Que peut donner un recours « Tarn-et-Garonne » ou SMPAT contre les contrats de vidéoprotection intelligente (algorithmique) ?

En droit, le cadre propre à la vidéoprotection (ou vidéosurveillance) algorithmique (intelligente, automatisée ou augmentées) reste encore incomplet et mouvant, sans pour autant constituer le vide juridique parfois évoqué (I.).

Or, en ce domaine, une récente décision du TA de Marseille (II.) est utile pour faire le tri entre types de recours qui seront, ou non, dangereux pour ces dispositifs et, même, quelques conseils opérationnels, notamment pour les personnes publiques, peuvent en résulter…

 

 

I. Rappel des éléments, de base, en matière de cadre juridique propre à la vidéoprotection (ou vidéosurveillance) algorithmique

 

La vidéoprotection (ou vidéosurveillance) algorithmique (VSA, ou vidéoprotection intelligente ou automatisée ou augmentée) est un système de vidéosurveillance utilisant l’intelligence artificielle. Parfois également appelés vidéosurveillance “intelligente”, “automatisée” ou “augmentées.

 

I.A. Un cadre moins lacunaire qu’on ne l’affirme souvent

 

Il est souvent présenté que ces régimes n’auraient pas de cadre juridique. Une telle assertion doit être, à tout le moins, relativisée car :

 

 

I.B. La position de la CNIL

 

La CNIL distingue à juste titre entre vidéo augmentée (où l’on analyse les gestes  entre autres, mais sans reconnaissance faciale) et reconnaissance biométrique. Citons la CNIL :

« La position de la CNIL concerne les dispositifs de vidéo « augmentée » qui se distinguent des dispositifs de reconnaissance biométriques comme par exemple les dispositifs de reconnaissance faciale. Deux critères permettent de distinguer ces dispositifs :

    • la nature des données traitées : caractéristique physique, physiologique ou comportementale ;
    • l’objectif du dispositif : identifier ou authentifier de manière unique une personne.

« Un dispositif de reconnaissance biométrique cumulera toujours ces deux critères tandis qu’une caméra « augmentée » n’en remplira aucun (par exemple une caméra « augmentée » qui filme la rue pour classer les différents usages : voitures, vélos, etc.) ou seulement un des deux (par exemple une caméra « augmentée » qui détecte les bagarres dans une foule).

« Cette distinction a des conséquences juridiques : les dispositifs de reconnaissance biométrique impliquent des traitements de données dites « sensibles » qui sont, par principe, interdits par le RGPD et la loi Informatique et Libertés, sauf exceptions.»

Source : CNIL https://www.cnil.fr/fr/cameras-dites-augmentees-dans-les-espaces-publics-la-position-de-la-cnil

Voici la position de la CNIL à ce sujet :

«En l’absence de textes spécifiques encadrant l’usage des dispositifs de vidéo « augmentée », la CNIL a analysé les principes applicables à ces dispositifs par rapport à la réglementation actuellement en vigueur.

