Le nouveau Schéma national du maintien de l’Ordre (SNMO) a été censuré ce jour par le Conseil d’Etat, et ce sur 4 points :
- pour les manifestants : censure des règles d’encerclement (technique dite de la nasse)
- pour les journalistes, ont été annulées les règles :
- d’éloignement en cas de dispersion
- d’accréditation pour des informations en temps réel
- de conditions de port de protections
Rappelons ces règles (I) avant que d’en examiner la censure partielle (II).
I. Rappels sur le Schéma national du maintien de l’Ordre (SNMO)
La révision des doctrines d’emploi de tel ou tel outil du maintien de l’ordre s’imposait à la suite des troubles qui donnèrent la jaunisse à nos places publiques.
Mais de manière plus globale (et plus communicationnelle), c’est à l’adoption et à la diffusion d’un nouveau « schéma national du maintien de l’ordre » (SNMO) que s’est attelé le Ministère de l’Intérieur, sous la férule de C. Castaner puis de son successeur. Voir :
- Voir par exemple un séminaire de travail en juin 2019 : https://www.interieur.gouv.fr/Actualites/Communiques/Seminaire-de-travail-sur-le-schema-national-du-maintien-de-l-ordre
Ce document a été mis à jour, avec des réactions contrastées. Voir :
- https://www.lefigaro.fr/actualite-france/l-utilisation-du-lbd-se-fera-desormais-apres-l-accord-d-un-superviseur-20200911
- https://www.amnesty.fr/liberte-d-expression/actualites/nouveau-schema-national-du-maintien-de-lordre-declaration
- https://lessor.org/a-la-une/ce-que-change-le-nouveau-schema-national-du-maintien-de-lordre-pour-les-gendarmes/
- https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/09/17/le-ministere-de-l-interieur-devoile-la-nouvelle-doctrine-du-maintien-de-l-ordre_6052633_3224.html
- etc.
Voici ensuite le document en son entier, dans sa mouture datée du 16 septembre 2020 :
Ce nouveau SNMO portait les évolutions suivantes (les formulations ci-arpès sont celles du Ministère) :
- le développement de l’information des organisateurs et des manifestants en amont et pendant les manifestations afin de faciliter leur déroulement ;
- la reconnaissance de la place particulière des journalistes au sein des manifestations ;
- la contribution grandissante des unités hors unités de force mobile (escadrons de gendarmerie mobile et compagnies républicaines de sécurité) dans les opérations de maintien de l’ordre, qui s’accompagne d’une obligation d’équipement et de formation ;
- une plus grande transparence dans l’action des forces, qui se traduit par le port de l’uniforme avec une mention de l’unité bien visible ;
- une modernisation des sommations pour exprimer plus explicitement ce qui est attendu de la part des manifestants ;
- des moyens de dialogue avec le public renouvelés afin de faciliter la transmission d’informations avant et pendant la manifestation, y compris en s’appuyant sur les réseaux sociaux ;
- une exigence de plus forte réactivité et mobilité afin de mettre un terme aux exactions, en recourant notamment à des unités spécialement constituées disposant de capacités de mobilité élevées ;
- un cadrage des techniques d’encerclement des manifestants ;
- une intégration plus formelle d’un dispositif judiciaire, sous l’autorité du procureur de la République, afin d’améliorer le traitement judiciaire rapide des auteurs de violences ;
- la confirmation de l’intérêt de l’emploi des moyens et armes de force intermédiaire au maintien de l’ordre, tout en adaptant leur emploi. Ainsi, sont décidés :
- l’abandon de la grenade GLI-F4 et son remplacement par la grenade GM2L, qui ne contient pas d’explosif ;
- le remplacement du modèle de grenade à main de désencerclement (GMD) par un modèle plus récent moins vulnérant ;
- hors le cas de la légitime défense, la mise en place d’un superviseur auprès des tireurs LBD lors des opérations de maintien de l’ordre.
- la mise en place d’un travail continu de recherche de solutions moins vulnérantes pour les armes de force intermédiaire utilisées au maintien de l’ordre ;
- la mise en place auprès de chaque préfet d’un référent chargé de l’appui aux victimes, qui n’ont pas pris part aux affrontements avec les forces de l’ordre et cherchent à obtenir réparation pour les dommages subis.
A noter, selon la revue propre au monde de la Gendarmerie, l’Essor :
« Si le port de cagoule est toujours proscrit pour les unités de maintien de l’ordre – hors renseignement -, le ministre de l’Intérieur souhaite interdire la diffusion des visages non floutés des personnels. »
Sur ce dernier point, on a vu ce que cela est devenu avec :
- la loi n° 2021-646 du 25 mai 2021. Voir :
- et surtout
- la décision du Conseil constitutionnel n° 2021-817 DC du 20 mai 2021 :
Voir aussi (à jour au premier semestre 2019 mais les points traités n’ont pas changé puisque je n’y traitais pas stricto sensu des doctrines d’utilisation de ces matériels) :
- LBD / Flash-Ball : un point juridique [courte VIDEO]
- Point juridique sur les LBD (flash-balls) [mise à jour au 6 mars 2019]
- Une instruction qui ne décrit pas de procédure administrative ni n’interprète le droit positif n’est pas implicitement abrogée faute de publication… et le juge admet une interprétation très limitée des domaines où une telle publication s’impose (non application aux instructions sur le LBD)
Ce schéma a été ensuite été publié sur Légifrance (partie du site dédiée aux circulaires) et on apprend à cette occasion le numéro de NOR de ladite circulaire (NOR : INTK2023917J) et la date de la circulaire est du 17/9 (initialement le document était du 16).
