Un maire peut-il imposer en tous lieux le port du masque ? Pour le TA de Cergy-Pontoise, c’est NON.

Par arrêté, le 6 avril 2020, le maire de Sceaux, a adopté un arrêté ayant pour objet une « obligation de porter un dispositif de protection buccal et nasal » lors des « déplacements dans l’espace public des personnes de plus de 10 ans ». 

La Ligue des Droits de l’Homme (LDH) a demandé la suspension de cet arrêté en référé liberté et elle a gagné devant le TA de Cergy-Pontoise.

L’affaire est intéressante et confirme nos analyses antérieures sur les marges de manoeuvre, somme toute étroites, dont disposent les maires à ce stade. Voir :

 

I. Le maire peut bien agir (ce qui pouvait être discuté, au moins avant le 22 mars 2020)

 

I.A. Le maire de Sceaux pouvait, sur le principe, pour des mesures plus contraignantes que celles de l’Etat, pose le TA

Le juge des référés rappelle au préalable :

  • qu’il appartient à l’Etat face à une épidémie telle que celle que connaît aujourd’hui la France, de prendre, afin de sauvegarder la santé de la population, toute mesure de nature à prévenir ou limiter les effets de cette épidémie. Parmi ces mesures, figurent celles restreignant ou interdisant la circulation des personnes et des véhicules.
  • Mais ce pouvoir de police détenu par le Premier ministre et le ministre de la Santé ne fait pas obstacle à ce que, le maire adopte pour sa commune des mesures plus contraignantes permettant d’assurer la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques, pour autant que les circonstances locales particulières le justifient notamment au regard de la menace de l’épidémie.

 

I.B. Cette position est conforme à celle de la jurisprudence qui se construit sur le Covid-19, et sur ce point le droit commence d’être clair depuis le 22 mars 2020 (clarification utile car le juge sur ce point tranche domaine par domaine, sur ces questions de comptabilité entre pouvoir de police générale et pouvoir de police spéciale)

 

Il est ce stade à rappeler que, si l’existence de pouvoirs de police spéciale ont pu souvent laisser place à l’usage de pouvoirs de police générale (voir le célèbre arrêt Lutetia du 18 décembre 1959, pour des exemples plus récents, voir la possibilité d’usage de pouvoir de police générale alors qu’il existe un pouvoir de police spéciale du SPANC (CE, 27 juillet 2015, 367484, rec.) ou un pouvoir de police spéciale en matière de discothèques (voir CAA Versailles, 4 juillet 2019, 16VE02718)… Il n’est pas rare que le juge inversement :

Alors qu’allait dire le juge administratif  ? Il devenait assez clair que le juge administratif allait laisser une place à l’exercice des pouvoirs de police du maire depuis une décision du Conseil d’Etat (CE, ord., 22 mars 2020, n° 439674)  :

En effet, cette décision du Conseil d’Etat, rendue en formation collégiale, sous la présidence du Président de la Section du contentieux, en référé liberté, mentionnait à trois reprises (aux points 2., 15. et 16.) que le maire pouvait agir en ces domaines.

Depuis, les juridictions ont été unanimes à poser que le maire conserve un usage de ses pouvoirs de police générale face au pouvoir de police spéciale donc (contrairement donc à ce que le juge a décidé en d’autres domaines ; mais conformément à son attitude la plus fréquente : voir ci-avant).

Citons les jurisprudences suivantes en ce sens sur le Covid-19 : TA de La Guadeloupe, 27 mars 2020, n°2000294 (voir ici) ; TA Caen ord., 31 mars 2020, n°2000711 (voir ici) TA Montreuil, ord. 3 avril 2020, n°2003861 (voir ici).

