoriales ne sont pas assujetties à la TVA pour l’activité de leurs services administratifs. Si, en vertu de l’article L. 1615-1 du code général des collectivités territoriales (CGCT), le fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) vise à compenser la TVA acquittée par les collectivités territoriales notamment sur leurs dépenses d’investissement, il ne modifie pas le régime fiscal des opérations de ces collectivités. Ainsi, ces dernières dispositions ne font pas obstacle à ce que la TVA grevant les travaux de réfection d’un immeuble soit incluse dans le montant de l’indemnité due par les constructeurs à une collectivité territoriale, maître d’ouvrage, alors même que celle-ci peut bénéficier de sommes issues de ce fonds pour cette catégorie de dépenses. »
Source :
Conseil d’État, 19 décembre 2022, n° 462156, publié au recueil Lebon
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