« Elle a notamment considéré que le Code de la sécurité intérieure, qui fixe le cadre applicable aux dispositifs de vidéoprotection traditionnels, n’était pas adapté à cette nouvelle technologie. Mais il n’interdit pas non plus son déploiement. La CNIL appelle plus particulièrement l’attention sur trois points.
« 
La nécessité de respecter les grands principes de la réglementation protégeant les données personnelles
« 
Tout acteur qui souhaiterait déployer un dispositif de vidéo « augmentée » devra se fonder sur une base légale déterminée au cas par cas. Si aucune n’est exclue ou privilégiée par principe, la base légale de « l’intérêt légitime » ne doit pas conduire à un déséquilibre manifeste entre les intérêts poursuivis par l’utilisateur d’un dispositif de vidéo « augmentée » et les attentes raisonnables des personnes (par exemple un magasin qui analyserait l’humeur des clients pour leur afficher des publicités adaptées). De façon plus générale, il faut faire, au préalable, une démonstration de la proportionnalité (c’est-à-dire des conditions de mise en œuvre du dispositif par rapport aux objectifs poursuivis) du dispositif envisagé.
« 
À ce titre, des mécanismes effectifs de protection des données et de la vie privée dès la conception (privacy by design) doivent être mis en œuvre pour permettre de réduire les risques pour les personnes concernées. Des garanties fortes consistent, par exemple, à intégrer des mesures permettant la suppression quasi-immédiate des images sources ou la production d’informations anonymes.
« 
La nécessité d’une loi pour la mise en œuvre de certains dispositifs
« 
La CNIL rappelle que les dispositifs les plus intrusifs, c’est-à-dire ceux susceptibles de modifier les conditions fondamentales d’exercice des droits et libertés fondamentaux des personnes, ne pourront être déployés que si une loi les autorise et les encadre spécifiquement.
« 
Elle estime notamment que les services de police de l’État ou les collectivités territoriales ne sont pas autorisés par la loi à brancher sur les caméras de vidéoprotection des dispositifs d’analyse automatique permettant de repérer des comportements contraires à l’ordre public ou des infractions.
« 
La question spécifique du droit d’opposition des personnes concernées
« 
Les personnes filmées et analysées par les dispositifs de caméras « augmentées » disposent de droits reconnus par la réglementation sur la protection des données (droit à l’information notamment). Parmi ceux-ci, figure souvent la possibilité de s’opposer au traitement mis en œuvre.
« 
Or, la CNIL a constaté que les personnes ne peuvent généralement pas s’opposer à l’analyse de leurs images, par exemple, lorsque les algorithmes ne conservent pas les images, ou que les conditions d’exercice de ce droit ne sont pas praticables (marquer son opposition impose d’appuyer sur un bouton, de faire un geste particulier devant une caméra, de stationner dans une zone dédiée, etc.).
« À ce stade, la CNIL considère que la mise en œuvre de caméras augmentées conduit fréquemment à limiter les droits des personnes filmées.
Une telle limitation des droits n’est possible que dans deux cas de figure :
• soit le traitement impliqué par le dispositif de vidéo « augmentée » poursuit une finalité statistique au sens du RGPD : c’est-à-dire que le traitement ne tend qu’à la production de résultats statistiques constitués de données agrégées et anonymes. Le traitement n’a pas de vocation directement opérationnelle ;
• soit le droit d’opposition est écarté, sur le fondement de l’article 23 du RGPD, par un texte spécifique, de nature au moins réglementaire. Cet acte devra acter la légitimité et la proportionnalité du traitement opéré au regard de l’objectif poursuivi, la nécessité d’exclure la faculté pour les personnes de s’y opposer, tout en fixant des garanties appropriées au bénéfice de ces dernières.
« Dans de nombreux cas, il sera donc nécessaire que des textes, réglementaires ou législatifs, autorisent l’usage des caméras augmentées dans l’espace public. Cette analyse juridique rejoint la nécessité politique pour la puissance publique de tracer la ligne, au-delà du « techniquement faisable », entre ce qu’il est souhaitable de faire d’un point de vue éthique et social et ce qui ne l’est pas dans une société démocratique.»

Sources :

 

 

I.C. Autre sources, utiles par analogie à tout le moins

 

Voir aussi par analogie :

 

 

II. Pour les requérants, le recours aux contentieux Tarn-et-Garonne ou — plus souvent — SMPAT, sur ce point, s’annoncent possible, mais délicats. Il semblent devoir être même voués à l’échec tant que ces dispositifs ne sont pas pleinement opérationnels, si du moins la position, à ce sujet, du TA de Marseille venait à (logiquement selon nous) s’étendre aux autres juridictions 

 

II.A. Une pluralité de types de recours utilisés en pratique

 

Les systèmes de reconnaissance faciale, de traitement des données acquises par drone ou autres caméras thermiques sont en général portées devant le juge par la voie de recours en annulation, de référé suspension, ou plus encore de référé liberté.

Même en cas de reconnaissance faciale (qui, encore une fois, n’est pas le même sujet, mais à partir duquel on peut raisonner par analogie, la VSA étant a priori moins intrusive) insérée dans un contrat, il est arrivé que les requérants n’attaquent pas via un recours contractuel (de type dit « Tarn-et-Garonne » du nom de l’arrêt éponyme de 2014, ou de type SMPAT, voir ci-après) mais par un recours pour excès de pouvoir favorablement accueilli sur le principe par le juge. Pour un cas de recevabilité avec censure partielle voir le jugement du TA Marseille, 27 février 2020, n° 1901249, que voici ici, que nous avions commenté .

 

II.B. Petit rappel pédagogique sur ce que sont des contentieux Tarn-et-Garonne, et ce que sont les moyens alors susceptibles d’être soulevés par un « tiers lésé » (telle qu’une association anti-vidéo protection augmentée)

 

Ceci dit, un contentieux Tarn-et-Garonne reste le plus logique en cas de recours contre un contrat lui-même.

Rappelons ce dont nous parlons : ce que l’on appelle un « recours Tarn-et-Garonne » (capitale Montauban, qu’il est malsain de quitter même au contentieux), depuis l’arrêt éponyme, est le recours possible, directement, contre un contrat.

