La privation d’un loisir tel que la chasse caractérise-t-elle une urgence, en référé suspension ?
A cette question, s’agissant des activités cynégétiques, des TA avaient parfois déjà répondu :
- il n’y a en général pas urgence à suspendre un retrait d’armes, mais cette absence d’urgence tient plus à la prise en compte de l’intérêt public :
- TA Toulouse, 28 mars 2014, n° 1401421. Lire en ligne : https://www.doctrine.fr/d/TA/Toulouse/2014/AE91366A076D6E87D7C50
- TA Cergy-Pontoise, 15 févr. 2016, n° 1601224.
- TA La Réunion, 23 févr. 2011, n° 1100153.
- mais à comparer, dans un cadre certes différent, avec TA Bordeaux, 27 nov. 2012, n° 1000442.
- absence d’urgence à suspendre l’approbation d’un schéma départemental de gestion cynégétique (TA Versailles, 23 déc. 2008, n° 0812149)
- absence d’urgence pour une fédération de chasse de demander la suspension d’un l’arrêté de classement comme nuisible du sanglier (par crainte de perdre ce gibier pour la chasse elle-même) mais cette absence d’urgence repose sur un examen minutieux du caractère limité des mesures adoptées dans l’arrêté (TA Nancy, 12 mars 2013, n° 1300484 ; à comparer avec TA Melun, 28 mai 2009, n° 0903621 et avec TA Nîmes, 2 juill. 2015, n° 1502131)
- pas d’urgence si la mesure combattue conduit à interdire aux requérants de « participer aux battues qui seront organisées dès le mois de juin» d’une part, et impose la présence d’un « responsable pour ces battues », perçue par les requérants comme étant « une ingérence intolérable pour les chasseurs cotisants » (TA Besançon, 7 juin 2013, n° 1300686).
Cependant, priver quelqu’un d’un loisir lié à la liberté d’aller et de venir peut fonder une situation d’urgence. Voir, en ce sens, pour une interdiction de stade :
-
- « 4- L’interdiction de stade litigieuse et l’obligation de pointage au commissariat qui lui est associée, même si elle ne concerne qu’une activité de loisir, portent atteinte à la liberté d’aller et de venir du requérant et perturbent le déroulement de sa vie privée ; dans ces conditions, la condition d’urgence doit être regardée comme remplie en l’espèce ; » (TA Nice, 26 mai 2014, n° 1401645 ; voir aussi la décision 1401649 du même jour et du même TA).
Reste que l’urgence peut être réelle mais la mesure proportionnée, en référé suspension ou, avec certes d’autres critères, en référé liberté (voir par exemple pour les censures du jogging pendant le confinement du à la Covid-19 : CE, 7 janvier 2021, n° 448029).
Ceci dit, il y a une différence entre la restriction entre la liberté d’aller et de venir (de jogger, d’entrer dans un stade…) et l’interdiction ou la restriction d’un loisir comme la chasse : car les personnes concernées ne se voient pas interdire d’aller et de venir, mais juste d’aller et de venir… avec une arme et le droit d’en faire usage. La liberté concernée, prise en compte dans l’appréciation de l’urgence en référé suspension, n’est pas la même.
D’ailleurs, on notera que les TA n’avaient pas pratiqué le tir groupé s’agissant de la conciliation entre le droit de la chasse et les règles du confinement covidien. Pour trois ordonnances (en référé liberté cette fois, bien sûr) très dissemblables, voir : TA Pau, ord., 24 novembre 2020, n° 2002221 ; TA Toulouse, ord., 3 décembre 2020, n° 2005857 ; TA Nîmes, ord., 23 novembre 2020, n°2003476… Voir ici notre article à ce sujet).
Dans ce cadre, on ne peut qu’apprécier la formation particulièrement claire d’une ordonnance rendue hier par le TA de Pau.
Le recours visait à obtenir la suspension d’un arrêté du préfet du Gers ayant suspendu la chasse au gibier à plumes dans les zones concernées par les mesures de contrôle temporaire, de surveillance et de protection liées à l’épizootie d’influenza aviaire hautement pathogène.
C’est sur l’urgence que la fédération de chasse requérante s’est faite débouter, et assez sèchement, avec une phrase très claire (la mise en gras étant de nous bien sûr) :
« il ne ressort pas des pièces du dossier que la privation d’un loisir tel que la chasse, au demeurant limitée à un certain type de chasse, puisse caractériser en l’espèce une situation d’urgence au sens de l’article L. 521-1 du code de justice administrative.»
Ce n’est certes pas une formulation de principe. Nous sommes en simple référé devant un TA, lequel a pris le soin de poser que cela ressortait du dossier, que cette absence de caractérisation de l’urgence était « en l’espèce ».
Mais tout de même le point est-il rédigé de manière nette, et ce dans le sens de la jurisprudence précitée.
Voici cette décision :
Voir aussi :
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