Eau, assainissement, eaux pluviales et intercommunalité : décryptage de la loi « Ferrand Fesneau » (publiée au JO)

 

Le présent blog a souvent traité de l’adoucissement, relatif, des règles d’intercommunalisation des compétences eau et assainissement pour certains EPCI à fiscalité propre et, donc, du projet de loi Ferrand Fesneau :

 

N.B. : à ne pas confondre avec la « loi Fesneau », parfois appelée « Loi Fesneau-Ferrand » sur la GEMAPI… Voir :

 

Cette loi est maintenant parue au JO du 5 août et, désormais, porte le nom de « loi n° 2018-702 du 3 août 2018 relative à la mise en œuvre du transfert des compétences eau et assainissement aux communautés de communes (NOR: INTX1801143L) ».

Le titre, en soi, indique le souhait gouvernemental, farouche, de limiter l’application de ce nouveau régime aux communautés de communes, même si les communautés d’agglomérations sont aussi concernées par certains aspects de ce texte.

D’ailleurs, la dureté des positions gouvernementales lors des débats s’est retrouvée sur de nombreux thèmes (application du nouveau régime aux communautés d’agglomérations, étendue dans le temps du droit d’opposition à l’intercommunalisation…) avec cependant quelques exceptions (régies ; eaux pluviales ; sorties de syndicats) qui donnent lieu à quelques réjouissances et pas mal de frustrations pour divers acteurs locaux.

 

I. Droit d’opposition (non sans limites dans le temps) pour les seules communes membres de communautés de communes

 

IA. principe de ce droit d’opposition

 

L’article 1er de cette loi, d’ailleurs significativement non codifié (mais voir aussi l’article 4 de ladite loi), permet aux communes membres d’une communauté de communes de s’opposer à l’intercommunalisation de la compétence eau ou assainissement.

Cette faculté s’applique à celles des communautés de communes qui n’exercent pas, à la date de la publication de la loi, déjà cette compétence.

Le régime peut alors être ainsi décrit :

  • par défaut l’intercommunalisation de ces deux compétences (alimentation en eau potable [AEP], d’une part, et assainissement y compris le SPANC, d’autre part) s’applique au premier janvier 2020
  • MAIS il est possible de s’opposer à ce transfert obligatoire pour l’une et/ou l’autre de ces compétences sous deux conditions :
    1. que ladite compétence ne soit pas à ce jour exercée par la communauté (voir cependant ci-dessous « IB »)
    2. qu’avant le 1er juillet 2019, au moins 25 % des communes membres de la communauté de communes représentant au moins 20 % de la population délibèrent en ce sens.

 

IB. Un droit d’opposition quintuplement limité.

 

Ce droit d’opposition est cependant limité : pas moins de cinq éléments réduisent ce nouveau régime, en droit comme en pratique.

En premier lieu, il ne s’applique :

  • pas, en dépit de joutes parlementaires conséquentes, aux communautés d’agglomération
  • ni, naturellement, aux communautés urbaines, ni aux métropoles, qui ont déjà cette compétence, sous la réserve très discutée de la Métropole du Grand Paris — MGP — où l’intercommunalisation de cette compétence concerne, à ce jour en tous cas, les établissements publics territoriaux — EPT — qui en quelque sorte la composent ou, plus exactement, la subdivisent… point qui a d’ailleurs donné lieu à des critiques répétées des juridictions financières, dont le présent blog s’est fait l’écho… l’architecture de la MGP devrait cela dit évoluer d’ici à 2020 de toute manière).

 

En deuxième lieu, et ce sujet fut également fort débattu (avec des positions assez dures de l’AMF et de l’AMRF), ce report n’est pas reportable d’un mandat sur l’autre (il en va autrement que pour le régime qui pourtant servit de modèle en ce domaine, à savoir le régime du PLUI…). Au plus tard, le transfert de compétences prend effet le 1er janvier 2026.

 

En troisième lieu, les communautés de communes qui veulent rester sous le régime de la DGF bonifiée devront, au plus tard avant le 1er janvier 2020, s’adapter à un nombre accru de compétences minimales (art. L. 5214-23-1 du CGCT) pour continuer de relever de ce régime juridique et financier.

