Survol des actualités en matière de commande publique depuis début décembre 2020

Voici un survol des actualités en commande publique depuis un gros mois pour ceux qui ont pris quelques jours de vacances pendant la trêve des confiseurs :

  • I. L’acheteur public, victime de pratiques anticoncurrentielles
  • II. Quel est le régime contentieux d’un avenant à un contrat, si le contrat est antérieur à 2014 (au regard tant des jurisprudences Tarn-et-Garonne qu’Olivet) ?
  • III. Offres de filiales d’un même groupe à un appel d’offres : 1 problème ; 2 modes d’emploi
  • IV. Commande publique : un requérant peut-il se muer en serial plaideur ? 
  • V. Commande publique : quelle indemnisation quand une offre est irrégulière, mais régularisable ?
  • VI. Marchés publics : l’interdiction de renoncer aux intérêts moratoires est-elle conforme à la Constitution ?
  • VII. Marchés de substitution : le mode d’emploi du Conseil d’Etat
  • VIII. Commande publique et loi ASAP : DEUX COURTES VIDÉOS ET UN ARTICLE
  • IX. Contrats : la résiliation tacite, enfin explicite !
  • X. Concessions autoroutières : terrain glissant pour tout le monde
  • XI. Référé « secret des affaires » : le TA de Nancy ouvre le bal et les AMO partiaux s’y font marcher sur les pieds !
  • XII. Les architectes à nouveau condamnés à démolir leur édifice anti-concurrentiel
  • XIII. Grands ports maritimes : les modes de gestion des terminaux, arrimés au JO de ce matin
  • XIV. Une commune doit une somme (dans le cadre d’un BEA en l’espèce). Cette créance est cédée à autrui. La cession de créance peut-elle être acceptée par avance ?
  • XV. Survol des modes de gestion à destination des nouveaux élus [VIDEO] 

I. L’acheteur public, victime de pratiques anticoncurrentielles

 

Face à des pratiques anticoncurrentielles (ententes, prix prédateurs, etc.)… l’acheteur public est parfois démuni.

Mais, de l’amont du contrat public jusqu’à son exécution, face aux dols, aux manoeuvres anticoncurrentielles, aux ententes, aux cartels… les personnes publiques ont enfin quelques outils efficaces, notamment grâce à quelques jurisprudences récentes.

Sources : CE, 12 octobre 2020, n° 432981 433423 433477 433563 433564, à publier aux tables du recueil Lebon (à combiner CE, 10 juillet 2020, n°420045 et 430864 et CE, 27 mars 2020, n° 420491 et n° 421758).

En seulement 5 mn 10, Me Eric Landot fait le point sur ces sujets.

Vous pouvez cliquer sur le lien ci-dessous :

https://youtu.be/XaQZOLDQrNw

 

… ou juste visionner cette vidéo en cliquant sur l’image que voici :

 

Voir aussi :

 

Voir aussi :

 

 

II. Quel est le régime contentieux d’un avenant à un contrat, si le contrat est antérieur à 2014 (au regard tant des jurisprudences Tarn-et-Garonne qu’Olivet) ?

 

Le Conseil d’Etat vient de rendre une décision répondant à deux questions :

  • Quel est le régime contentieux des avenants aux contrats publics postérieurs au 4 avril 2014, portant sur des contrats antérieurs à cette date ?Réponse : les recours Tarn-et-Garonne s’appliquent aux avenants postérieurs au 4 avril 2014, même si le contrat est, lui, antérieur à cette date.Cet apport en contentieux des contrats publics intervient en marge d’un long contentieux, qui vient de rebondir, et qui lui porte sur l’application de la jurisprudence « Olivet » (délégations de service public de plus de 20 ans dans divers services publics environnementaux).
  • Faut-il faire prévaloir une interprétation large de la notion d’avenant conduisant illégalement à porter la durée d’un contrat de délégation de service public (DSP) environnementale au delà de la durée plafond de 20 ans ?Réponse : les contentieux dits Olivets s’appliquent bien dès qu’un avenant a pour conséquence de prolonger la durée d’une DSP, même conclue avant 1995, au delà des 20 ans qui forment un plafond pour de tels contrats dans les secteurs environnementaux. 

 

D’une pierre, deux coups : le Conseil d’Etat précise à la fois le régime des recours Tarn-et-Garonne dans le cas des avenants à des contrats antérieurs à 1994 ; et le régime des avenants dans le cadre des contentieux « Olivet ». Tarn-et-Garonne… Olivet… Cette histoire qui vient d’être tranchée à Paris commence à… Bordeaux. Revenons en détail sur les étapes de ce petit tour de France juridique qui glisse vers le tour de force juridique…

  • A. Un long litige dans le cadre plus large d’un contentieux portant notamment sur la durée des DSP et de leurs avenants en matière de services publics environnementaux (jurisprudence « Olivet »)
  • B. Un débat, en TA et en CAA, sur la recevabilité même des requêtes (tardiveté ou non ; possibilité ou non d’attaquer directement la délibération)
  • C. Le Conseil d’Etat précise le régime contentieux des avenants postérieurs au 4 avril 2014, portant sur des contrats antérieurs à cette date, d’une part, et impose une interprétation large du régime des contentieux « Olivet », d’autre part.

 

A. Un long litige dans le cadre plus large d’un contentieux portant notamment sur la durée des DSP et de leurs avenants en matière de services publics environnementaux (jurisprudence « Olivet »)

 

Le contrat de concession du service public des eaux de la Communauté urbaine de Bordeaux signé en 1991 a fait l’objet de nombreux avenants dont un signé suite à une délibération du 21 décembre 2012, maintenant la durée initiale de la concession, à échéance de 2021. L’association Trans’cub et 4 habitants de Bordeaux métropole ont, après en avoir demandé le retrait auprès du président de Bordeaux métropole,  demandé l’annulation de cette délibération ainsi que d’une autre du 8 juillet 2011 et de déclarer illégales deux autres délibérations de 2006 et 2009.

Les amateurs de droit contractuels auront donc reconnu une demande, par les requérants, de l’application du célèbre arrêt « Olivet ». 