 

II. Mais le TA a estimé, en l’espèce, que la mesure décidée par le maire n’était pas proportionnée à une spécificité des circonstances locales. Et c’est là nous semble-t-il l’apport principal de cette décision : c’est (ce qui est conforme au droit usuel en matière de pouvoirs des police) à l’aune de ces circonstances locales que peut être défendu un tel arrêté

 

II.A. L’affaire de Sceaux devint une question d’adaptation, ou non, à des circonstances spécifiquement locales

 

Le TA a posé que si le maire prend des mesures de police plus contraignantes de nature à porter une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, le juge, saisi d’une demande justifiée par l’urgence, peut dans un délai de 48 heures prendre toute mesure de nature à faire cesser une telle atteinte.

Pour justifier l’arrêté contesté, la commune faisait valoir que le port d’un masque ne faisait que renforcer les « mesures barrières » actuellement en vigueur et que ce port était d’ailleurs recommandé par l’Académie nationale de Médecine pour les sorties nécessaires en période de confinement.

Le juge des référés a tranché dans un sens défavorable à la commune, favorable à la LDH, en posant que :

  • l’importance de la restriction immédiate apportée à la liberté d’aller et venir et à la liberté personnelle justifiait qu’il intervienne en urgence au sens du référé liberté (comme les autres juridictions, mais le caractère plus léger du port d’un masque, par rapport aux obligations plus lourdes d’autres mesures, telle celle d’un couvre-feu, eussent pu conduire le juge à une autre attitude. Le juge est donc clairement soucieux de pouvoir trancher ces affaires en référé liberté dans le contexte actuel, quitte à poser que le port d’un masque atteinte aux libertés, ce qui se conçoit en pratique mais eût pu être discuté en droit… sauf à ce que la pénurie de masque ne conduise à en réalité porter atteinte à la possibilité même d’user de la liberté d’aller et de venir, qui elle est constitutionnellement indiscutable ; le juge semble avoir fait ce glissement, mais à mi-mots)
  • le maire ne justifiait pas que des risques sanitaires propres à sa ville du fait de l’absence de port d’un masque lors des déplacements des habitants, nonobstant le taux de personnes âgées dans la commune brandi par la défense de celle-ci. Cette ligne de défense (mais à ce stade un avocat fait ce qu’il peut…) en fait soulevait plus de difficultés qu’elle n’en résolvait : voir ci-après II.B. car c’est là que se trouve sans doute le principal enseignement de cette ordonnance.
  • rien, selon le juge donc, ne permet de retenir que la protection des personnes âgées ne pouvait pas être assurée par des mesures moins attentatoires aux libertés fondamentales.

Le juge des référés considère ainsi que l’arrêté du maire de Sceaux, manifestement illégal puisque justifié par aucune circonstance locale, porte une atteinte grave à la liberté fondamentale d’aller et de venir et à la liberté personnelle des personnes concernées et en a suspendu l’exécution.

Le TA nous semble avoir été sévère car en réalité la contrainte de devoir porter un masque (à la condition d’en trouver un ou de pouvoir en fabriquer un…) n’est tout de même que peu attentatoire aux libertés. Raisons de plus pour étudier les leçons de cette affaire (ci-après II.B.) , en attendant de voir si cette ordonnance sera, ou ne sera pas, soumise à la censure du Conseil d’Etat. 

 

II.B. Toute est donc une question d’adaptation au cas par cas, aux circonstances locales, avec un besoin de point juridique très en amont car, comme souvent, dans cette affaire, la politique — méritoire — de la commune s’est retournée contre celle-ci

 

Les principes, en matière de pouvoirs de police restent ceux posés par le commissaire du Gouvernement Corneille (sur CE, 10 août 1917, n° 59855) : « La liberté est la règle et la restriction de police l’exception»

Il en résulte un contrôle constant et vigilant, voire sourcilleux, du juge administratif dans le dosage des pouvoirs de police en termes :

  • de durée (CE Sect., 25 janvier 1980, n°14 260 à 14265, Rec. p. 44) ;
  • d’amplitude géographique (CE, 14 août 2012, n° 361700) ;
  • de contenu même desdites mesures (voir par exemple CE, Ass., 22 juin 1951, n° 00590 et 02551 ; CE, 10 décembre 1998, n° 107309, Rec. p. 918 ; CE, ord., 11 juin 2012, n° 360024…).