D’ores et déjà, nous constatons que la grande majorité de nos (nombreux) clients qui sont dans cette situation continuent de plancher sur une intercommunalisation de ces compétences au premier janvier 2020 afin de ne pas avoir à travailler sur des transferts d’autres compétences plus problématiques encore…

 

En quatrième lieu, à tout moment, entre 2020 et 2026, la communauté de communes pourra envisager de se doter de la compétence correspondante ou des compétences correspondantes, avec alors de nouveau un droit d’opposition des communes (ce qui fait une sorte de session de rattrapage après les élections de 2020 !) :

« Si, après le 1er janvier 2020, une communauté de communes n’exerce pas les compétences relatives à l’eau et à l’assainissement ou l’une d’entre elles, l’organe délibérant de la communauté de communes peut également, à tout moment, se prononcer par un vote sur l’exercice de plein droit d’une ou de ces compétences par la communauté. Les communes membres peuvent toutefois s’opposer à cette délibération, dans les trois mois, dans les conditions prévues au premier alinéa. »

 

En cinquième et dernier lieu, cette dérogation à l’intercommunalisation ne s’applique pas si la communauté exerce déjà un fragment de la compétence correspondante, non sans nuances à cette règle :

  • peu importe alors que la compétence figure dans les statuts dans les compétences « optionnelles » ou « facultatives », et ce aux termes exprès de la loi
  • la loi précise qu’il est possible de ne pas transférer tout l’assainissement même si à ce jour la communauté exerce « de manière facultative » à la date de publication de la loi uniquement les missions relatives au service public d’assainissement non collectif (SPANC) au sens du III de l’article L. 2224-8 du CGCT. En ce cas:
    • la loi précise que :
    • « le transfert intégral de la compétence assainissement n’a pas lieu et l’exercice intercommunal des missions relatives au service public d’assainissement non collectif se poursuit dans les conditions prévues au premier alinéa du présent article.»

    • mais selon nous ce texte doit s’interpréter par prudence imposant tout de même le vote prévu par ledit premier alinéa, évoqué ci-avant.
  • si en revanche, à la date d’entrée en vigueur de la loi, la communauté exerce la compétence alimentation en eau potable et/ou une autre partie de la compétence assainissement… alors le report de l’échéance de 2020 ne semble pas possible… même si cette compétence est exercée pour une partie du territoire à la suite d’une fusion de communautés de communes (mais ce dernier point pourrait être discuté en droit).
  • avec sur ce point un traitement spécifique des eaux pluviales urbaines (voir « III »).

 

 

II. Effet sur les syndicats

Le présent blog a souvent traité des effets complexes de la prise de compétence eau ou assainissement sur les syndicats pré-existants.

Voir à ce sujet :

En droit, la situation pouvait être ainsi résumée entre la loi NOTRe d’août 2015 et cette nouvelle loi d’août 2018 :

Par son article 4, LA NOUVELLE LOI CHANGE LARGEMENT CET ÉTAT DU DROIT :

« Le titre Ier du livre II de la cinquième partie du code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :

« 1° Les deux derniers alinéas du II de l’article L. 5214-21 sont supprimés ;
« 2° La première phrase du IV de l’article L. 5216-7 est ainsi modifiée :
« a) Le mot : « trois » est remplacé par le mot : « des » ;
« b) Les mots : « au moins » sont supprimés.»

 

S’agissant des communautés de communes, l’impact de la prise de compétence sur les syndicats pré-existants redevient simple, puisque cela entraîne :

  • le remplacement du syndicat de communes par la communauté de communes si le syndicat est géographiquement plus petit que la communauté, s’il est inclus dans celle-ci, entraînant selon les cas une réduction des compétences du syndicat ou la disparition de celui-ci
  • la représentation substitution (la communauté de communes siège en lieu et place de ses communes antérieurement membres dudit syndicat) pour peu que ledit syndicat ait au moins une commune non membre de cette communauté de communes…

… ce qui n’interdit pas les fusions de syndicats, les extensions de compétences, ou autre mesures préventives ou de réorganisation du territoire.

 

Dans le cas des communautés d’agglomération, ce sont désormais, mais par des formulations textuelles différentes, les mêmes solutions qui s’appliquent, et ce sans qu’il ne soit plus désormais besoin de s’inquiéter de savoir si le syndicat est, ou n’est pas, à cheval sur EPCI à fiscalité propre. On retrouve donc le même régime de reprise de compétence si le syndicat est inclus dans le périmètre communautaire ou de représentation substitution sinon. MAIS le législateur a conservé  dans l’article L. 5216-7, IV, du CGCT, la mention selon laquelle :

« toutefois, après avis de la commission départementale de la coopération intercommunale, le représentant de l’Etat peut autoriser la communauté d’agglomération à se retirer du syndicat au 1er janvier de l’année qui suit la date du transfert de la compétence, dans les conditions prévues au premier alinéa du même I.»

