Le « droit souple » donne lieu à des positions plutôt dures, désormais, de la part du juge administratif, avec une extension du domaine du recours pour excès de pouvoir et une grande unification juridique opérée en 2020… C’est donc sans surprise que l’on apprend du Conseil d’Etat qu’est un acte attaquable une note du Garde des sceaux sur la communication des décisions de Justice.
Commençons par rappeler l’état du droit en ce domaine, avant que d’étudier la portée de ce nouvel arrêt en matière de communication des décisions de justice.
I. Un droit souple au régime unifié et de plus en plus soumis au contrôle du juge
Avec l’arrêt GISTI (12 juin 2020, n° 418142), le Conseil d’Etat a unifié le régime juridique de ces éléments de droit souple y compris les lignes directrices, les circulaires, les guides, etc.
Et j’avais fait le point sur cette mini-révolution en droit public, ici, et ce en 3 mn 49 :
https://youtu.be/moPk8paYT8s
De cette nouvelle jurisprudence GISTI, de juin 20200, ressortaient :
- 1/ un cadre unique (ce qui est nouveau) pour les « documents de portée générale émanant d’autorités publiques, matérialisés ou non, tels que les circulaires, instructions, recommandations, notes, présentations ou interprétations du droit positif »
- 2/ avec une recevabilité des recours contre ces actes lorsque ceux-ci sont susceptibles d’avoir des effets notables sur les droits ou la situation d’autres personnes que les agents chargés, le cas échéant, de les mettre en œuvre. Ce qui inclut les actes impératifs (ce qui était déjà le cas) mais aussi les actes ayant un caractère de ligne directrice (ce qui est pus large qu’avant, dont sans doute, en fonction publique, les fameuses lignes directrices de gestion, sauf pour les agents chargés de les mettre en oeuvre).
- 3/ et avec un office du juge en ce domaine qui en ressort clarifié et unifié.
Sources : CE, 12 juin 2020, GISTI, n° 418142 ; pour les circulaires, voir le célèbre arrêt Duvignères (CE, S., 18 décembre 2002, n° 233618 ; voir aussi CE, 20 juin 2016, n° 389730) ; pour les directives de droit national, voir CE, S, 11 décembre 1970, Crédit foncier de France, rec. p. 750 ; pour le droit souple des autorités de régulation, voir les décisions d’Assemblée du contentieux du CE du 21 mars 2016, Fairvesta International, n° 368082, et Société Numéricable, n° 390023 ; s’agissant du refus d’une autorité de régulation d’abroger un acte de droit souple, voir CE, Section, 13 juillet 2016, Société GDF Suez, n° 388150, p. 384 ; sur les recours contre les actes de droit souple susceptibles d’avoir des effets notables sur les intéressés, voir CE, Ass., 19 juillet 2019, n° 426389. A comparer avec CE, 21 octobre 2019, n°419996 419997 ; pour le cas des décisions des autorités administratives indépendantes non décisoires mais pouvant avoir une influence, voir CE, 4 décembre 2019, n° 416798 et n°415550 (voir aussi CE, 30 janvier 2019, n° 411132 ; CE, 2 mai 2019, n°414410) ; pour les guides voir CE, 29 mai 2020, n° 440452 ; sur l’état du droit quant aux lignes attaquables ou non avant ce nouvel arrêt GISTI voir CE, 3 mai 2004, Comité anti-amiante Jussieu, n° 245961.
Voir aussi :
- Droit souple : le juge de plus en plus dur
- Abrogation d’une mesure de droit souple et contrôle juridictionnel
- Un « guide » d’un Ministère… constitue-t-il un acte susceptible de recours ?
- mais voir surtout :
Reste que les actes de droit souple, notamment ceux des autorités administratives indépendantes et autres organismes publics de régulation, demeurent en fonction de cette grille de lecture parfois (souvent) attaquables en recours pour excès de pouvoir, parfois pas… mais qu’il devient de pus en plus rare de trouver des actes ou des avis de es structures qui n’en soient pas…
Cela dit, par exemple, les nuances ne manquent pas. Ainsi est attaquable en Justice un refus, par la Haute Autorité de santé (HAS), d’abroger une de ses recommandations de bonnes pratiques élaborées sur la base du 2° de l’article L. 161-37 du code de la sécurité sociale (CSS), mais ce n’est pas sans nuances.
Source : CE, 23 décembre 2020, n° 428284, publié au recueil Lebon. Voir :
Il en va de même en matière de guides pédagogiques produits par l’administration, dont certains peuvent être, ou ne pas être, attaquables.
Voir CE, 29 mai 2020, n° 440452 :
Naturellement, les normes de l’ARCEP ou de la CNIL sont quant à elles des actes attaquables. Voir :
- CE, 13 décembre 2017, n0 401799 : L’ARCEP, le « droit souple » et le REP
- CE, 19 juin 2019, n° 434684 et CE, 16 octobre 2019, La Quadrature du net et Caliopen, n° 433069, rec. p. 358 :
Idem pour une recommandation de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), acte susceptible de recours, et ce alors même qu’elle est, par elle-même, dépourvue d’effets juridiques… et il en va de même pour une déclaration de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), en tant qu’autorité de supervision nationale, précisant se conformer aux orientations sur les modalités de gouvernance et de surveillance des produits bancaires de détail émises par l’Autorité bancaire européenne (ABE).
Voir CE, 4 décembre 2019, n° 416798 et n° 415550 [2 esp. différentes] : voir : Droit souple : le juge de plus en plus dur .
Voir aussi pour les actes portant « stratégie de trait de côte » dont les effets concrets sont indirects mais qui sont attaquables, voir TA Montpellier, 11 mars 2021, n° 1905928 :
Voir aussi pour l’ARJEL (CE, 24 mars 2021; n° 431786) :
Ou pour les cartes d’aléa de mouvements de terrain :
- CAA Bordeaux, 17 juin 2021, Formation plénière – MM. X., n° n° 19BX00650, à lire ici sur le Jurissite de cette CAA
- A sol mouvant, droit souple ?
II. Une application sans surprise aux notes relatives à la communication de décisions de Justice
Une société demandait l’annulation, pour excès de pouvoir, de la note du garde des sceaux, ministre de la justice, du 19 décembre 2018 relative à la communication de décisions judiciaires civiles et pénales aux tiers à l’instance.
Cette note était adressée aux premiers présidents des cours d’appel et aux procureurs généraux près ces cours, et avait pour objet de rappeler les conditions de délivrance de copies de décisions judiciaires civiles et pénales aux tiers à l’instance.
Sans surprise, le Conseil d’Etat pose que cette note est susceptible de produire des effets notables sur les droits de ces tiers à l’obtention de la copie d’une décision judiciaire civile ou pénale.
Il en résulte, pose la Haute Assemblée, que cette note peut faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir.
Source : CE, 21 juin 2021, n° 428321, à mentionner aux tables du recueil Lebon
Voir à ce sujet par ailleurs :
- Décisions de Justice : open data OUI… droit à communication NON (affaire « Doctrine » jugée au Conseil d’Etat)
- Calendrier de l’open data des décisions de justice : le juge administratif en 1e ligne, le judiciaire à la traîne… [suite]
- Open data des décisions de Justice : petite avancée au Conseil d’Etat, hier…
- Open data des jurisprudences françaises : la douche écossaise [mini VIDEO +article]
- Open Data et anonymisation des décisions de Justice : la Cour de cassation lève le voile sur ses techniques
- Open data des décisions de justice : une régulation nécessaire des algorithmes
… et cette petite vidéo de 3 mn 25 :