Edifices cultuels : la radicalité du propos ne suffit toujours pas à fonder une fermeture

Edifices cultuels : la relative radicalité du propos ne suffit pas à fonder une fermeture, comme vient de l’illustrer une intéressante décision du TA de Bordeaux.

Encore en effet faut-il en sus que les « propos qui sont tenus, les idées ou théories qui sont diffusées ou les activités qui se déroulent provoquent à la violence, à la haine ou à la discrimination, provoquent à la commission d’actes de terrorisme ou font l’apologie de tels actes », ce qui ne semblait pas être le cas en l’espèce. 

Revenons sur ce régime avant que d’aborder ladite nouvelle décision. 

 

I. Rappel du cadre juridique en ce domaine

I.A. Existe-t-il un cadre légal propre à la fermeture des édifices cultuels ?

Oui. La procédure, prévue par l’article L. 227-1 du Code de la sécurité intérieure (CSI), issu de la loi n°2017-1510 du 30 octobre 2017, et modifié par  l’article 87 de  la n°2021-1109 du 24 août 2021, impose :

  • que la mesure vise à « prévenir la commission d’actes de terrorisme »
  • que la mesure soit prise par arrêté motivé du préfet (ou, à Paris, du préfet de police)
  • que dans ce lieu de culte l’on puisse prouver que :« les propos qui sont tenus, les idées ou théories qui sont diffusées ou les activités qui se déroulent provoquent à la violence, à la haine ou à la discrimination, provoquent à la commission d’actes de terrorisme ou font l’apologie de tels actes. »
  • que la durée de cette fermeture soit :
    • d’une part proportionnée aux circonstances qui l’ont motivée
    • et, d’autre part, n’excèdent en tout état de cause pas six mois
  • que la procédure donne lieu à contradictoire au préalable (accès aux pièces du dossier, droit à présenter sa défense… sauf peut être en cas d’urgence absolue) et que l’arrêté de fermeture soit assorti d’un délai d’exécution qui ne peut être inférieur à quarante-huit heures.

 

Si une personne y ayant un intérêt a saisi le tribunal administratif, dans ce délai, d’un référé de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, la mesure ne peut être exécutée d’office avant que le juge des référés ait informé les parties de la tenue ou de l’absence de tenue d’une audience publique en application du deuxième alinéa de l’article L. 522-1 du même code ou, si les parties ont été informées d’une telle audience, avant que le juge ait statué sur la demande.

NB ce régime peut dans certains cas s’étendre aux annexes dudit lieu de culte. 

Il est à souligner que ce régime a donné lieu à un examen sans censure par le Conseil constitutionnel, sur ce point précis de la loi de 2017 (décision n° 2017-695 QPC du 29 mars 2018 – M. Rouchdi B. et autre). Voir :

 

I.B. Sait-on comment le juge administratif examine de telles affaires ?

Oui. Certes, il importe de faire le tri entre les jurisprudences rendues durant l’état d’urgence, d’une part, et sous l’empire de la loi de 2017, précitée, d’autre part… mais ces régimes sont si proches qu’il ne faut pas non plus rejeter les jurisprudences prises sous l’état d’urgence.

NB : nous parlons de l’état d’urgence, et pas de l’état d’urgence sanitaire, bien sûr. 

Le TA de Versailles avait confirmé qu’il n’exerce qu’un contrôle très limité  sur les mesures administratives de fermeture d’un lieu de culte et qu’au nombre des éléments de preuve, il acceptait de prendre en compte les notes blanches de la police et le TA avait rejeté les propositions d’amélioration pourtant précises de l’association gestionnaire du lieu de culte (en tant qu’elles devraient alors soutenir une demande d’abrogation plus que d’annulation ou de suspension de l’acte querellé) :

 

On retrouvait là à peu près le même raisonnement que celui qui avait été tenu pendant l’état d’urgence sanitaire par le TA de Melun, avec une  prise en compte sans trop de distance sur les « notes blanches » de la Police ou de la Gendarmerie, ce qui rend à peu près vide le contrôle au fond de l’adéquation entre la mesure prise et la dangerosité des imams ou des tentatives de recrutement de fidèles vers des réseaux dangereux, en lien avec tel ou tel lieu de culte . Voir :

 

Ces positions qui avaient été confirmées par le CE, surtout en ce domaine et d’autres connexes, en période d’état d’urgence :

 

Il n’en demeure pas moins que le juge a pu prendre, ou devoir prendre (vu les faits), des positions plus complexes, voire plus nuancées. Voir, même si l’on s’éloigne alors du cadre juridique propre à la légalité, ou non, des fermetures administratives de lieux de culte :

 

Surtout, pour ce qui est des fermetures de lieux de culte post-état d’urgence,  s’impose la lecture de l’arrêt du Conseil d’Etat en date du 31 janvier 2018.