 

Il est à rappeler que cette procédure, qui a déjà connu quelques occurences plus ou moins faciles d’application, laisse clairement au Préfet le droit de refuser ladite demande après passage en CDCI sans que ladite CDCI ne jouisse des pouvoirs d’amendement auxquelles elle a été accoutumée sous d’autres procédures (celles des réorganisations à la suite des lois de 2010, 2014 et 2015 notamment).

 

III. Les eaux pluviales urbaines

Notre blog a souvent traité de la question des eaux pluviales urbaines. Voir par exemple :

 

Les eaux pluviales urbaines sont enfin de nouveau une compétence à part, aux contours certes discutés… et dont l’intercommunalisation n’est obligatoire que pour les métropoles (avec un régime spécifique pour la MGP, voir ci-avant) et les communautés urbaines… puis en 2020 les communautés d’agglomération (si, si, c’est presque caché dans le texte mais si…) :

Article 3

I. – Le titre Ier du livre II de la cinquième partie du code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :
1° Le 6° du II de l’article L. 5214-16 et le 2° du II de l’article L. 5216-5 sont complétés par les mots : « des eaux usées, dans les conditions prévues à l’article L. 2224-8 » ;
2° Au a du 5° du I des articles L. 5215-20 et L. 5217-2, après le mot : « Assainissement », sont insérés les mots : « des eaux usées, dans les conditions prévues à l’article L. 2224-8, gestion des eaux pluviales urbaines au sens de l’article L. 2226-1 ».
II. – Le chapitre Ier du titre II de la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République est ainsi modifié :
1° Les deux derniers alinéas du 1° du IV de l’article 64 sont ainsi rédigés :
« “6° Assainissement des eaux usées, dans les conditions prévues à l’article L. 2224-8, sans préjudice de l’article 1er de la loi n° 2018-702 du 3 août 2018 relative à la mise en œuvre du transfert des compétences eau et assainissement aux communautés de communes ;
« “7° Eau, sans préjudice de l’article 1er de la loi n° 2018-702 du 3 août 2018 relative à la mise en œuvre du transfert des compétences eau et assainissement aux communautés de communes.” ; »
2° Le a du 1° du II de l’article 66 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, la référence : « et 9° » est remplacée par la référence : « à 10° » ;
b) Le dernier alinéa est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :
« “9° Assainissement des eaux usées, dans les conditions prévues à l’article L. 2224-8 ;
« “10° Gestion des eaux pluviales urbaines, au sens de l’article L. 2226-1.” ; ».

IV. Régie unique

 

A ce jour, les formations du CGCT rendent légales avec certitude les régies à simple autonomie financière assurant plusieurs services publics de même nature (administratifs ou industriels et commerciaux) ou assurant un service public industriel et commercial avec une petite fraction de service public administratif (assainissement en réseau unitaire par exemple), ou l’inverse.

La fusion de plusieurs services publics de même nature dans une régie à personnalité morale donnait lieu à quelques débats en raison, à contrario, des formulations de la partie réglementaire propre aux régies dénuées de cette même personnalité morale.

Ce débat n’a plus lieu d’être, la loi autorisant expressément (à la suite de divers amendements suscités notamment par la FNCCR) désormais les régies à personnalité morale :

  • soit ayant une activité pour partie pluviale et pour partie en eaux usées (nul n’en doutait au moins en cas de réseau unitaire mais autant le dire expressément via ce nouveau texte, vu l’érection plus claire qu’auparavant des eaux pluviales urbaines en compétence en soi) ;
  • soit ayant une activité AEP et une activité assainissement et/ou eaux usagées… sous l’évidente double condition :
    • d’un exercice au sein d’un même EPCI ou d’un même syndicat mixte (ouvert ou fermé donc) ;
    • de budgets distincts (bien sûr !).

 

Voici ce texte, dont il sera raisonnable de poser qu’il est interprétatif (les situations existantes étant sans doute légales) mais qu’il opère une clarification bienvenue :

L’article L. 1412-1 du code général des collectivités territoriales est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« L’exploitation des services publics de l’assainissement des eaux usées et de la gestion des eaux pluviales urbaines peut donner lieu à la création d’une régie unique.
« Lorsqu’elle est assurée à l’échelle intercommunale par un même établissement public de coopération intercommunale ou un même syndicat mixte, l’exploitation des services publics de l’eau et de l’assainissement des eaux usées ou de la gestion des eaux pluviales urbaines peut donner lieu à la création d’une régie unique, dotée de la personnalité morale et de l’autonomie financière, conformément aux dispositions de l’article L. 2221-10, à condition que les budgets correspondants à chacun de ces services publics demeurent strictement distincts. »

V. Voici ce texte :

LOI n° 2018-702 du 3 août 2018

 

Et voici un mini-tutoriel vidéo à ce sujet