Le Conseil d’Etat valide le droit préfectoral de dérogation

Un régime, très limité, très encadré, permet aux préfets de déroger, dans certaines matières, aux “normes arrêtées par l’administration” pour prendre des décisions non règlementaires relevant de leur compétence. Ce régime, expérimenté en 2017 et généralisé (ainsi que pérennisé) en 2020, vient d’être dans son principe validé par le Conseil d’Etat. La décision, rendue hier par la Haute Assemblée, était assez attendue mais sans suspens excessif car déjà une décision n° 421871 de 2017 allait dans ce sens. Et (avec les expérimentations, le principe de différenciation de la loi 3DS… l’heure n’est-elle pas à l’acceptation des différences ?).

 

 

I. L’expérimentation (2017)

 

Le 29 décembre 2017, était pris le décret n° 2017-1845 relatif à l’expérimentation territoriale d’un droit de dérogation reconnu au préfet (NOR: INTA1731553D). Voir :

NB : sur le contrôle du juge opéré en la matière voir : 

L’expérimentation a, dans un premier temps, porté sur : tous les départements de la région Pays de la Loire ; tous les départements de la région Bourgogne-Franche-Comté ; Mayotte ; le Lot ; le Bas-Rhin ; le Haut-Rhin ; la Creuse ; Saint-Barthélemy ; Saint-Martin.

Une circulaire n° 6007/SG du 9 avril 2018, signée par le Premier Ministre, faisait le point (avec trop de peu de détails ; tout lecteur du décret ne trouve dans cette circulaire qu’un résumé à peine plus opérationnel) sur ce sujet. Voir :

 

Rappelons qu’en parallèle :

 

A court terme, la mise en place de ce décret 2017-1845 faisait donc aussi figure de ballon d’essai en attendant des perspectives plus vastes.

 

II. La pérennisation et l’extension (2020)

 

De fait, c’est une expérimentation doublement limitée qui fut mise en place à court terme qui a ensuite été pérennisée (et étendue à tout le territoire national à quelques détails près) par l’intervention du Décret n° 2020-412 du 8 avril 2020 relatif au droit de dérogation reconnu au préfet (NOR: INTA1931348D) :

 

L’expérimentation permet de prendre des décisions non réglementaires relevant de la compétence du préfet (ce qui limite beaucoup les choses) dans les matières (nombreuses) suivantes :

1° Subventions, concours financiers et dispositifs de soutien en faveur des acteurs économiques, des associations et des collectivités territoriales ;
2° Aménagement du territoire et politique de la ville ;
3° Environnement, agriculture et forêts ;
4° Construction, logement et urbanisme ;
5° Emploi et activité économique ;
6° Protection et mise en valeur du patrimoine culturel ;
7° Activités sportives, socio-éducatives et associatives

De même les limites à tout acte pris en ce domaine restent-elles exactement inchangées :

La dérogation doit répondre aux conditions suivantes :
1° Etre justifiée par un motif d’intérêt général et l’existence de circonstances locales ;
2° Avoir pour effet d’alléger les démarches administratives, de réduire les délais de procédure ou de favoriser l’accès aux aides publiques ;
3° Etre compatible avec les engagements européens et internationaux de la France ;
4° Ne pas porter atteinte aux intérêts de la défense ou à la sécurité des personnes et des biens, ni une atteinte disproportionnée aux objectifs poursuivis par les dispositions auxquelles il est dérogé.

NB : bien sûr, la décision de déroger prend la forme d’un arrêté motivé, publié au recueil des actes administratifs de la préfecture.

Il est vrai que pour beaucoup de départements, tout ceci va être totalement nouveau et il ne faut pas aller plus vite que les capacités d’adaptation propres à chaque préfecture, déjà rendues complexes par le contexte actuel (et en même temps certaines de ces dérogations pourront être utiles ces temps-ci)…

Surtout, le blocage sur ce point restera souvent la grande pusillanimité de certaines préfectures (pas toutes bien sûr)…

 

 

III. La validation (2022)

 

Hier, le Conseil d’Etat a validé ce décret de 2020 autorisant les préfets de région et de département, ainsi que les représentants de l’Etat dans les collectivités d’outre-mer à déroger, dans certaines matières, aux “normes arrêtées par l’administration” pour prendre des décisions non règlementaires relevant de leur compétence.

Le Conseil d’Etat dans sa décision s’est fondé sur le fait que ces dérogations s’avèrent fort encadrées puisque celles-ci ne peuvent :

  • être décidées qu’afin d’alléger les démarches administratives, de réduire les délais de procédure ou de favoriser l’accès aux aides publiques.
  • intervenir que dans des matières limitativement énumérées.
  • être accordées, dans le respect des normes juridiques supérieures :
    • que si elles sont justifiées par un motif d’intérêt général,
    • qu’elles ne portent pas atteinte aux intérêts de la défense ou à la sécurité des personnes et des biens, ni ne portent d’atteinte disproportionnée aux objectifs poursuivis par les dispositions auxquelles il est dérogé.
  • ne peuvent intervenir que si et dans la mesure où des circonstances locales justifient qu’il soit dérogé aux normes applicables, sans permettre aux préfets, dans le ressort territorial de leur action, de traiter différemment des situations locales analogues.

Dans ces conditions, eu égard au champ du décret attaqué et à ses conditions de mise en oeuvre, dont le respect est placé sous le contrôle du juge administratif, la possibilité reconnue aux préfets, à raison de circonstances locales, de déroger à des normes établies par l’administration, laquelle ne devrait pas conduire à des différences de traitement injustifiées, n’est pas contraire au principe d’égalité, selon la Haute Assemblée.

La décision, rendue hier par la Haute Assemblée, était assez attendue mais sans suspens excessif car déjà la décision précitée (au sein du I supra) n° 421871 de 2017 allait dans ce sens. Et (avec les expérimentations, le principe de différenciation de la loi 3DS… l’heure n’est-elle pas à l’acceptation des différences ?).

 

Source : Conseil d’État, 21 mars 2022, n° 440871, à publier au recueil Lebon

 

 

 

 

Voir aussi :