N.B. : la loi Barnier du 2 février 1995 prévoit une durée maximale de vingt ans pour certaines DSP. Le juge administratif en a alors déduit que les contrats de DSP conclu avant l’entrée en vigueur de la loi Barnier devaient s’arrêter, sauf exceptions, au 3 février 2015 au plus tard (CE, 8 avril 2009, Commune d’Olivet, n°271737).

En fait, il convient pour l’essentiel de retenir par son fameux arrêt « Commune d’Olivet », le Conseil d’Etat est intervenu afin de rendre applicable les dispositions législatives relatives à l’encadrement de la durée des délégations de service public aux conventions de délégation de service public en cours lors de la publication de ces dispositions.

Ainsi, le Conseil d’Etat a jugé qu’une délégation de service public  dans les domaines environnementaux (et donc d’une durée plafonnée à 20 ans), conclue avant l’entrée en vigueur de ces lois, ne peut plus être régulièrement exécutée au-delà de 20 ans à compter de l’entrée en vigueur de la loi n°95-101 du 2 février 1995 dite « loi Barnier ».

Ainsi, il résulte de cet arrêt que :

  • une délégation de service public conclue avant l’entrée en vigueur de la loi Barnier du 2 février 1995 ne peut être régulièrement exécutée plus de vingt ans après l’entrée en vigueur de ladite loi, soit après le 3 février 1995,
  • néanmoins, il en va différemment en cas de justifications particulières soumises à l’examen préalable du directeur départemental des Finances publiques (DDFIP) (remplaçant le trésorier payeur général dans la nouvelle rédaction de l’article L.1411-2 du CGCT).

… Avec diverses difficultés. Voir par exemple :

 

B. Un débat, en TA et en CAA, sur la recevabilité même des requêtes (tardiveté ou non ; possibilité ou non d’attaquer directement la délibération)

 

Le Tribunal administratif de Bordeaux avait fait en première instance une analyse intéressante sur ce point :

  • 1/ le TA de Bordeaux avait jugé le recours recevable contre la délibération. Ces recours ont été engagés avant l’arrêt CE, Ass., 4 avril 2014, Département de Tarn-et-Garonne, req. n° 358994 (sinon les requérants eussent été irrecevables pour avoir attaqué la délibération et non le contrat, schématiquement).
  • 2/  passé les délais de recours pour excès de pouvoir (REP), le TA de Bordeaux avait estimé qu’il n’était pas possible de demander l’abrogation d’une délibération non réglementaire (ce qui n’est pas nouveau)… et il avait posé que n’était pas une telle délibération réglementaire une délibération approuvant un avenant entraînant des investissements nouveaux sans changement de tarif ni de durée du contrat (ce qui était très discutable puisque les tarifs en résultent. Notons par ailleurs que le recours en annulation direct fait par les requérants était tardif, mais que le TA avait accepté de les examiner sous l’angle de la demande d’abrogation les conclusions dirigées contres les délibérations de 2006, 2009 et 2011).
  • 3/ si un organe délibérant décide de maintenir une durée de concession en dépit de l’arrêt Olivet, l’avis du DDFIP (ou DRFIP) peut n’être que partiellement communiqué aux élus dès lors que la partie utile dudit avis a été transmise sans tromperie

 

Source : TA Bordeaux, 9 mai 2016, n° 1302295 que nous avions en son temps :

 

Par un arrêt n° 16BX02303 du 18 décembre 2018, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a rejeté l’appel que les requérants avaient formé contre ce jugement. Voir cet arrêt :

 

La CAA fut même plus dure puisqu’elle n’a pas rattrapé la tardiveté de la requête via la même méthode que celle susmentionnée au point 2/.

 

C. Le Conseil d’Etat précise le régime contentieux des avenants postérieurs au 4 avril 2014, portant sur des contrats antérieurs à cette date, d’une part, et impose une interprétation large du régime des contentieux « Olivet », d’autre part.

 

C’est cet arrêt de CAA que le Conseil d’Etat vient de censurer par un arrêt du 20 novembre 2020. Non pas sur le fond : à ce titre, la lutte entre requérants et défendeurs continue (l’affaire est, au fond, renvoyée à la CAA de Bordeaux).

 

Rappelons ce qu’est un recours Tarn-et-Garonne

 

Ce que l’on appelle un « recours Tarn-et-Garonne » (capitale Montauban, qu’il est malsain de quitter même au contentieux), depuis l’arrêt éponyme, est le recours possible, directement, contre un contrat.

Mais par voie de conséquence, symétriquement, les recours contre les actes détachables du contrats, tel celui qu’est une délibération autorisant à passer un contrat, ne sont plus recevables (sauf cas particuliers notamment pour leurs vices propres ou pour certains cas de conclusion de contrats de droit privé ou d’actes antérieurs à 2014). Voir CE, Assemblée, 4 avril 2014, Département de Tarn-et-Garonne, n° 358994, rec. p. 70… et la nombreuse postérité de cet arrêt, souvent commenté au sein du présent blog (voir ici).

En 2014, cette faculté a retenti comme un coup de tonnerre. Longtemps, la vulgate ainsi enseignée dans les facultés de Droit avait été que dans sa grande sagesse le Conseil d’Etat avait décidé que l’on ne pouvait attaquer directement le contrat dans sa légalité mais que le requérant pouvait contourner l’obstacle  en attaquant les actes détachables du contrat (la délibération, la décision de signer)… au besoin en demandant (avec astreinte et injonction) à l’administration de saisir le juge du contrat.

Et les étudiants d’ânonner ces jurisprudences byzantines (CE, 4 août 1905, Epoux Martin, rec. 749 ; CE 1er octobre 1993, Yacht club de Bormes-les-Mimosas, rec. T. 874 ; CE, 7 octobre 1994, Epoux Lopez, rec. p. 430)… en se demandant pourquoi le juge avait voulu tant de complexité, si ce n’était pour le bonheur des esprits pervers et des juristes tordus (au point que le juge dut parfois se déjuger : CE, 30 octobre 1998, n° 149662, Ville de Lisieux, rec. 375).