Voir :
A noter : ce SNMO avait prévu une modernisation du régime des sommations (et du port de l’écharpe ou, désormais, du brassard) à effectuer avant de disperser un attroupement. Ce fut ensuite entériné par le décret n° 2021-556 du 5 mai 2021 (NOR : INTD2035993D) :
II. La décision rendue, ce jour, par le Conseil d’Etat
Ce SNMO a, bien sûr, été attaqué par un recours devant le Conseil d’Etat. Voici par exemple un de ces recours :
Saisi par plusieurs associations et syndicats, le Conseil d’État juge illégaux plusieurs points du schéma du maintien de l’ordre du 16 septembre 2020. En l’absence de conditions suffisamment précises, la possibilité de recourir à l’encerclement des manifestants est annulée. Le Conseil d’État annule également certaines règles concernant les journalistes : l’obligation de s’éloigner en cas d’ordre de dispersion et de disposer d’une accréditation pour accéder à des informations en temps réel ou les conditions de port d’équipements de protection.
Le 16 septembre 2020, le ministre de l’intérieur a publié le schéma national du maintien de l’ordre. Ce document définit le cadre d’exercice du maintien de l’ordre, applicable à toutes les manifestations se déroulant sur le territoire national et pour l’ensemble des forces de l’ordre. Plusieurs associations et syndicats – dont la CGT, la Ligue des droits de l’Homme, le Syndicat de la magistrature ou encore le Syndicat National des Journalistes – ont saisi le Conseil d’État pour demander l’annulation de plusieurs parties de ce document.
Le Conseil d’État annule aujourd’hui 4 points du schéma national concernant les manœuvres d’encerclement des manifestants et certaines règles applicables aux journalistes.
En l’absence de conditions précises, l’encerclement des manifestants est illégal
L’encerclement d’un groupe de manifestants est prévu par le schéma national pour contrôler, interpeller ou prévenir la poursuite de troubles à l’ordre public. Si cette technique peut s’avérer nécessaire dans certaines circonstances précises, elle est susceptible d’affecter significativement la liberté de manifester et de porter atteinte à la liberté d’aller et venir. Le texte ne précise toutefois pas les cas où il serait recommandé de l’utiliser. Le Conseil d’État annule ce point car rien ne garantit que son utilisation soit adaptée, nécessaire et proportionnée aux circonstances.
Les journalistes n’ont pas à quitter les lieux lorsqu’un attroupement est dispersé
Autre point annulé par le Conseil d’État : l’obligation pour les journalistes d’obéir aux ordres de dispersion de la police ou de la gendarmerie en se positionnant en dehors des manifestants appelés à se disperser.
Selon le code pénal, continuer volontairement à participer à un attroupement après un ordre de dispersion est un délit. Pour autant, les journalistes doivent pouvoir continuer d’exercer librement leur mission d’information, même lors de la dispersion d’un attroupement. Ils ne peuvent donc être tenus de quitter les lieux, dès lors qu’ils se placent de telle sorte qu’ils ne puissent être confondus avec les manifestants ou faire obstacle à l’action des forces de l’ordre. Il en va de même pour les observateurs indépendants.
Sur ce point, voir déjà :
Le ministre de l’intérieur ne peut pas imposer des conditions au port de protections par les journalistes
Le document indique également que les journalistes peuvent porter des équipements de protection, si leur « identification est confirmée » et leur comportement « exempt de toute infraction ou provocation ».
Le Conseil d’État juge que ce paragraphe va au-delà du code pénal et fixe dans des termes ambigus et imprécis, des conditions au port d’équipements de protection par des journalistes lors des manifestations. Il n’appartient pas au ministre de l’intérieur, dans une circulaire visant à encadrer l’action des forces de police en matière de maintien de l’ordre, d’édicter ce type de règles à l’attention des journalistes comme de toute personne participant ou assistant à une manifestation.
NB : oui mais bon… certains (rares certes) journalistes jouant une mi-temps dans le camp des manifestants voire des casseurs et une autre dans celui des observateurs, la règle est (logiquement) annulée par le juge mais sans que l’idée d’une réglementation sur ce point soit totalement idiote (mais quel équilibre tenir ? et comment éviter que cela ne repose que sur des présupposés des FDO ?).
Le canal d’information dédié aux journalistes ne peut être réservé aux seuls « accrédités »
Le Conseil d’État annule enfin l’obligation pour les journalistes d’être accrédités par les autorités pour accéder au canal d’échange dédié qui peut être mis en place par les forces de l’ordre lors des manifestations.
Il constate que ce dispositif permet à certains journalistes d’obtenir en temps réel des informations plus précises ou complètes sur le déroulement d’une manifestation, sans pour autant mettre à mal les principes de liberté d’expression, de communication et d’égalité entre les journalistes. Par ailleurs, compte tenu des contraintes opérationnelles des forces de l’ordre lors des manifestations, et en l’absence d’autres justificatifs prévus par la loi, il est également possible de limiter l’accès à ce dispositif d’informations aux seuls journalistes titulaires d’une carte de presse.
Toutefois, le Conseil d’État relève que lorsque le schéma national réserve ce dispositif dédié aux seuls journalistes « accrédités auprès des autorités », il ne précise ni la portée, ni les conditions, ni les modalités d’obtention d’une telle accréditation. Cette rédaction floue, susceptible de conduire à des choix discrétionnaires porte atteinte de manière disproportionnée à la liberté de la presse.
Voici cette décision :
CE, 10 juin 2021, n°444849,445063,445355,445365

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