Mais par voie de conséquence, symétriquement, les recours contre les actes détachables du contrats, tel celui qu’est une délibération autorisant à passer un contrat, ne sont plus recevables (sauf cas particuliers notamment pour leurs vices propres ou pour certains cas de conclusion de contrats de droit privé ou d’actes antérieurs à 2014). Voir CE, Assemblée, 4 avril 2014, Département de Tarn-et-Garonne, n° 358994, rec. p. 70… et la nombreuse postérité de cet arrêt, souvent commenté au sein du présent blog (voir ici).

En 2014, cette faculté a retenti comme un coup de tonnerre. Longtemps, la vulgate ainsi enseignée dans les facultés de Droit avait été que dans sa grande sagesse le Conseil d’Etat avait décidé que l’on ne pouvait attaquer directement le contrat dans sa légalité mais que le requérant pouvait contourner l’obstacle  en attaquant les actes détachables du contrat (la délibération, la décision de signer)… au besoin en demandant (avec astreinte et injonction) à l’administration de saisir le juge du contrat.

Et les étudiants d’ânonner ces jurisprudences byzantines (CE, 4 août 1905, Epoux Martin,rec. 749 ; CE 1er octobre 1993, Yacht club de Bormes-les-Mimosas, rec. T. 874 ; CE, 7 octobre 1994, Epoux Lopez, rec. p. 430)… en se demandant pourquoi le juge avait voulu tant de complexité, si ce n’était pour le bonheur des esprits pervers et des juristes tordus (au point que le juge dut parfois se déjuger : CE, 30 octobre 1998, n° 149662, Ville de Lisieux, rec. 375).

Puis vint LA grande simplification, celle qui supprime d’un coup nombre de pages inutiles dans les traités de contentieux administratif : la possibilité pour les tiers au contrat d’engager un recours direct contre le contrat.

N.B. : ceci dit, la révolution avait déjà été entamée par l’important arrêt CE, Ass., du 16 juin 2007, Société Tropic travaux signalisation, rec. 360…

C’est ce que l’on appelle un « recours Tarn-et-Garonne », depuis l’arrêt du même nom (CE, 4 avril 2014, Département de Tarn-et-Garonne, n° 358994). Combiné avec d’autres jurisprudences (voir par exemple CE, 5 février 2016, Syndicat mixte des transports en commun Hérault Transport, n° 383149) on sait que :

  • le recours « Tarn-et-Garonne » est en effet ouvert :
    • d’une part à

« tout tiers à un contrat administratif susceptible d’être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses »

    • et d’autre part aux

« membres de l’organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné ainsi qu’au représentant de l’Etat dans le département dans l’exercice du contrôle de légalité ;  »

  • mais avec une nuance de taille : selon que le recours est engagé par un candidat évincé ou par un membre de l’organe délibérant (ou par le préfet)… les moyens à soulever ne sont pas les mêmes. Le Préfet et les membres de l’organe délibérant peuvent invoquer tout moyen alors que le candidat évincé ne peut invoquer que certains vices  (en rapport direct avec l’intérêt lésé ou alors des moyens d’ordre public) :

«  si le représentant de l’Etat dans le département et les membres de l’organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné, compte tenu des intérêts dont ils ont la charge, peuvent invoquer tout moyen à l’appui du recours ainsi défini, les autres tiers ne peuvent invoquer que des vices en rapport direct avec l’intérêt lésé dont ils se prévalent ou ceux d’une gravité telle que le juge devrait les relever d’office »

Notamment si le tiers est un candidat évincé, les moyens qu’il peut soulever sont énumérés par le Conseil d’Etat :

« le tiers agissant en qualité de concurrent évincé de la conclusion d’un contrat administratif ne peut ainsi, à l’appui d’un recours contestant la validité de ce contrat, utilement invoquer, outre les vices d’ordre public, que les manquements aux règles applicables à la passation de ce contrat qui sont en rapport direct avec son éviction ;»

Voir aussi :

 

Ajoutons :

 

 

 

II.C. Or, justement, un jugement du TA de Marseille semble annonciateur de ce que les recours SMPAT (en l’espèce) ou Tarn-et-Garonne (si le requérant avait attaqué pile au lendemain de la passation du marché public prévoyant cette vidéoprotection améliorée)… pour les associations requérantes, ne seront pas des voies aisément ouvertes (ce qui va dans l’intérêt des personnes publiques que nous défendons usuellement, mais c’est une autre histoire)

 

Il n’en demeure pas moins donc que pour attaquer un contrat, postérieur à 2014, le plus logique est justement d’engager un recours « Tarn-et-Garonne » contre le contrat (ou un recours contre les clauses réglementaires du contrat parfois)… voire si l’on s’y prend plus tard, un contentieux « SMPAT » visant à attaquer une décision de refus de résilier le contrat (recours présentés ci-avant en II.B., donc).