Puis vint LA grande simplification, celle qui supprime d’un coup nombre de pages inutiles dans les traités de contentieux administratif : la possibilité pour les tiers au contrat d’engager un recours direct contre le contrat. C’est ce que l’on appelle un « recours Tarn-et-Garonne », depuis l’arrêt du même nom (CE, 4 avril 2014, Département de Tarn-et-Garonne, n° 358994). Combiné avec d’autres jurisprudences (voir par exemple CE, 5 février 2016, Syndicat mixte des transports en commun Hérault Transport, n° 383149) on sait que :

  • le recours « Tarn-et-Garonne » est en effet ouvert :
    • d’une part à

« tout tiers à un contrat administratif susceptible d’être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses »

    • et d’autre part aux

« membres de l’organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné ainsi qu’au représentant de l’Etat dans le département dans l’exercice du contrôle de légalité ;  »

  • mais avec une nuance de taille : selon que le recours est engagé par un candidat évincé ou par un membre de l’organe délibérant (ou par le préfet)… les moyens à soulever ne sont pas les mêmes. Le Préfet et les membres de l’organe délibérant peuvent invoquer tout moyen alors que le candidat évincé ne peut invoquer que certains vices  (en rapport direct avec l’intérêt lésé ou alors des moyens d’ordre public) :

«  si le représentant de l’Etat dans le département et les membres de l’organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné, compte tenu des intérêts dont ils ont la charge, peuvent invoquer tout moyen à l’appui du recours ainsi défini, les autres tiers ne peuvent invoquer que des vices en rapport direct avec l’intérêt lésé dont ils se prévalent ou ceux d’une gravité telle que le juge devrait les relever d’office »

Notamment si le tiers est un candidat évincé, les moyens qu’il peut soulever sont énumérés par le Conseil d’Etat :

« le tiers agissant en qualité de concurrent évincé de la conclusion d’un contrat administratif ne peut ainsi, à l’appui d’un recours contestant la validité de ce contrat, utilement invoquer, outre les vices d’ordre public, que les manquements aux règles applicables à la passation de ce contrat qui sont en rapport direct avec son éviction ;»

Voir aussi :

 

Ajoutons que :

  • par un arrêt du 30 juin 2017 (CE, 30 juin 2017, n° 398445, SMPAT, publié au recueil Lebon) le Conseil d’Etat a ouvert une nouvelle voie de recours aux tiers à un contrat administratif en opérant ainsi une extension de sa jurisprudence Tarn-et-Garonne aux actes concernant l’exécution du contrat dont particulièrement les décisions de refus de résiliation de celui-ci. Voir ici.
  • deux arrêts du Conseil d’Etat (CE, 23 décembre 2016, n°397096 et n°392815 [deux espèces distinctes])…  continuent d’autoriser des recours contre les actes unilatéraux préalables à la formation du lien contractuel, mais uniquement au titre de leurs vices propres. Mais avec une portée limitée (voir par exemple CAA Douai, 18 mai 2017, CC de la Côte d’Albâtre, n°16DA01411; pour un commentaire de cette dernière décision, voir ici).
  • qu’il il existe une importante dérogation à l’empire, large, de « Tarn-et-Garonne » : le cas des clauses réglementaires insérées dans les contrats CE, 9 février 2018, Val d’Europe c/ SANEF, 404982, Publié au recueil Lebon ; voir : Contentieux et clauses réglementaires des contrats : et les 6 faces du Rubik’s cube apparurent… enfin homogènes et cohérentes ).
  • les recours contre les contrats antérieurs au 4 avril 2014 continuaient de relever du régime antérieur 

 

C’est sur ce tout dernier point que le Conseil d’Etat vient de préciser sa jurisprudence. 

 

 

L’apport de ce tout nouvel arrêt du point de vue du régime contentieux

 

Rappelons donc une partie des épisodes précédents. En vertu de la décision n° 358994 du 4 avril 2014 du Conseil d’Etat, statuant au contentieux :

  • la contestation de la validité des contrats administratifs par les tiers doit faire l’objet d’un recours de pleine juridiction dans les conditions définies par cette décision.
  • MAIS le recours ainsi défini ne trouve à s’appliquer qu’à l’encontre des contrats signés à compter du 4 avril 2014, date de sa lecture, la contestation des contrats signés antérieurement à cette date continuant d’être appréciée au regard des règles applicables avant cette décision.

Là, en l’espèce, le contrat était antérieur à 2014.

Le Conseil d’Etat pose donc que dans le cas où est contestée la validité d’un avenant à un contrat, la détermination du régime de la contestation est fonction de la date de signature de l’avenant, un avenant signé après le 4 avril 2014 doit être contesté par un recours « Tarn-et-Garonne » (recours contre l’avenant ou contre le contrat, et non contre la délibération autorisant à signer le contrat), et ce quand bien même cet avenant modifie un contrat signé antérieurement au 4 avril 2014.

Application au cas d’espèce avec une application extensive de la jurisprudence Olivet pour un des avenants, au contraire de ce qu’avait apprécié le juge du fond

 

En l’espèce, les délibérations du 22 décembre 2006, du 10 juillet 2009 et du 21 décembre 2012 sont relatives à des avenants au contrat de concession antérieurs au 4 avril 2014. Eu égard à la date de conclusion de ces avenants, elles constituent, avec la décision refusant de les retirer, des actes détachables du contrat de concession susceptibles de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir.
Le Conseil d’Etat estime comme la CAA que ces clauses n’étaient pas réglementaires (ce qui vraiment se discutait selon nous…) : il en résulte un rejet de la requête (tardiveté du recours non rattrapable par une demande d’abrogation d’un règlement illégal, pour schématiser).

Sur le pourvoi en tant qu’il concernait la délibération du 21 décembre 2012, en revanche, l’histoire est différente. Le Conseil d’Etat rappelle ses règles de l’arrêt Olivet (voir ci-avant en I.) .

Sur ce point, la CAA avait rejeté l’application de l’arrêt Olivet au motif que l’avenant n’aurait pas eu pour objet de prolonger la DSP au delà du délai de 20 prévu par la loi. Ce n’était pas le cas et le Conseil d’Etat sur ce point censure l’arrêt de la CAA.

Les contentieux dits Olivets s’appliquent donc bien lato sensu, plus que ne l’avait posé la CAA, dès qu’un avenant a pour conséquence de prolonger la durée d’une DSP, même conclue avant 1995, au delà des 20 ans qui forment un plafond pour de tels contrats dans les secteurs environnementaux. 