Autrement posé, l’arrêté est-il mesuré en termes : de durée, de zonages et d’ampleur, en raison des troubles à l’Ordre public, à la sécurité ou la salubrité publiques, supposés ou réels qu’il s’agissait d’obvier .

MAIS comme le juge estime que le pouvoir de police générale ne peut être QUE complémentaire du pouvoir de police spéciale donné à l’Etat… c’est bien à l’aune des circonstances locales que la commune pourra justifier de son arrêté.

Et, là, l’affaire de Sceaux devient très pédagogique pour les maires.

Prenons la principale ligne de défense de la ville qui arguait de son fort taux de personnes âgées : cette ligne de défense s’est retournée contre la commune car elle portait en effet surtout sur la sortie du confinement, ligne de défense donc inopérante pour la période actuelle qui (ne le martèle-t-on pas à longueur de médias ?) n’est pas celle de la levée du confinement.

Mais surtout, retenons sur ce point un autre fait : le juge des référés soulignait sur ce point que s’agissant des personnes âgées, des mesures ont déjà été mises en place par la commune pour protéger cette population, notamment à travers un service de courses livrées à domicile….

DONC :

  • à ce jour nul besoin de masques pour ces publics âgés à préserver
  • et lors de la sortie du confinement, d’autres mesures pourront être prises le moment venu, mais le moment n’était, sur ce point, pas encore venu selon le juge.

CONCLUSIONS :

  • il faut toujours proportionner son arrêté
  • à des dangers qu’il faut pouvoir démontrer et c’est là en général que les dossiers ne sont pas assez « blindés », « bétonnés » en amont (il faut accumuler les preuves, mobiliser du personnel et des témoignages, en très peu de temps certes, AVANT la prise de l’arrêté)
  • le tout proportionné à des libertés que le juge regarde de manière large, scrupuleuse, comme en l’espèce, surtout pour les arrêtés municipaux (à comparer avec les arrêtés préfectoraux : voir Covid-19 et pouvoirs de police : après une nouvelle rafale de jurisprudences, l’heure des bilans juridiques )
  • et tout ceci doit donner lieu à association des juristes (et si possible de l’avocat de votre choix… mais celui-ci doit être en droit public !) : prenons l’exemple des livraisons de repas. Ce n’est pas la première fois que nous voyons — nous le vivons comme avocats — les bonnes initiatives de la commune sur le terrain se retourner contre elles lorsque la commune veut montrer qu’elle n’a pas d’autre voie d’action que l’arrêté de police un peu musclé ! Là en l’espèce, la commune n’a pas pu montrer que les personnes âgées ne pouvaient se satisfaire de ces livraisons alors que des études, par exemples psychologiques, sur les besoins de sortie desdites personneseussent par exemple peut-être pu changer la donne. Attention donc à bien voir son avocat BIEN EN AMONT…

 

Voici cette ordonnance :

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE CERGY-PONTOISE

N° 2003905

_____________

Ligue des Droits de l’Homme _____________

Mme…
Juge des référés _____________

Ordonnance du 9 avril 2020 _____________
PCJA : 54-035

Code publication : C

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

La juge des référés,

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 21 janvier 2020, la Ligue des Droits de l’Homme, représentée par la SCP Spinosi, demande au juge des référés, statuant par application de l’article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d’ordonner la suspension de l’arrêté n°2020-167 en date du 6 avril 2020 pris par le maire de la commune de Sceaux ayant pour objet une « obligation de porter un dispositif de protection buccal et nasal » lors des « déplacements dans l’espace public des personnes de plus de 10 ans » ;

2°) de mettre à la charge de la commune de Sceaux la somme de 5 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

L’association soutient que :

– elle a intérêt pour agir, dès lors que l’arrêté en litige porte une atteinte grave et manifestement illégale à des libertés fondamentales dont la protection constitue le fondement même de son objet social et que, dans un contexte particulier qui concerne l’ensemble du territoire national, la mesure qu’il édicte a vocation à être reprise par de nombreux maires ;