L’intérêt de cette affaire portait sur le niveau de contrôle alors que nous ne sommes plus en période d’état d’urgence. Certes, il continue de s’agir d’un contrôle de proportionnalité (comme toujours en matière de police administrative). Mais il nous semble que le juge s’est attaché à démontrer qu’il avait vérifié des faits avec des éléments de preuve ou de présomption, laissant peut-être un peu moins la bride sur le cou à l’administration.

Source : CE, 31 janvier 2018, Association des musulmans du boulevard National, n° 417332.

Voir, pour accéder à cet arrêt et à une analyse plus détaillée :

Mais c’est surtout dans l’affaire de la mosquée de Pantin que le juge a fixé sa jurisprudence.

TA Montreuil, 27 octobre 2020, n° 2011260

CE, ord., 25 novembre 2020, n° 446303 :

 

Ainsi en fonction de ce mode d’emploi le TA d’Amiens avait-il récemment posé que des prêches haineux rediffusés en ligne, retirés très tardivement, peuvent fonder une fermeture préfectorale :

 

Oui mais non sans limites, posées par le CSI, comme vient de le rappeler le TA de Bordeaux.

 

II. La nouvelle ordonnance du TA de Bordeaux

 

Le tribunal administratif de Bordeaux a en effet suspendu l’arrêté de la préfète de la Gironde prononçant la fermeture de la mosquée « Al Farouk » de Pessac… la radicalité de certains propos ne suffisant pas à répondre aux exigences du code de la sécurité intérieure (encore faut-il qu’il y ait des propos provoquant par la haine et la violence au terrorisme ou à son apologie…).

NB ce qui suit reprend pour partie le communiqué du TA qui nous semble fidèle à l’ordonnance. 

Le juge des référés retient que, malgré leur caractère critiquable, les publications ayant motivé cette fermeture ne présentaient pas un caractère extrémiste au point de provoquer, par la haine et la violence, à la commission d’actes de terrorisme.
La préfète de la Gironde a, par arrêté du 14 mars 2022, prononcé la fermeture de la « Mosquée Al Farouk de Pessac », sur le fondement de l’article L. 227-1 du code de la sécurité intérieure, en considérant que l’association gestionnaire de ce lieu de culte, et le président de celle-ci diffusaient sur les sites internet et réseaux sociaux des messages et relayaient des écrits de tiers de nature à provoquer à la violence, à la haine ou à la discrimination, susceptibles d’encourager à la commission d’actes de terrorisme. L’association a saisi le juge des référés-liberté du tribunal administratif aux fins d’obtenir la suspension de cette décision de fermeture.
Dans son ordonnance rendue le 22 mars 2022, le juge des référés, statuant dans une formation collégiale, a d’abord, pris en compte la circonstance que, avant la décision de fermeture, l’association avait supprimé les écrits dénoncés par l’autorité préfectorale et pris des mesures pour éviter le renouvellement de provocations à la violence ou à la haine en procédant au remplacement du gestionnaire du site et en désignant un modérateur.
Il a reconnu qu’un certain nombre de publications étaient critiquables, notamment en ce qu’elles laissaient croire à l’existence d’une islamophobie généralisée en France et qu’elles remettaient en cause le principe de laïcité et la liberté d’expression.
Il a toutefois estimé qu’elles ne présentaient pas un caractère extrémiste au point de provoquer, par la haine et la violence, à la commission d’actes de terrorisme.
Le juge des référés a ainsi jugé que la décision de fermeture de la mosquée pour une durée de six mois présentait un caractère disproportionné par rapport à l’objectif de prévention des actes de terrorisme et portait ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de culte.

 

Source : TA Bordeaux, ord., 22 mars 2022, n° 2201564 (cliquer ici pour y accéder sur un site dudit TA)