 

Voici cette décision

 

CE, 20 novembre 2020, n° 428156, à publier aux tables du recueil Lebon :

http://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CE/decision/2020-11-20/428156

 

 

III. Offres de filiales d’un même groupe à un appel d’offres : 1 problème ; 2 modes d’emploi

 

Entre l’Autorité de la concurrence et le Conseil d’Etat… il y une apparence de discorde quant aux offres de différentes filiales d’un même groupe à un appel d’offres.

MAIS cette supposée divergence s’avère trompeuse : en fait, l’autorité de régulation, d’une part, et le juge administratif, d’autre part, convergent. Mais il en résulte que face à des offres de différentes filiales d’un même groupe à un appel d’offres, l’acheteur public dispose de voies de droit qui ne conduiront pas toutes aux mêmes solutions… 

A la suite d’une décision de la CJUE précisant la jurisprudence au niveau européen, l’Autorité de la concurrence a en effet modifié sa pratique décisionnelle, qui interdisait jusqu’alors, sous peine de sanctions, à des filiales d’un même groupe de se coordonner en réponse à des appels d’offres….

Une telle pratique n’est donc plus nécessairement une entente illicite. Mais elle peut cependant donner à sanctions, notamment en droit de la commande publique, et ce sous certaines conditions… rappelait déjà l’Autorité de la concurrence au lendemain de sa propre décision… et à la veille, donc, de l’arrêt du Conseil d’Etat censurant cette pratique, ou une pratique proche, en droit de la commande publique. 

DONC de telles pratiques seront souvent absoutes en droit de la concurrence, mais censurées en droit de la commande publique (et ce n’est pas une totale contradiction car ces régimes juridiques diffèrent dans leurs champs d’application), même si en un tel domaine, une étude au cas par cas s’impose, bien évidemment. 

 

 

A. Le droit européen et, désormais, français de la concurrence autorise sous certaines réserves ces offres de différentes filiales 

 

A la suite d’un rapport d’enquête transmis par la DGCCRF, l’Autorité de la concurrence s’est saisie de pratiques mises en œuvre par des entreprises en réponse aux d’appels d’offres lancés par France AgriMer, qui est un établissement public national.

Entre 2013 et 2016, plusieurs sociétés appartenant alors au groupe Ovimpex (Dhumeaux, Mondial Viande Service, Vianov) ont déposé des offres en réponse aux marchés publics lancés par France AgriMer. Présentées comme distinctes et autonomes, ces offres étaient en réalité élaborées en commun.

L’Autorité considérait que pouvaient être sanctionnées au titre de la prohibition des ententes les pratiques consistant en la présentation au pouvoir adjudicateur d’offres en apparence indépendantes mais préparées de façon concertée par des entités appartenant à un même groupe.

Sources en ce sens : voir par exemple les décisions n° 03-D-07 du 4 février 2003; n° 08-D-29 du 3 décembre 2008 ; n° 10-D-04 du 26 janvier 2010 ; n° 18-D-02 du 19 février 2018.

Toutefois, dans un arrêt du 17 mai 2018 « Ecoservice projektai » UAB, C‑531/16, la Cour de justice de l’Union européenne a jugé que les règles de l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (« TFUE »)  sont inapplicables aux pratiques consistant, pour des entreprises appartenant à un même groupe, à soumettre de façon coordonnée des offres distinctes et en apparence indépendantes en réponse à un appel d’offres au motif que, dans une telle hypothèse, les entreprises concernées forment une même unité économique, ce qui fait obstacle à la qualification d’entente au sens de l’article 101 du TFUE.

La prise en compte de cette jurisprudence a conduit l’Autorité à faire évoluer sa pratique décisionnelle et à estimer qu’en l’espèce il n’y avait pas eu entente illicite.

Source : Décision 20-D-19 du 25 novembre 2020 de l’Autorité de la concurrence :

20-D-19 du 25 novembre 2020

 

B. Mais le droit national de la commande publique, lui, peut y trouver à redire en de telles occurrences (en cas d’absence d’autonomie commerciale entre entreprises soumissionnaires)  et le Conseil d’Etat vient d’en apporter spectaculairement la preuve dans le cadre particulier des accords cadres 

 

Mais cela ne signifie pas que de telles pratiques ne sont pas censurées au titre du droit de la commande publique (article L. 3 du code de la commande publique)…

Il est à noter que ceci intervient alors même que le juge administratif censure, depuis des arrêts du 10 juillet 2020 et, surtout, du 12 octobre 2020, plus efficacement qu’avant les ententes entre acteurs (le champ des ententes illicites se réduit mais leur sanction y compris devant le juge administratif s’étend donc en efficacité). Voir :

En l’espèce, la métropole d’Aix-Marseille-Provence a lancé le 26 novembre 2018 une procédure d’appel d’offres ouvert en vue de l’attribution d’un accord-cadre multi-attributaires ayant pour objet divers travaux
Une des attributions a été contestée par la un soumissionnaire qui a soutenu que leurs offres étaient irrégulières car en réalité identiques et présentées par des entreprises sans autonomie commerciale.  

 

La jurisprudence en ces domaines n’était pas antérieurement muette. Par exemple, la Haute Assemblée avait déjà posé que deux sociétés qui ne mettent pas en œuvre des moyens distincts doivent être regardées comme étant un seul et même candidat (CE 11 juillet 2018, n° 418021 et n° 418022, rec. T. p. 767 ; voir aussi CE 20 février 2013, n° 363656).

Le droit européen est lui aussi dans le même sens dès lors qu’on ne parle plus du droit de la concurrence (au sens des pratiques anticoncurrentielles) mais du droit de la commande publique (CJUE, 8 février 2018, Lloyd’s of London contre Agenzia Regionale per la Protezione dell’Ambiente della Calabria, C-144/17).

Comme l’a posé avec élégance et concision, dans cette affaire, M. Marc PICHON de VENDEUIL, rapporteur public, commentant les dispositions qui à ce jour sont insérées à l’article L. 1220-3 du Code de la commande publique et constant qu’à chaque fois une offre, et une seule, est évoquée par les textes :

« La grammaire révèle ici la règle : en principe, un candidat ne dépose qu’une offre. »

Bref : un candidat ; une offre.

