Mairies et neutralité : principes et réalités

Petit rappel d’actualité : citoyens, élus y compris, peuvent penser, parler, manifester.

Mais la mairie, elle, est supposée, rester drapée dans le principe de neutralité. Avec quelques subtilités toutefois.

Et, surtout, avec des questions de procédures contentieuses qui vident peut-être (peut-être…) le principe de neutralité de son effectivité. 

 

On peut se battre pour ses idées. On peut vouloir lever le poing ou au contraire remettre l’église au milieu du village. 

Mais de grâce, laissons les mairies au coeur de la neutralité. 

Et le droit nous y engage (quelles que soient nos opinions en tant que citoyens par ailleurs).

Au moment où les mairies affichent à leurs frontons leurs positions en matière de réforme des retraites, ou decident de fermer tout ou partie de leurs services mardi prochain, rappelons quelques éléments de base en droit.

 

I. Des jurisprudences claires et constantes

 

  • s’agissant des affichages aux frontons des mairies, le droit est clair et conforme au fait que la collectivité publique est une figure symbolique qui est là pour nous rassembler, pas pour nous diviser :
    • « le principe de neutralité des services publics s’oppose à ce que soient apposés sur les édifices publics des signes symbolisant la revendication d’opinions politiques, religieuses ou philosophiques, »
      (CE, 27 juillet 2005, Cne de Ste Anne, n°259806, publié au rec.).
  • pour le reste, en matière de grèves ou de litiges politiques, la mairie peut s’investir dans les aides sociales aux personnes (familles de grévistes par exemple), mais pas entrer dans le combat politique lui-même. Une commune peut soutenir un festival ou une conférence mais pas si ces événements glissent vers la manifestation politique même feutrée, nimbée d’intellectualisme. Même certains éditoriaux de maires ou des jumelages ont pu être censurés à ce titre.  :

Cependant, il arrive que le juge finisse par entrer dans de jésuitiques vaticinations s’il lui faut intégrer l’héritage religieux de notre Pays dans nos blasons ou nos crèches de Noël : voir ici, , puis de ce côté-ci, voire par là.

De même le juge a-t-il pu autoriser que des communes s’impliquent directement dans des débats humanitaires devenant politiques, mais ce fut au nom du régime, bien distinct, de ce que l’on appelle la coopération décentralisée, et ce à la faveur de la formulation, large, en ce domaine, du premier alinéa de l’article L. 1115-1 du CGCT (TA Lyon, 21 janvier 2016, n° 1308206 ; TA Montpellier, 19 octobre 2021, n°2003886 ; TA Paris, 2e sect. – 2e ch., 12 sept. 2022, n° 1919726 ; TA Nantes, 19 octobre 2022, n°202012829 ; voir aussi ici une vidéo à ce propos).

NB : non je ne prends pas le risque de nuire à une commune cliente en écrivant cela… car c’est vraiment de la base. Nul ne sera assez maladroit pour écrire un mémoire contentieux niant ce qui précède. Sauf à vouloir discourir plus pour plaire à son client que pour convaincre le juge, pratique indigne (mais fréquente) revenant à sacrifier l’intérêt du client à l’intérêt commercial de l’avocat (ce que nous nous refusons à faire, bien évidemment). 

 

II. Mais les règles claires qui en résultent sont obscurcies par des questions plus complexes tenant à l’effectivité (et donc à la rapidité) de la sanction juridictionnelle en ce domaine

 

Conclusion :

  • messages politiques ou syndicaux aux frontons des mairies : non jamais

  • aide aux familles de grévistes ou autres actions sociales : oui mais avec prudence

  • fermeture d’une mairie parce que le nombre de grévistes conduit à ce que ce soit la moins mauvaise des solutions : oui pourquoi pas si la communication municipale ne conduit pas à invalider à l’évidence ce motif en tant qu’il fonde cette décision

  • fermeture militante : non. Jamais.

 

Tout ceci, les communes l’ignorent-elles ? Non bien sûr. Tout de même, ce que nous venons d’ânonner relève de la vulgate de base.

Ces communes s’exposent donc à une annulation, dans un an ou deux, de la décision consistant à avoir pris la décision de fermer la mairie ou d’avoir affiché une banderole. Soit. La belle affaire, concrètement.

Un usager gêné par cette fermeture pourrait demander indemnisation dans certains cas en cas de préjudice direct et certain résultat de cette fermeture illégale… ce qui est de peu d’effet tant que les services publics vitaux restent opérationnels.

Donc le seul débat est concrètement de savoir si l’affaire peut être traitée en référé liberté pour réellement donner lieu à une réponse concrète du juge d’ici à mardi. Mais… là… là… je ne puis en parler dans le présent petit article de blog. Car d’ici à mardi, qui sait si un client ne me demandera pas de plaider dans un sens ou l’autre ?
Joker.


 

Voir aussi sur le fait qu’à ce principe de neutralité sur les bâtiments publics s’ajoute bien sûr le principe de respect de la dignité de la personne humaine, mais il s’agit d’un autre sujet (cependant je ne résiste pas au plaisir de vous rappeler cette affaire qui met à nu d’étranges pratiques carabinesques) :