Le Gouvernement adopte un projet de loi organique sur l’expérimentation, qui va être débattu au Parlement, alors même que d’autres textes doivent être aussi débattus au Parlement à ce sujet.
I. L’expérimentation, en vogue, en vagues incessantes
L’heure est à l’expérimentation, qui est très en vogue (à juste titre selon nous) ces temps ci. Cela peut être doctrinal :
- Expérimentations : comment innover dans la conduite des politiques publiques [étude du Conseil d’Etat] ?
- Contentieux sociaux et de fonction publique : interview de Guillaume Glénard sur les expérimentations de médiation
Et les expérimentations se multiplient :
- Un appel à expérimentations pour une nouvelle mobilité dans les territoires ruraux
- Lancement de l’expérimentation de la vidéo en abattoir
- Expérimentation en matière de flèches lumineuses de rabattement au JO
- Ajustements et extension de l’expérimentation du Pass’culture au JO de ce matin
- Electricité : prolongation de l’expérimentation des services de flexibilité locaux
- La voiture autonome : quel cadre d’expérimentation ? [VIDEO]
- Pièces justificatives de domiciles et pièces d’identité : un assouplissement par expérimentation
- L’expérimentation d’un menu végétarien hebdomadaire en restauration collective scolaire commence ce jour
- Opérations de collecte de recensement de la population : expérimentation, pour les communes et les EPCI, d’un allègement de procédures pour les marchés publics
- Quels sont les EPCI et communes habilités, à compter de 2021, à faire faire leur recensement par une entreprise ?
- Dérogation et expérimentations préfectorales : la circulaire est sortie
- Non-voyants et mal-voyants : Paris autorisé à étendre son expérimentation d’un dispositif tactile sur traversées piétonnes
- Enquête publique et environnement : la Bretagne et les Hauts-de-France vont expérimenter
- Expérimentation et achats innovants (en marché négocié sans publicité ni mise en concurrence !) : encore faudra-t-il se déclarer… Voici comment.
- Dépendance : le « baluchonnage » entre dans notre droit, à titre expérimental
- Qui veut expérimenter le compte financier unique dans le monde des collectivités ?
- Marchés publics (à compter de 500 K€ HT) : expérimentation ultramarine d’une nouvelle obligation (plan de sous-traitance aux PME locales)
- Caméras piétons des policiers municipaux : zoom sur le décret au JO de ce matin
- La liste des EPCI autorisés à expérimenter une politique des loyers dérogatoire dans le parc social est publiée… et elle est courte. Très courte
- Un nouveau type de saisine du juge administratif (à titre expérimental)
… Avec quelques échecs :
- La pub ne pourra plus faire le trottoir (et il n’est pas certain qu’il faille s’en réjouir)
- Suspension de l’expérimentation des agences comptables au sein des collectivités
Et avec des juges qui acceptent d’être souples :
- Environnement : déroger expérimentalement n’est pas régresser
- Expérimentation : la fin du tout ou rien
- non sans d’évidentes limites. Voir par exemple : Pas de loi, pas d’expérimentation. L’encadrement des loyers prévu par une loi qui ne prévoyait aucune « expérimentation » doit donc s’appliquer soit partout soit nulle part (CE, 15 mars 2017, n° 391654).
II. Une vague de projets législatifs, dont une nouvelle future loi organique visant à une réelle simplification, avec les territoires en ligne de mire
Le projet de loi 3D, que l’on attend maintenant pour l’automne 2020, et qui pourrait changer de nom, devrait développer les expérimentations :
- 3D : un manque de relief ?
- Lancement de la concertation sur le futur projet de loi « 3D » (décentralisation ; différenciation ; déconcentration)
De plus, il y a moins d’un an, on annonçait une probable réforme dont un des buts est de renforcer ces expérimentations :
… réforme qui est très incertaine en l’état de la configuration sénatoriale qui devrait résulter des élections à venir.
C’est dans ce cadre que le Gouvernement a adopté un projet de loi organique consacrant le droit à la différenciation en donnant la possibilité aux collectivités territoriales d’appliquer, d’abord dans un cadre expérimental puis, dans certaines conditions, de manière pérenne, des règles relatives à l’exercice de leurs compétences différentes pour tenir compte de leurs spécificités.
Issues de la révision constitutionnelle de 2003, ces expérimentations permettent aux collectivités territoriales et à leurs groupements, lorsque la loi ou le règlement les y habilite, de déroger, pour un objet et une durée limités, à des normes législatives ou réglementaires régissant l’exercice de leurs compétences.
L’étude que le Conseil d’État a réalisée en 2019 à la demande du Premier ministre a mis en lumière les contraintes auxquelles ces expérimentations se heurtent aujourd’hui et qu’il convient de lever pour inciter les collectivités territoriales à se saisir davantage de cet outil d’innovation dans la conduite des politiques publiques. Aussi, s’inspirant des propositions du Conseil d’État, ce projet de loi organique vise à favoriser le recours à ces expérimentations.