Dès lors, le Conseil d’Etat pose que l’interdiction pour un même soumissionnaire de présenter plusieurs offres pour un même lot (art. R. 2151-6 du CCP) s’applique aux accords-cadres et que si des soumissionnaires distincts sont des opérateurs dépourvus d’autonomie commerciale entre eux, alors il y a censure du marché. Le juge définit même les critères de cette indépendance commerciale.

Plus précisément, le juge estime qu’il résulte, pris ensemble, de l’article 13 de l’ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015, alors applicable et dont la teneur a été reprise aux articles L. 1220-1 à L. 1220-3 du code de la commande publique (CCP), du troisième alinéa de l’article 4 de cette ordonnance, et du I de l’article 57 du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016, dont la teneur a été reprise à l’article R. 2151-6 du CCP que :

  1. lors de la passation d’accords cadres portant chacun sur un lot de travaux, un même soumissionnaire ne peut présenter qu’une seule offre pour chaque lot.
  2. si deux personnes morales différentes constituent en principe des opérateurs économiques distincts, elles doivent néanmoins être regardées comme un seul et même soumissionnaire lorsque le pouvoir adjudicateur constate leur absence d’autonomie commerciale, résultant notamment des liens étroits entre leurs actionnaires ou leurs dirigeants, qui peut se manifester par l’absence totale ou partielle de moyens distincts ou la similarité de leurs offres pour un même lot.

 

Voir CE, 8 décembre 2020, n° 436532 436582 436583, à mentionner aux tables du recueil Lebon :

 

 

IV. Commande publique : un requérant peut-il se muer en serial plaideur ?

 

Armé de référés précontractuels, un entrepreneur de pompes funèbres mitraille une commune.

Saisi, le juge a eu à trancher sur la légalité de telles armes automatiques.

Par une très, très courte vidéo (2 mn 32), avec humour, Me Evangelia Karamitrou et Me Eric Landot répondent à cette question :

https://youtu.be/Zx8RmVWotRw

 

————–

spoiler :

« la circonstance qu’un opérateur économique évincé ait déjà exercé deux référés précontractuels au cours desquels il aurait pu soulever le manquement dont il se prévalait, ne fait pas obstacle à ce qu’il forme un nouveau référé précontractuel tant que le délai de suspension de la signature du contrat n’est pas expiré. »

Résumé des tables sur CE, 8 décembre 2020, n° 440704, à mentionner aux tables du recueil Lebon.

Nous avions déjà commenté en article cet arrêt :

 

 

V. Commande publique : quelle indemnisation quand une offre est irrégulière, mais régularisable ?

 

Un candidat à l’attribution d’un contrat public pourra avoir réparation de son préjudice (notamment des coûts de préparation de son offre) si trois conditions se trouvent réunies :

  • c’est irrégulièrement qu’il doit avoir été évincé de la procédure
  • il doit exister un lien direct de causalité entre la faute résultant de l’irrégularité et les préjudices invoqués par le requérant à cause de son éviction,
  • le candidat irrégulièrement évincé ne devait pas être dépourvu de toute chance de remporter le contrat. En l’absence de toute chance, il n’a droit à aucune indemnité

Voir par exemple, en ce sens : CE, 27 janvier 2006, n° 259374 ; CE, 18 juin 2003, Groupement d’entreprises solidaires ETPO Guadeloupe, Société Biwater et Société Aqua TP, rec. T. p. 865 ; voir aussi CE, 14 octobre 2019, Commune de Manigod, req. n°418317.

On savait déjà aussi que dès  lors que l’offre d’un candidat irrégulièrement évincé d’une procédure de passation d’un marché par concours était irrégulière, ce candidat, de ce seul fait, ne peut être regardé comme ayant été privé d’une chance sérieuse d’obtenir le marché, y compris lorsque l’offre retenue était tout aussi irrégulière (CE, 8 octobre 2014, n° 370990 374532, rec. T. 748-863. ; voir aussi dans le même sens par exemple CAA Douai, 29 septembre 2016, n° 14DA01949 et CAA Paris, 16 juillet 2015, n° 13PA02934).

Le 18 décembre 2020, le Conseil d’Etat a rendu une décision à publier aux tables du rec., qui confirme et précise cette jurisprudence.
Cet arrêt :

  • confirme que le fait que l’offre du candidat retenu soit elle aussi irrégulière ne sert pas à justifier de ce que le candidat évincé qui demande indemnisation aurait pour autant une chance de remporter le contrat, même s’il était 2e
  • précise, et c’est le point qui justifie la publication aux tables, que la circonstance que le pouvoir adjudicateur aurait été susceptible de faire usage, dans les conditions désormais prévues par l’article R. 2152-2 du code de la commande publique (CCP), de la faculté de l’autoriser à régulariser son offre n’est pas de nature, par elle-même, à ce qu’il soit regardé comme n’ayant pas été dépourvu de toute chance de remporter le contrat.

Bref, Vae victis… malheur aux vaincus même si le vainqueur avait commis les mêmes erreurs et même si lesdites erreurs eussent été régularisables. 

Source : CE, 18 décembre 2020, n° 429768, à publier tables du recueil Lebon
https://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CE/decision/2020-12-18/429768

 

Source Wikimedia commons : le chef gaulois Brennus (ou Brennos) jetant son épée sur la balance pour obtenir une plus lourde rançon – gravure de Paul Lehugeur pour Histoire de France en cent tableaux (1886).

VI. Marchés publics : l’interdiction de renoncer aux intérêts moratoires est-elle conforme à la Constitution ?

 

Marchés publics : l’interdiction de renoncer aux intérêts moratoires est-elle conforme à la Constitution ?

OUI au nom de l’intérêt de pousser les collectivités publiques à payer leurs factures en temps et en heure, répond le Conseil d’Etat :

CE, 23 décembre 2020, n° 443158

 

 

VII. Marchés de substitution : le mode d’emploi du Conseil d’Etat

 

Tout acheteur public ayant vainement mis en demeure son cocontractant d’exécuter les prestations du contrat a la possibilité de recourir à des marchés de substitution aux frais et risques de son cocontractant… vient de rappeler le Conseil d’Etat.

Mais avec d’intéressantes précisions ou, parfois, confirmations.