– il y a urgence en ce que l’arrêté en litige affecte gravement les droits et libertés de l’ensemble de la population de la commune, mais aussi plus généralement, les intérêts statutaires de l’association requérante, comme l’intérêt public, et qu’il instaure un dispositif de sanction pénale par l’infliction de l’amende prévue pour les contraventions de 1ère classe ;

– l’acte en litige porte une atteinte manifestement illégale à la liberté d’aller et venir, au droit au respect de la vie privée et familiale, à la liberté du commerce et de l’industrie et à la liberté personnelle, pour avoir été pris par une autorité incompétente, dès lors que l’édiction de mesures de police a été réservée par les textes relatifs à l’état d’urgence sanitaire aux autorités nationales et aux préfets de département, et que la subordination de toute sortie de son domicile au port d’un dispositif de protection buccal et nasal qu’il met en œuvre est injustifiée et disproportionnée, en ce qu’elle interdit tout déplacement autre qu’individuel, limité dans le temps et conditionné par le port d’un masque sans qu’aucune circonstance locale particulière à la commune de Sceaux le justifie.

Par un mémoire en défense et un mémoire en production de pièces, enregistrés le 8 et le 9

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avril 2020, la commune de Sceaux, représentée par DM-Avocats, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la Ligue des Droits de l’Homme au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

La commune soutient que :

– il n’y a pas d’urgence dès lors qu’est seulement invoquée une atteinte inexistante portée à une liberté fondamentale sans aucune considération de circonstances particulières, et que l’intérêt public justifie la mesure querellée ;

– l’arrêté attaqué ne porte atteinte à aucune liberté fondamentale, d’une manière qui puisse, en outre, être qualifiée de grave et manifestement illégale ;

– le maire est compétent pour édicter une telle mesure, dès lors qu’il lui est loisible de faire usage de son pouvoir de police administrative générale afin d’aggraver les mesures de police spéciale prises au niveau national, en édictant des mesures adaptées et proportionnées à un péril imminent ; la mesure en litige présente ces caractères en ce qu’elle est justifiée par la préoccupation d’empêcher la propagation de la pandémie de covid-19, qu’elle se borne à subordonner les déplacements au port d’un dispositif de protection nasal et buccal, sans les interdire ni les limiter, et qu’elle se fonde sur le constat d’un relâchement du confinement à Sceaux, confirmé par les motifs de l’arrêté du préfet des Hauts-de-Seine du 7 avril 2020 interdisant à tous les établissements de plein air d’accueillir du public à l’exception des activités mentionnées en annexe ; la mesure présente, en outre, un caractère temporaire et peu contraignant en ce qu’elle n’impose aucune caractéristique spécifique au dispositif de protection qu’elle exige.

Vu les autres pièces du dossier. Vu :

– le code général des collectivités territoriales ; – le code de la santé publique ;
– la loi n°2020-290 du 23 mars 2020 ;
– le décret n°2020-293 du 23 mars 2020 ;

– le décret n°2020-314 du 25 mars 2020 ; – le décret n°2020-337 du 26 mars 2020 ; – le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné Mme…, premier conseiller, en tant que juge des référés.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience publique.

Ont été entendus, au cours de l’audience publique du 9 avril 2020 à 9 heures, tenue en présence de Mme …, greffière d’audience :

– le rapport de Mme …, juge des référés ;

– les observations orales de Me Dokhan, représentant la commune de Sceaux, qui développe ses écritures en précisant que le maire a fait usage de ses pouvoirs de police générale pour aggraver des mesures de police spéciale prises au niveau national au regard d’un contexte particulier à la commune de Sceaux décrit, notamment, par le rapport de police établi le 4 avril 2020. Le professeur B…, également adjoint au maire de la commune de Sceaux expose, pour sa part, que la commune de Sceaux compte 25% de personnes âgées de plus de 65 ans et que la mesure prise est justifiée par lanécessité de protéger ces personnes qui vont faire leurs courses dans l’unique rue piétonne de la commune où elles risquent de se trouver en contact avec des porteurs sains du virus. La commune a déjà mis en place un système permettant de limiter les déplacements des personnes âgées pour aller

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faire leurs courses et a estimé moins attentatoire aux libertés de contraindre l’ensemble de la population à porter un masque plutôt que de confiner les personnes âgées à domicile.

