Avec une nouvelle décision du Conseil d’Etat rendue hier, relative aux manquements aux règles de mise en concurrence et de publicité pouvant résulter de violations du principe d’impartialité, faisons le point sur une jurisprudence mouvante en ce domaine et sur les mesures de prudence concrètes à mettre en oeuvre sur le terrain :
- I. Impartialité et mise en concurrence : une jurisprudence contrastée depuis 2015
- II. La décision rendue hier
- III. Que faire sur le terrain ?
- IV. Autres sources sur le principe d’impartialité
I. Impartialité et mise en concurrence : une jurisprudence contrastée depuis 2015
Avec constance, le Conseil d’Etat rappelle que « Le principe d’impartialité, principe général du droit, s’impose au pouvoir adjudicateur comme à toute autorité administrative » et, depuis 2015, la méconnaissance de « ce principe […] est constitutive d’un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence » (Conseil d’État, 7ème / 2ème SSR, 14/10/2015, 390968).
L’atteinte à ce principe d’impartialité à donné lieu, combiné avec le droit propre au secret des affaires, à de très intéressantes décisions en référé concernant la partialité supposée de certains AMO :
- TA de Nancy, ord., 26 oct. 2020, n° 2002619 (voir ici).
- TA Montreuil, ord., 1er juin 2021, n° 2106741
- voir surtout nos articles et vidéos à ce sujet :
Il n’en demeure pas moins que dès 2018, le Conseil d’Etat indiquait qu’il allait être à tout le moins souple en ce domaine. En l’espèce, le fait qu’un chef de projet au sein d’un AMO rejoigne, préalablement à la remise des offres, la société désignée attributaire du marché correspondant… obligeant l’acheteur public à prendre les mesures propres à rétablir l’égalité de traitement et d’informations entre candidats, cette circonstance a été elle-même insusceptible d’affecter l’impartialité de l’acheteur public. En fait, le changement de cheval en cours de route par le salarié de l’AMO était choquant, mais c’est vrai qu’il n’est pas obligatoirement logique que la sanction tombe sur le marché correspondant si l’acheteur public a fait ce qu’il fallait pour rétablir cet équilibre. Voir :
NB : voir aussi dans un même sens mais dans un cas moins « limite », TA Paris, 4 mai 2017, n° 1706139. De même pour le fait qu’une filiale un peu lointaine d’un grand opérateur de l’eau puisse être considérée comme ne viciant pas une attribution de DSP ou de marché en matière d’eau, voir TA Nîmes, 19 févr. 2019, n° 1900286.
Même souplesse quelques mois après quand la Haute Assemblée a estimé qu’une autorité concédante ne viole pas, ou plutôt peut ne pas violer, ce principe d’impartialité quand elle attribue, après mise en concurrence — à réussir à piloter sans favoritisme et notamment sans transmission d’informations confidentielles ce qui n’est pas aisé —, une concession à sa propre SEML :
En revanche, ce principe d’impartialité peut être violé quand obtient un marché un élu municipal d’une des communes membres de la communauté de communes, quand cet élu a participé à des commissions en amont à ce sujet et que celui-ci a des liens étroits avec le président… Voir
- CAA Bordeaux, 5e ch. (formation à 3), 12 juin 2018, n° 16BX00656.
- ceci dit, en pareil cas, gare surtout à la prise illégale d’intérêts (PII) et au favoritisme.. Sur la PII, voir : Qu’est-ce qu’une prise illégale d’intérêts ?… et, surtout, que cela va-t-il devenir avec le texte en fin de débats parlementaires (CMP ce jour) ?
Autre source : CAA Lyon, 4e ch., 5 déc. 2019, n° 17LY02839.
II. La décision rendue hier
… Aussi est-ce sans trop de surprise que l’on découvre au sein d’une des décisions rendues hier par le Conseil d’Etat les formulations suivantes :
« ni la circonstance que le maire du Pradet, au demeurant également administrateur de la SAGEP, ait antérieurement siégé au conseil d’administration de la société VAD en qualité de représentant de la métropole de Toulon, ni celle qu’il a, lors du conseil d’administration de la SAGEP tenu le 12 mai 2021, critiqué l’introduction de la présente demande en référé pour le retard qu’elle causerait à l’opération envisagée par la commune, ne sont, à elles seules, susceptibles de faire naître en l’espèce un doute légitime sur l’impartialité du pouvoir adjudicateur. »
Source : CE, 20 octobre 2021, n° 453653
III. Que faire sur le terrain ?
Conclusions opérationnelles :
- le juge est souple sur l’application de ce principe d’impartialité lors des mises en concurrence
- mais avec un examen au cas par cas qui est difficile à appréhender sur le terrain
- attention car il en résulte que certaines de ces décisions peuvent sembler souples, ce qui ne veut pas dire que sur la prise illégale d’intérêts ou le favoritisme le juge pénal ferait toujours preuve de la même mansuétude
- plus que jamais il faut avoir des moyens d’exiger de ses AMO de n’être que d’un seul côté car si le contrat avec l’AMO est « faible » dans ses exigences à ce stade, ensuite on peut vite glisser dans les zones grises entre les jurisprudences précitées
- si un AMO n’est pas neutre ou autre, il importe de corriger le tir, et à ce stade de voir donc avec son avocat préféré en cas de difficulté (voir notre vidéo à ce sujet, précitée)
- cependant, cette souplesse du juge sera parfois bien appréciable par les collectivités publiques même si la plus grande prudence s’impose en ces domaines.
IV. Autres sources sur le principe d’impartialité
Les juridictions — administratives comme judiciaires — ont du faire évoluer leurs procédures afin d’assurer les exigences croissantes du droit national et européen en matière d’impartialité. Voir, pour ce qui est du juge administratif, par exemple :
- Impartialité, référé liberté et référé suspension
- Contentieux administratif : le principe d’impartialité progresse (CE, 30 janvier 2017, n° 394206)…
- La CJUE se reconnaît un droit à enjoindre, en référé, à un Etat de rétablir des éléments majeurs de son régime démocratique (impartialité et l’indépendance des juridictions)
- Un appel à projets doit s’apprécier avec impartialité
- Sport, dopage et principe d’impartialité (décision du Conseil constitutionnel rendue ce jour)
- Jury de concours : les conditions de l’impartialité
- Voir aussi à ce sujet : CEDH, 18 décembre 1974, X. c/ République fédérale d’Allemagne, n° 6541/74 (à ne pas confondre avec la décision de 1975 avec le même numéro, qui porte sur une autre étape de la même affaire) : X. c. REPUBLIQUE FEDERALE D’ALLEMAGNE-2
- Le principe d’impartialité des juridictions ne peut être invoqué à l’encontre de l’autorité assurant les fonctions de poursuites
- La partialité des auteurs d’un rapport n’entache pas en soi la légalité de la procédure disciplinaire
- mais ce principe n’interdit pas à un membre du Conseil constitutionnel de connaître du contentieux électoral d’un de ses anciens collaborateurs (si, si c’est possible !). Voir :
- il n’interdit pas le principe d’un (relatif) manque d’indépendance du Parquet :
- voir aussi : A quelles conditions une autorité publique indépendante peut-elle à la fois édicter des normes et, ensuite, en sanctionner les violations ?
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.