Le Conseil d’Etat :

  • confirme que cette possibilité s’impose même dans le silence du contrat et sans qu’il faille au préalable résilier ledit contrat.Il résulte en effet  des règles générales applicables aux contrats administratifs que l’acheteur public de fournitures qui a vainement mis en demeure son cocontractant d’exécuter les prestations qu’il s’est engagé à réaliser conformément aux stipulations du contrat, dispose de la faculté de faire exécuter celles-ci, aux frais et risques de son cocontractant, par une entreprise tierce.La conclusion de marchés de substitution, destinée à surmonter l’inertie, les manquements ou la mauvaise foi du cocontractant lorsqu’ils entravent l’exécution d’un marché de fournitures, est possible même en l’absence de toute stipulation du contrat le prévoyant expressément, en raison de l’intérêt général qui s’attache à l’exécution des prestations.

    La mise en oeuvre de cette mesure coercitive, qui peut porter sur une partie seulement des prestations objet du contrat et qui n’a pas pour effet de rompre le lien contractuel entre le pouvoir adjudicateur et son cocontractant, ne saurait être subordonnée à une résiliation préalable du contrat par l’acheteur public.

    La règle selon laquelle, même dans le silence du contrat, l’acheteur public peut recourir à des marchés de substitution aux frais et risques de son cocontractant revêt le caractère d’une règle d’ordre public.

    (voir aussi CE, Assemblée, 9 novembre 2016, Société Fosmax LNG, n° 388806, rec. p. 466).

     

  • rappelle que le cocontractant initial a le droit de suivre les opérations exécutées dans le cadre du marché de substitution.En effet, il est loisible au titulaire du marché, de contester la conclusion, par le pouvoir adjudicateur, de marchés de substitution et celui-ci doit être mis à même de suivre les opérations exécutées par le titulaire de ces marchés, afin de pouvoir veiller à la sauvegarde de ses intérêts.

    (voir déjà CE, 9 juin 2017, Société Entreprise Morillon Corvol Courbot, n° 399382, rec. T. p. 677 ; CE, Section, 28 janvier 1977, Ministre de l’économie c/ Société Heurtey, n° 99449, rec. p. 50). 
  • pose que si le marché de substitution n’a pas permis de réaliser avec succès les prestations attendues… cela ne dispense pas pour autant le cocontractant initial  d’en supporter la charge (ce qui est tout de même sévère)… et qu’il peut en résulter même parfois une résiliation aux torts exclusifs du titulaire du contrat en cas de faute d’une gravité suffisantealors même que des pénalités ont été prononcées pour les retards pendant la période d’exécution du contratLe Conseil d’Etat précise que même si le marché ne contient aucune clause à cet effet et, s’il contient de telles clauses, quelles que soient les hypothèses dans lesquelles elle prévoient qu’une résiliation aux torts exclusifs du titulaire est possible, il est toujours possible, pour le pouvoir adjudicateur, de prononcer une telle résiliation lorsque le titulaire du marché a commis une faute d’une gravité suffisante.Il ajoute que la circonstance que, pendant la période où le marché est exécuté, des retards ont fait l’objet de pénalités ne fait pas obstacle à ce que le pouvoir adjudicateur prononce en définitive la résiliation du marché aux torts exclusifs de son titulaire, les pénalités ne pouvant alors porter sur la période postérieure à la date de la résiliation.

    (voir aussi : CE, 26 février 2014, Société Environnement services et communauté d’agglomération du pays ajaccien, n°s 365546 365551, rec. T. pp. 750-830 ; CE, 21 mars 1986, Meyrignac, n° 46973, rec. T. p. 611).

 

Source : CE, 18 décembre 2020, n° 433386, à publier aux tables du recueil Lebon :

http://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CE/decision/2020-12-18/433386

 

 

VIII. Commande publique et loi ASAP : DEUX COURTES VIDÉOS ET UN ARTICLE

 

La loi d’accélération et de simplification de l’action publique (ASAP), qui a maintenant passé le cap du Conseil constitutionnel, comporte de nombreuses dispositions importantes. 

Focalisons-nous, via un article (II) et deux courtes vidéos complémentaires (I) sur le volet dédié à la commande publique de cette loi. Un volet qui a beaucoup, beaucoup fait couler d’encre et qui va sans doute nourrir quelques jurisprudences dans les mois à venir… 

    • A. Rappels généraux sur cette loi et deux vidéos complémentaires 
    • B. Extension des marchés passés sans publicité ni mise en concurrence préalables 
    • C. Plan de redressement et commande publique 
    • D. Marchés globaux
    • E. Résiliation des marchés et redressement judiciaire 
    • F. Circonstances exceptionnelles 
    • G. Avenantabilité des contrats antérieurs au 1er avril 2016 
    • H. Avocats 
    • i. Plafond provisoire à 100 K€ HT
    • J. Marchés globaux pour les infrastructures de transport de l’Etat 
    • k. Autres mesures  

 

NB : pour accéder au texte de cette loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique (NOR : ECOX1935404L), voir :

 

A. Rappels généraux sur cette loi et deux vidéos complémentaires

 

Comme nous l’avions, annoncé, le projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique (ASAP) a donné lieu à une commission mixte paritaire (CMP) conclusive entre Assemblée Nationale et Sénat.

Pour sa mouture initiale, voir :

 

Nous avions, il y a 3 semaines, avec notre partenaire WEKA, présenté un grand dossier vidéo sur ce projet de loi qui va donc concerner notamment les marchés publics, l’environnement, les relations avec les citoyens, sécurité publique…

Avec, notamment, un grand entretien avec Monsieur Jean-François LONGEOT, sénateur (UC) du Doubs ; Président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat ; Président de la Commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi d’accélération et de simplification de l’action publique.

VOIR :

 

 

Par sa décision n° 2020-807 DC du 3 décembre 2020, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la loi d’accélération et de simplification de l’action publique, dont il avait été saisi par plus de soixante députés. Il a censuré nombre de cavaliers législatifs mais il a validé les mesures de ce projet de loi qui étaient attaquées sur le fond, dont le volet commande publique (mais largement parce que tout ce qui est délicat allait être traité par décret, et donc la passe a été pour l’essentiel faite par le Conseil constitutionnel à destination du Conseil d’Etat) :

 

Puis voici le texte de cette loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique (NOR : ECOX1935404L), via :

Survolons-en le volet commande publique, via deux vidéos et un article.

