Couvre-feu : le Conseil d’Etat carbonise le recours

L’état d’urgence sanitaire aura vu nombre de jurisprudences sur les couvre-feux, avec en général — mais pas toujours — des recours vite éteints par le juge, surtout s’agissant de couvre-feux préfectoraux :

 

Puis revint l’état d’urgence, et revinrent les couvre-feux, d’autant plus généralisés que notre pays ne se reconfinait plus de jour (pas encore en tous cas…). Voir :

 

Un professeur de droit; quelques autres requérants individuels et une association s’en émurent et tentèrent sur ce point de ranimer la flamme du Palais Royal, via un recours en référé liberté.

Au contraire, le Conseil d’Etat a, ce jour, refusé d’éteindre le couvre feu et a carbonisé le recours.

Les requérants en référé-liberté demandaient au Conseil d’Etat soit de suspendre cette mesure soit d’en limiter la portée en restreignant sa plage horaire et en prévoyant de nouveaux motifs de dérogation.

Par l’ordonnance de ce jour, le juge des référés rejette leur demande.

Le Conseil d’Etat rappelle qu’il s’agit de pouvoirs de police et qu’une telle mesure qui, par nature, porte atteinte à la liberté personnelle, doit être nécessaire, adaptée et proportionnée à l’objectif poursuivi (comme toujours en matière de pouvoirs de police).

Rappelons, à ce stade, deux principes :

  1. Les principes, en matière de pouvoirs de police restent ceux posés par le commissaire du Gouvernement Corneille (sur CE, 10 août 1917, n° 59855) : « La liberté est la règle et la restriction de police l’exception».
    Il en résulte un contrôle constant et vigilant, voire sourcilleux, du juge administratif dans le dosage des pouvoirs de police en termes :

    • de durée (CE Sect., 25 janvier 1980, n°14 260 à 14265, Rec. p. 44) ;
    • d’amplitude géographique (CE, 14 août 2012, n° 361700) ;
    • de contenu même desdites mesures (voir par exemple CE, Ass., 22 juin 1951, n° 00590 et 02551 ; CE, 10 décembre 1998, n° 107309, Rec. p. 918 ; CE, ord., 11 juin 2012, n° 360024…).
  2. Autrement posé, l’arrêté est-il mesuré en termes : de durée, de zonages et d’ampleur, en raison des troubles à l’Ordre public, à la sécurité ou la salubrité publiques, supposés ou réels qu’il s’agissait d’obvier .
  3. En période d’état d’urgence sanitaire, le préfet dispose d’un pouvoir de police spéciale (et d’ailleurs le maire, au titre de ses pouvoirs de police générale, dispose de pouvoirs limités à certaines hypothèses ; voir CE, ord., 17 avril 2020, n°440057 et l’abondante jurisprudence qui en a résulté, voir ici). 

 

Donc le pouvoir des préfets est grand, il repose en ce moment sur un pouvoir de police spéciale qui leur a été conféré par le décret contesté, mais les préfets n’en doivent pas moins justifier du caractère proportionné (dans le contenu de la mesure, dans le temps et dans l’espace) de leurs arrêtés pris sur la base de ce décret.

Le juge des référés relève d’abord, en faits, que :

  • la circulation du virus sur le territoire métropolitain s’est amplifiée ces dernières semaines,
  • la crise sanitaire s’aggrave nettement, en particulier dans les neuf métropoles des départements concernés.
  • les contaminations surviennent, pour une grande part, dans les lieux privés, semble-t-il en l’état des connaissances
  • le couvre-feu semble avoir montré son efficacité pour limiter la propagation du virus lors de sa mise en œuvre en Guyane en mars dernier.

Le juge constate par ailleurs que la mesure n’est pas sans limites puisqu’elle est :

  • assortie de nombreuses dérogations correspondant à des déplacements indispensables,
  • limitée dans le temps à la période d’état d’urgence sanitaire,
  • moins restrictive qu’un confinement.

Enfin, le juge souligne la difficulté de moduler les horaires d’interdiction selon les zones géographiques concernées, le risque que ferait courir une extension des motifs de dérogation, et l’obligation pour le Premier ministre et pour les préfets de mettre fin sans délai aux mesures dès qu’elles ne seront plus strictement nécessaires.

Le juge en déduit que la disposition prescrivant aux préfets d’instaurer un couvre-feu ne porte pas une atteinte manifestement illégale aux libertés fondamentales.

Source : CE, ord., 23 octobre 2020, n° 445430 :

445430 M. Cassia et ADELICO