L’association requérante n’est ni présente ni représentée.
La clôture de l’instruction a été prononcée à l’issue de l’audience.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 6 avril 2020, le maire de la commune de Sceaux a assujetti les déplacements dans l’espace public des personnes de plus de dix ans, dans le cadre des restrictions fixées au niveau national par décret du Premier ministre, au port d’un dispositif de protection buccal et nasal. La Ligue des Droits de l’Homme demande la suspension de l’exécution de cet arrêté sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative.

2. Aux termes de l’article L. 521‐2 du code de justice administrative : « Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ».

Sur l’urgence :

3. L’urgence justifie la suspension de l’exécution d’un acte administratif lorsque celui-ci porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre. Il appartient au juge des référés d’apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l’acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l’exécution de la décision soit suspendue.

4. Dans un contexte marqué par une réduction importante des libertés résultant des mesures prises pour lutter contre l’expansion de la pandémie du virus covid-19, l’arrêté attaqué, qui conditionne toute sortie du domicile des personnes de plus de dix ans au port d’un dispositif de protection nasal et buccal, et est entré en vigueur le 8 avril 2020, ajoute une restriction supplémentaire aux limitations à la liberté de circulation déjà imposées par les autorités de police nationale en prescrivant l’obligation de se couvrir le visage d’un dispositif nasal ou buccal, à défaut duquel tout déplacement est prohibé, et porte, ainsi, à la liberté d’aller et venir et à la liberté personnelle que l’association requérante entend défendre, une atteinte grave et immédiate.

Sur le cadre juridique du litige :

5. Le Premier ministre peut, en vertu de ses pouvoirs propres, édicter des mesures de police applicables à l’ensemble du territoire, en particulier en cas de circonstances exceptionnelles, telle une épidémie avérée, comme celle de covid-19 que connaît actuellement la France. En outre, aux termes de l’article L. 3131-1 du code de la santé publique : « En cas de menace sanitaire grave appelant des mesures d’urgence, notamment en cas de menace d’épidémie, le ministre chargé de la santé peut, par arrêté motivé, prescrire dans l’intérêt de la santé publique toute mesure proportionnée aux risques courus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population (…). » Sur ces fondements a été pris, le 23 mars 2020, un décret portant réglementation des déplacements

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dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus covid-19, modifié. Enfin, le représentant de l’État dans le département et le maire disposent, dans les conditions et selon les modalités fixées en particulier par la loi du 23 mars 2020 et le code général des collectivités territoriales, du pouvoir d’adopter, dans le ressort du département ou de la commune, des mesures plus contraignantes permettant d’assurer la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques, notamment en cas d’épidémie et compte tenu du contexte local.

6. Dans cette situation, il appartient à ces différentes autorités de prendre, en vue de sauvegarder la santé de la population, toutes dispositions de nature à prévenir ou à limiter les effets de l’épidémie, dès lors que, s’agissant en particulier du maire, ni les pouvoirs de police que l’Etat peut exercer en tous lieux dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, pour restreindre les déplacements des personnes, ni l’habilitation donnée au préfet dans le département d’adopter des mesures plus restrictives en la matière, ne font obstacle à ce que, pour prévenir des troubles à l’ordrepublic sur le territoire communal, le maire fasse usage, en fonction de circonstances locales particulières, des pouvoirs de police générale qu’il tient des articles L. 2212-1 et suivants du code général des collectivités territoriales pour aménager les conditions de circulation des personnes dans le cadre des exceptions au principe d’interdiction prévues par les dispositions précitées. Ces mesures doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif de sauvegarde de la santé publique qu’elles poursuivent.