Or, une affaire Marseillaise a donné l’occasion à la toujours bouillante association Quadrature du net d’engager un nouveau duel juridictionnel sur cette base. 

Mal lui en a pris. A son grand dam (voir ici).

Narrons déjà les faits.

Depuis l’année 2012, la commune de Marseille s’est dotée d’un dispositif de vidéo-protection dans l’espace public. Par une procédure de dialogue compétitif, elle a attribué en 2018 un marché à une société visant à l’acquisition d’un dispositif de « vidéo-protection intelligente ».

En 2020, l’association la Quadrature du Net a adressé à Marseille un courrier lui demandant de résilier ce marché public, puis elle a attaqué la décision implicite de refus.

Bref, un contentieux SMPAT tel que rapidement présenté ci-avant.

Le TA commence par rappeler le cadre applicable en pareil cas :

« 2. Un tiers à un contrat administratif susceptible d’être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par une décision refusant de faire droit à sa demande de mettre fin à l’exécution du contrat est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction tendant à ce qu’il soit mis fin à l’exécution du contrat.
« 3. Les tiers ne peuvent utilement soulever, à l’appui de leurs conclusions tendant à ce qu’il soit mis fin à l’exécution du contrat, que des moyens tirés de ce que la personne publique contractante était tenue de mettre fin à son exécution du fait de dispositions législatives applicables aux contrats en cours, de ce que le contrat est entaché d’irrégularités qui sont de nature à faire obstacle à la poursuite de son exécution et que le juge devrait relever d’office ou encore de ce que la poursuite de l’exécution du contrat est manifestement contraire à l’intérêt général. À cet égard, ils ne peuvent se prévaloir d’aucune autre irrégularité, notamment pas celles tenant aux conditions et formes dans lesquelles la décision de refus a été prise. En outre, les moyens soulevés doivent, sauf lorsqu’ils le sont par le représentant de l’État dans le département ou par les membres de l’organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales compte-tenu des intérêts dont ils ont la charge, être en rapport direct avec l’intérêt lésé dont le tiers requérant se prévaut.
« 4. Saisi par un tiers dans les conditions définies ci-dessus, de conclusions tendant à ce qu’il soit mis fin à l’exécution d’un contrat administratif, il appartient au juge du contrat d’apprécier si les moyens soulevés sont de nature à justifier qu’il y fasse droit et d’ordonner après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l’intérêt général, qu’il soit mis fin à l’exécution du contrat, le cas échéant avec un effet différé.»

 

Certes. Mais cela l’a conduit nécessairement à une appréciation de l’intérêt général et du caractère lésé ou non de l’intérêt du requérant, dans un cadre qui ne conduit, on le voit, et ce très logiquement même si c’est au grand dam de la requérante quérulente, pas à accéder aisément aux demandes de celle-ci.

Passons rapidement sur le grief, fait au contrat, de déléguer au privé une décision foncièrement publique. Que l’on ne puisse déléguer certaines décisions ou actions publiques au secteur privé, certes. Voir par exemple :

Mais en l’espèce, le TA n’a eu guère de difficulté à constater que les décisions restent prises par la personne publique. Ce qui revient certes à poser que la gestion interne par l’algorithme n’est pas une décision publique donnée au privée, mais un tel raisonnement serait sans doute très fragile :