 

 

Première vidéo, un peu plus complète juridiquement, mais sans les conseils pratiques de la seconde

 

Me Evangelia Karamitrou et Me Eric Landot ont, en 4 mn 28, balayé les points à retenir, en commande publique, de cette loi :

 

https://youtu.be/_wQ1dpD54U0

 

Seconde vidéo, un peu moins détaillée en droit mais riche de conseils pratiques (interview de Mme Pardo)

 

Voici en 4 mn 12 une seconde vidéo avec un dossier présenté par Me Eric Landotpuis un grand entretien où intervient

  • Madame Vanessa PARDO
    Attaché principale, Docteur en droit
    Experte chez Weka
    Chargée de mission du directeur au sein d’une direction des contrats publics

 

 

https://youtu.be/coq3DDLFn2Q

 

Il s’agit d’une reprise d’un dossier extrait de notre chronique vidéo bimensuelle, intitulée « les 10′ juridiques ».

Cette chronique vidéo bimensuelle, « les 10′ juridiques », est une réalisation faite en partenariat entre Weka et le cabinet Landot & associés, qui ont uni leurs forces pour diffuser, tous les 15 jours, cette revue d’actualité juridique territoriale.

Pour mieux connaître notre partenaire WEKA, fort de 40 ans d’expertise :

http://www.weka.fr

http://www.weka.jobs

http://www.weka.media

 

 

B. Extension des marchés passés sans publicité ni mise en concurrence préalables

 

très discutée est l’extension des marchés passés sans publicité ni mise en concurrence préalables (article L. 2122-1 du Code de la commande publique) … pour tout « motif d’intérêt général ».

Mais attention ce n’est pas la porte ouverte à n’importe quoi.

Regardons ce qu’a dit le Conseil constitutionnel dans sa décision précitée :

« 43. Par les dispositions contestées, le législateur a renvoyé au pouvoir réglementaire la détermination des motifs d’intérêt général susceptibles de justifier, compte tenu des circonstances de l’espèce, de déroger aux règles de publicité et de mise en concurrence préalables. Il a précisé que ces dérogations ne sauraient s’appliquer que dans le cas où, en raison notamment de l’existence d’une première procédure infructueuse, d’une urgence particulière, de son objet ou de sa valeur estimée, le recours à ces règles serait manifestement contraire à de tels motifs. Le grief tiré de la méconnaissance, par le législateur, de l’étendue de sa compétence doit donc être écarté.

« 44. Par ailleurs, ces dispositions n’exonèrent pas les acheteurs publics du respect des exigences constitutionnelles d’égalité devant la commande publique et de bon usage des deniers publics rappelées à l’article L. 3 du code de la commande publique.

« 45. Il résulte de ce qui précède que les mots « ou à un motif d’intérêt général » figurant aux articles L. 2122-1 et L. 2322-1 du code de la commande publique, qui ne méconnaissent aucune autre exigence constitutionnelle, sont conformes à la Constitution. »
Décision n° 2020-807 DC du 3 décembre 2020

DONC

  • un décret est à venir qui définira cette notion (la balle est donc passée du Conseil constitutionnel au Conseil d’Etat qui, lui, aura à entrer dans le concret lors de l’examen — probable — de futur décret)
  • ces dérogations « ne sauraient s’appliquer que dans le cas où, en raison notamment de l’existence d’une première procédure infructueuse, d’une urgence particulière, de son objet ou de sa valeur estimée, le recours à ces règles serait manifestement contraire à de tels motifs », précise le Conseil constitutionnel qui, donc, trace là d’importantes limites
  • et « ces dispositions n’exonèrent pas les acheteurs publics du respect des exigences constitutionnelles d’égalitédevant la commande publique et de bon usage des deniers publics rappelées à l’article L. 3 du code de la commande publique » (application, donc, même en ce cas, des grands principes de la commande publique).

 

C. Plan de redressement et commande publique

 

Les entreprises en redressement judiciaire (qui vont être nombreuses au fil et au lendemain de cette crise sanitaire) ont déjà eu de nombreux coups de main ces temps-ci :

 

Avant la loi ASAP, l’article L. 2141-3 du Code de la commande publique (CCP) excluait de la procédure de passation des marchés les personnes :

  • 1° Soumises à la procédure de liquidation judiciaire prévue à l’article L. 640-1 du code de commerce ou faisant l’objet d’une procédure équivalente régie par un droit étranger ;
  • 2° Qui font l’objet, à la date à laquelle l’acheteur se prononce sur la recevabilité de leur candidature, d’une mesure de faillite personnelle ou d’une interdiction de gérer en application des articles L. 653-1 à L. 653-8 du code de commerce, ou d’une mesure équivalente prévue par un droit étranger ;
  • 3° Admises à la procédure de redressement judiciaire instituée par l’article L. 631-1 du code de commerce ou à une procédure équivalente régie par un droit étranger, et qui ne justifient pas avoir été habilitées à poursuivre leurs activités pendant la durée prévisible d’exécution du marché.

 

Désormais : au 3° de l’article L. 2141‑3, le mot : « et » est remplacé par les mots : « qui ne bénéficient pas d’un plan de redressement ou ».

Désormais, les entreprises qui sont en plan de redressement ne sont donc plus exclues de la commande publique.

 

D. Marchés globaux

 

Le code de la commande publique prévoit désormais que :

« Art. L. 2152‑9. – L’acheteur tient compte parmi les critères d’attribution des marchés globaux mentionnés àl’article L. 2171‑1 de la part d’exécution du marché que le soumissionnaire s’engage à confier à des petites et moyennes entreprises ou àdes artisans. » 

Les dispositions du code de la commande publique prévoient l’obligation pour un acheteur qui passe un marché de partenariat de prévoir une part minimale de l’exécution du contrat que le titulaire s’engage à confier à des petites et moyennes entreprises ou à des artisans (art. L. 2213‑14), et de tenir compte de cette part dans les critères d’attribution (L. 2222‑4).

Or, les marchés de conception-réalisation, les marchés globaux de performance ou les marchés globaux sectoriels ne sont pas concernés aujourd’hui par ce dispositif incitatif de sous-traitance au profit des PME.