Sur les conclusions à fin de suspension :

7. Il ressort des termes de l’arrêté en litige que l’imposition d’un dispositif de protection nasal et buccal est justifié par la circonstance que « dans le contexte sanitaire actuel, le port généralisé d’un masque par la population constituerait une addition logique aux mesures barrière actuellement en vigueur », dans la mesure où « le port d’un masque anti-projection a contribué à une réduction du taux de reproduction dans différents pays » et que « l’Académie Nationale de Médecine recommande que (…) le port d’un masque grand public aussi dit alternatif soit rendue obligatoire pour les sorties nécessaires en période de confinement ».

8. Par ailleurs, l’arrêté mentionne également que « afin que la levée du confinement puisse être la plus précoce et la moins risquée possible, l’Académie Nationale de Médecine souligne l’importance que cette levée du confinement s’accompagne à la fois d’un maintien des mesures barrière actuellement préconisées et du port obligatoire d’un masque « grand public » ou « alternatif ».

9. Il résulte des motifs reproduits ci-dessus que la mesure tendant à imposer le port d’un dispositif de protection buccal et nasal est justifiée par des considérations liées tant à la période de confinement qu’à la période postérieure à sa levée.

10. Cependant, en 1er lieu, par la seule référence à des considérations générales, confirmées à travers les écritures en défense par la reproduction d’extraits d’études et d’avis émanant de scientifiques reconnus par la communauté médicale, mais dépourvus de tout retentissement local, le maire de Sceaux ne justifie pas que des risques sanitaires seraient résulté, sur le territoire de sa commune, de l’absence du port d’un masque de protection à l’occasion de sorties dérogatoires au principe d’interdiction de circulation dans l’espace public édicté par la loi du 23 mars 2020 précitéependant la période de confinement de la population. De telle sorte que la nécessité du port obligatoire d’un dispositif de protection nasal ou buccal pour tout déplacement de personnes de plus de dix ans sur le territoire de la commune de Sceaux ne saurait être regardée comme répondant à des risques de trouble à l’ordre public matériellement établis.

11. La circonstance, invoquée à travers les écritures en défense, qu’un relâchement du confinement aurait été observé dans le département des Hauts-de-Seine lors du week-end des 4 et 5

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avril 2020, justifiant l’édiction par le préfet de ce département d’un arrêté en date du 7 avril 2020 interdisant à tous les établissements de plein air d’accueillir du public, à l’exception des activités mentionnées en annexe, ne saurait davantage justifier une telle restriction supplémentaire aux libertés, dès lors que cet arrêté ne concerne pas spécifiquement la commune de Sceaux et qu’il est motivé par le constat de « la recrudescence des infractions dans les établissements de vente à emporter », des violations aux obligations édictées par l’article 3 du décret du 23 mars 2020 et des manquements au respect des mesures d’hygiène et de distanciation sociale, tout manquement susceptible d’être réprimé par les amendes prévues par les dispositions mises en place dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire ou par des rappels à l’ordre des autorités de police. En outre, cet arrêté préfectoral avait précisément pour objet de prévenir les troubles qu’il relève, sans que le maire de la commune de Sceaux n’apporte en défense le moindre élément justifiant de la nécessité de la mesure supplémentaire qu’il met en œuvre par rapport à celles déjà existantes et celles initiées par le préfet des Hauts-de-Seine, pour mettre un terme aux manquements constatés. Il convient à ce titre de rappeler qu’à travers cet arrêté, le préfet des Hauts-de-Seine a, notamment, interdit l’accès aux parcs et jardins de l’ensemble du département, aux forêts domaniales et berges de Seine, aux cimetières, ainsi que l’exercice d’une activité physique entre 10 heures et 19 heures.