» 6. Le contrat conclu le 2 novembre 2018 par la commune de Marseille a confié à la société SNEF service tertiaire, titulaire du marché, d’une part, « la fourniture et l’intégration d’une solution globale fonctionnelle » comprenant notamment la conception du logiciel de « vidéoprotection intelligente », le déploiement informatique, le paramétrage des fonctionnalités, la formation et la maintenance et d’autre part, l’extension du déploiement du dispositif selon les mêmes modalités. D’une part, il résulte de l’instruction que ce contrat prévoit seulement que le logiciel traite automatiquement les données issues des images de vidéoprotection de sorte à identifier les anomalies, les incidents ou les faits remarquables qu’un opérateur seul ne serait pas en mesure de détecter, afin d’alerter les agents et leur permettre de traiter ces incidents, le dispositif constituant ainsi une aide à la décision. Le visionnage des images reste ainsi effectué par les opérateurs du centre de supervision urbaine. Le contrat n’implique pas davantage que le logiciel ou les agents de la société cocontractante apprécient si les faits survenus sur la voie publique constituent une atteinte à l’ordre public ou une infraction pénale. D’autre part, il résulte de l’instruction que le paramétrage des algorithmes est effectué en collaboration et pour le compte de la commune de Marseille, et notamment de la direction de la police municipale et de la sécurité ainsi que sous le contrôle de la direction générale adjointe du numérique et du système d’information et de la direction du développement du système d’information, ces dernières étant chargées du suivi d’exécution des marchés liés à la vidéoprotection, de la conception et de la gestion de l’architecture technique et de la validation technique des solutions. Ainsi, le contrat en litige n’a pas pour objet de faire participer la société SNEF service tertiaire à l’exercice même de la mission de police administrative. Par suite, le moyen tiré de ce que le contrat procède à une délégation illicite d’une mission de police administrative à une société privée doit être écarté.»

Le TA a également rejeté le moyen tiré de ce que la poursuite de l’exécution du contrat serait manifestement contraire à l’intérêt général… et là on touche à un point intéressant : tant que le marché en est en phase de tests, surtout si la mise en oeuvre correspond à des tranches conditionnelles non affermies, le juge devrait —  comme celui de Marseille — considérer que l’atteinte à l’intérêt général (fondé sur le fait que la « la poursuite de l’exécution du contrat » serait « manifestement contraire à l’intérêt général »), à la supposer susceptible d’être constituée (ce qui, vraiment, se discute), serait en tout état de cause NON constituée tant que l’on est encore en phase de test ou d’usage très limité :

« 8. Il résulte de l’instruction que l’exécution du marché en litige – comportant une tranche ferme consistant en trois postes correspondant à la conduite de projet, à la conception et déploiement du logiciel et à l’extension du déploiement et une tranche conditionnelle consistant en l’évolution fonctionnelle du dispositif – a, depuis le mois de septembre 2020, été suspendue par la commune au poste n°2 de la tranche ferme, soit au stade de la conception, dans le cadre d’un moratoire sur le projet global. La tranche conditionnelle n’a, quant à elle, pas été affermie. Ainsi, la commune fait valoir, sans être contestée, que le dispositif de « vidéoprotection intelligente » tel qu’il existe actuellement n’est nullement finalisé et n’en est qu’à une phase de test et de recherche pour laquelle une cinquantaine de caméras fixes ont été installées, lesquelles ne sont pas reliées au réseau principal de vidéoprotection et dont les flux vidéos sont automatiquement effacés dans un délai de dix jours. La commune fait valoir, en outre, que ces caméras sont exploitées au moyen de deux postes informatiques installés dans un local dédié du centre de supervision urbaine de la ville dont l’accès est restreint à l’équipe projet – composé de personnel municipal et de prestataires habilités – qui dispose pour ce faire d’accès informatiques individualisés. L’état actuel de l’exécution du marché reste donc à un stade très éloigné de l’objectif fixé de déployer le dispositif à l’échelle de la totalité des caméras installées sur la voie publique de la commune de Marseille. En conséquence, à supposer même que le traitement de données prévu par le dispositif acquis par la commune de Marseille soit inadéquat, non pertinent et manifestement excessif au regard des finalités poursuivies, il ne résulte pas de l’instruction que la poursuite de l’exécution du contrat à la date du présent jugement serait manifestement contraire à l’intérêt général. »

 

Source :

TA Marseille, 2 juin 2023, n° 2009485

 

Conclusion et rapides conseils opérationnels, notamment pour les personnes publiques 

 

Il en résulte qu’au stade :

  • de la passation ou du lendemain de celle-ci (recours Tarn-et-Garonne), à tout le moins un recours tel que celui-ci par une association semble incertain (tant que le droit écrit, notamment européen, reste, disons, souple ou en formation)
  • de l’exécution, un recours SMPAT pourra être envisagé, mais avec pour les personnes publiques une bonne ligne de défense si elles ont bien mis la réalisation en tranche conditionnelle et si celle-ci n’est pas encore affermie (et ensuite au stade de l’exécution, même de cette tranche conditionnelle, l’intérêt de continuer sa mise en oeuvre sera souvent à démontrer pour la personne publique.
  • du principe consistant à adopter un tel régime, parfois l’adopter par un acte à part de principe pourra être une mesure contre-productive en termes de stratégie pré-contentieuse