En premier lieu, ce projet de loi vise à simplifier le cadre juridique des expérimentations. Il :
- prévoit que les collectivités territoriales pourront décider par une simple délibération de participer à une expérimentation sans qu’il leur soit nécessaire d’y être autorisées par décret.
- allège les procédures régissant l’entrée en vigueur des décisions qu’elles prennent dans le cadre des expérimentations ainsi que les conditions d’exercice du contrôle de légalité de ces décisions par le préfet.
En second lieu, il consacre deux nouvelles issues aux expérimentations, complétant ainsi l’alternative actuelle entre l’abandon de l’expérimentation et la généralisation des mesures expérimentales à l’ensemble des collectivités territoriales :
- d’une part, les mesures expérimentales pourront être maintenues dans tout ou partie des collectivités territoriales ayant participé à l’expérimentation et étendues à d’autres. Cette possibilité sera ouverte aux collectivités territoriales justifiant d’une différence de situation qui autoriserait qu’il soit ainsi dérogé au principe d’égalité ;
- d’autre part, les normes qui régissent l’exercice de la compétence locale ayant fait l’objet de l’expérimentation pourront être modifiées à l’issue de celle-ci.
Le droit à la différenciation auquel ce projet de loi organique donne corps se traduira par des propositions concrètes que le Gouvernement présentera à l’occasion du projet de loi 3D (décentralisation, différenciation et déconcentration ; dont encore une fois le nom pourrait évoluer) et qui a pour ambition de renforcer la proximité et l’efficacité de l’action publique, conformément au souhait exprimé tant par les Français à l’occasion du grand débat national que par les élus locaux lors de la concertation qui a été menée par la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
Dans ce texte, pour reprendre l’exposé des motifs de ce texte :
- Les articles 1er, 2 et 7 simplifient la procédure d’entrée des collectivités territoriales ou de leurs groupements dans les expérimentations prévues par la loi ou le règlement, en supprimant le régime d’autorisation préalable qui impose que la liste des collectivités expérimentatrices soit, au terme d’une procédure longue et complexe, arrêtée par décret en Conseil d’État.
- L’article 3 allège les conditions d’entrée en vigueur des actes pris par les collectivités territoriales ou leurs groupements dans le cadre d’une expérimentation, en supprimant le régime juridique actuel, qui impose leur publication au Journal officiel pour qu’ils puissent être exécutoires. Ainsi, ces actes seront uniquement soumis aux dispositions de droit commun relatives à l’entrée en vigueur des actes des collectivités territoriales et de leurs groupements, qui prévoient leur transmission au préfet et l’accomplissement de formalités de publicité au niveau local. Par ailleurs, au vu de la nécessité de garantir une information à jour sur l’état du droit applicable à un instant donné sur tout ou partie du territoire, les actes à caractère général et impersonnel pris par une collectivité territoriale au titre d’une expérimentation seront publiés, uniquement à titre d’information, au Journal officiel de la République française.
- L’article 4 ne maintient le régime spécial du contrôle de légalité, qui permet au préfet d’assortir son recours d’une demande de suspension avec effet automatique, qu’à l’égard des délibérations des collectivités territoriales par lesquelles elles entrent dans le dispositif. Les actes pris dans le cadre de l’expérimentation par les collectivités territoriales seront donc soumis au régime de droit commun du contrôle de légalité.
- L’article 5 supprime l’obligation de transmission au Parlement d’un rapport annuel retraçant l’ensemble des propositions d’expérimentation et demandes de participation aux expérimentations adressées par les collectivités territoriales, et exposant les suites qui leur ont été réservées.
- L’article 6 élargit les suites qui peuvent être données aux expérimentations, en ajoutant deux nouvelles issues : d’une part, le maintien des mesures prises à titre expérimental dans les collectivités territoriales ayant participé à l’expérimentation, ou dans certaines d’entre elles, et leur extension à d’autres collectivités territoriales, dans le respect du principe d’égalité ; d’autre part, la modification des dispositions régissant l’exercice de la compétence ayant fait l’objet de l’expérimentation, afin de confier davantage de responsabilités aux collectivités territoriales par le renforcement du pouvoir réglementaire dont elles disposent pour l’exercice de leurs compétences.
ACCÈS A CE PROJET DE LOI ET À QUELQUES AUTRES SOURCES :
- Projet de loi :
- étude d’impact :
- dossier législatif sur le Site du Sénat (celui sur le site de l’A.N. viendra dans un second temps) :
- avis du Conseil d’Etat (Assemblée générale, séance du jeudi 16 juillet 2020, avis n°400490) :