12. La commune fait état également d’un rapport de la police municipale établi le 4 avril 2020, aux termes duquel un flux important de population a été constaté ce jour dans la rue piétonne Houdan. Toutefois ce rapport est insusceptible de justifier la mesure prise, dès lors que le document indique expressément que toutes les personnes contrôlées étaient munies d’une attestation de déplacement dérogatoire régulière et que, malgré les difficultés liées à la configuration étroite de la rue, « les gestes barrière sont, dans l’ensemble assez bien respectés par les usagers ».

13. En 2ème lieu, la justification de l’obligation du port d’un dispositif de protection nasal et buccal par des considérations tenant à la levée de la période de confinement est tout autant insusceptible de justifier une telle mesure, dès lors que de telles considérations concernent une situation future, laquelle n’est aucunement envisagée pour l’heure et qui ne saurait donc justifier une mesure applicable dès le 8 avril 2020.

14. En dernier lieu, il a été énoncé au cours des débats à l’audience que la mesure en litige était destinée à protéger les personnes âgées de la commune, qui constituent une part importante de la population dès lors que les plus de 65 ans en représentent 25%, et qui sont contraintes de faire leurs courses dans l’unique rue piétonne de la commune où sont regroupés tous les commerces et où se retrouve la plus grande concentration de personnes. Mais ces débats ont aussi fait apparaître que la commune avait mis en place un service de courses livrées à domicile au bénéfice des personnes âgées, susceptible de leur permettre d’éviter des déplacements présentant un risque excessif de côtoyer le virus. Par ailleurs, et alors qu’il a été reconnu par l’adjoint au maire présent à l’audience que la mesure en litige résulte du choix de la commune de ne pas imposer un confinement aux personnes âgées, lequel est apparu plus attentatoire aux libertés que l’obligation du port d’un dispositif de protection à l’ensemble de la population, il n’est pas établi que le même objectif de protection des personnes âgées n’aurait pu être atteint par une mesure moins contraignante, telle celle d’imposer le port d’un dispositif de protection efficace aux seules personnes âgées ou de leur réserver l’usage des commerces à certaines heures de la journée.

15. Il résulte de ce qui précède qu’aucun des motifs énoncés par l’arrêté en litige, développés à travers les écritures en défense ou exposés à l’audience n’est de nature à justifier l’interdiction faite aux habitants de la commune de Sceaux âgés de plus de dix ans d’effectuer le moindre déplacement en l’absence de port d’un dispositif de protection nasal et buccal, qui porte atteinte à la liberté d’aller et venir et qui affecte la liberté individuelle dont chacun dispose en imposant l’obligation corrélative de porter sur le visage un tel dispositif.

16. Il suit de là qu’en tant qu’il n’est justifié par aucun risque propre à la commune de

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Sceaux, qui ne pourrait être surmonté que par sa seule mise en œuvre, l’arrêté du 6 avril 2020, alors qu’il ajoute une condition supplémentaire aux restrictions déjà importantes à la liberté d’aller et venir édictées par les autorités de police nationale, et qu’il crée une restriction nouvelle à la liberté individuelle porte une atteinte grave et manifestement illégale à des libertés fondamentales.

17. Il y a donc lieu d’ordonner la suspension de l’exécution de l’arrêté du 6 avril 2020 du maire de la commune de Sceaux tendant à prescrire le port d’un dispositif de protection buccal et nasal à l’occasion de tout déplacement des habitants de la commune âgés de plus de dix ans.

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

18. Il y a lieu de mettre à la charge de la commune de Sceaux, partie perdante, la somme de 1 500 euros à verser à la Ligue des Droits de l’Homme sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Les conclusions de la commune de Sceaux, partie perdante, tendant à l’application de ces dispositions ne peuvent qu’être rejetées.

ORDONNE:

Article 1er : L’exécution de l’arrêté n°2020-167 du 6 avril 2020 par lequel le maire de Sceaux a conditionné les déplacements dans l’espace public des personnes de plus de dix ans au port d’un dispositif de protection buccal et nasal est suspendue.

Article 2 : Il est mis à la charge de la commune de Sceaux la somme de 1 500 euros à verser à la Ligue des Droits de l’Homme au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête et les conclusions de la commune de Sceaux au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.