Le texte nouveau le prévoit, ce qui est une petite révolution pour ces contrats globaux, même si  bien sûr ceux-ci sur le terrain font appel à des sous traitants PME.

E. Résiliation des marchés et redressement judiciaire

 

En matière de résiliation des marchés, se trouve une encore meilleure protection des entreprises en redressement judiciaire à l’article L. 2195-4 du CCP (même en cas de non information donc ?) puisque :

  5° Après le mot : « marché », la fin du dernier alinéa de l’article L. 2195‑4 est ainsi rédigée : « au seul motif que l’opérateur économique fait l’objet d’une procédure de redressement judiciaire en application de l’article L. 631‑1 du code de commerce, sous réserve des hypothèses de résiliation de plein droit prévues au III de l’article L. 622‑13 du même code. » ;

N.B. : voir dans le même sens, toujours dans le CCP, les nouvelles formulations du 6° L’article L. 2322‑1, du dernier alinéa de l’article L. 2395‑2, du dernier alinéa de l’article L. 3136‑4  du 3° de l’article L. 3123‑3…

F. Circonstances exceptionnelles

 

Une toute nouvelle partie du CCP prévoit un droit adapté (comme nous l’avons connu lors du premier confinement) en cas de circonstances exceptionnelles (art. L. 2711‑1 et suiv. et décret à venir).

Avec :

  • 1/ possibilité d’apporter en cours de procédure les adaptations nécessaires à sa poursuite
  • 2/ prolongation unilatérale par l’acheteur des délais de réception des candidatures et des offres
  • 3/ prolongation du contrat dans certains cas (assez encadrés)
  • 4/ pas de sanction contre le titulaire se trouvant dans l’impossibilité d’exécuter le contrat (mais souplesses pour les marchés de substitution en pareil cas aux frais de l’acheteur public)

Et Idem pour les concessions (voir les articles L. 3411‑1 et ss. du CCP).

 

G. Avenantabilité des contrats antérieurs au 1er avril 2016

 

Par un article non codifié de la loi, est enfin réglée la question de l’avenantabilité des contrats antérieurs au 1er avril 2016 (avec une formulation qui reste cependant susceptible de donner lieu à débats) :

« I. – Les contrats répondant à la définition des contrats de la commande publique énoncée àl’article L. 2 du code de la commande publique pour lesquels une consultation a été engagée ou un avis d’appel à la concurrence aété envoyé à la publication avant le 1er avril 2016 peuvent être modifiés sans nouvelle procédure de mise en concurrence dans les conditions définies par le code de la commande publique. »

H. Avocats

 

De nouvelles souplesses sont à noter pour les contrats avec un avocat (fin d’une fameuse « sur-transposition » du droit européen) :

       I. – Le code de la commande publique est ainsi modifié :

       1° Le 8° de l’article L. 2512‑5 est complété par des d et e ainsi rédigés :

       « d) Les services juridiques de représentation légale d’un client par un avocat dans le cadre d’une procédure juridictionnelle, devant les autorités publiques ou les institutions internationales ou dans le cadre d’un mode alternatif de règlement des conflits ;

       « e) Les services de consultation juridique fournis par un avocat en vue de la préparation de toute procédure mentionnée au d du présent 8° ou lorsqu’il existe des signes tangibles et de fortes probabilités que la question sur laquelle porte la consultation fera l’objet d’une telle procédure. » ;

       1° bis À l’article L. 2514‑2, la référence : « c » est remplacée par la référence : « b » ;

       2° La cent sixième ligne du tableau du second alinéa de l’article L. 2651‑1 est remplacée par trois lignes ainsi rédigées :

 

i. Plafond provisoire à 100 K€ HT

 

En décembre 2019, le seuil des marchés publics dispensés de toute procédure de publicité et de mise en concurrence est passé à 40 000 € HT (voir ici). 

Puis avec la pandémie nous virent déjà des seuils provisoires (à 100 K€ HT pour les marchés de denrées alimentaires et 70 K€ HT pour les marchés de travaux). Voir :

Un nouveau pas est franchi avec ce texte qui prévoit que jusqu’au 31 décembre 2022 inclus, les acheteurs peuvent conclure un marché de travaux sans publicité ni mise en concurrence préalables pour répondre à un besoin dont la valeur estimée est inférieure à 100 000 € hors taxes.

Ce qui ne veut pas dire que les grands principes de la commande publique ne seront pas à respecter. De plus, le montant cumulé des lots d’une valeur de 100 € ne doit pas excéder 20 % de la valeur totale estimée de tous les lots.  :

« I. – Jusqu’au 31 décembre 2022 inclus, les acheteurs peuvent conclure un marché de travaux sans publicité ni mise en concurrence préalables pour répondre à un besoin dont la valeur estimée est inférieure à 100 000 € hors taxes.

«     Ces dispositions sont applicables aux lots qui portent sur des travaux et dont le montant est inférieur à 100 000 € hors taxes, à la condition que le montant cumulé de ces lots n’excède pas 20 % de la valeur totale estimée de tous les lots.
«     Les acheteurs veillent à choisir une offre pertinente, à faire une bonne utilisation des deniers publics et à ne pas contracter systématiquement avec un même opérateur économique lorsqu’il existe une pluralité d’offres susceptibles de répondre au besoin.
«     II. – Le présent article s’applique aux marchés publics pour lesquels une consultation est engagée ou un avis d’appel à la concurrence est envoyé à la publication à compter de la publication de la présente loi. »

 

J. Marchés globaux pour les infrastructures de transport de l’Etat

 

Est insérée aussi une réforme des marchés globaux sectoriels (articles L. 2171-4 du CCP) avec un nouveau cas de recours, réservé à l’Etat pour ses infractructures de transport, de recours à ces contrats.

Ce nouveau cas est ainsi libellé :

 « 5° La conception, la construction, l’aménagement, l’exploitation, la maintenance ou l’entretien des infrastructures linéaires de transport de l’État, hors bâtiments. »

k. Autres mesures

 

D’autres mesures existent ici ou là dont :

  • la possibilité de marchés globaux pour la construction et la valorisation immobilière de projets connexes au Grand Paris Express
  • une mini-réforme relative aux marchés réservés (EA, ESAT, SIAE…)
  • etc.

 

IX. Contrats : la résiliation tacite, enfin explicite !

 

A. Une résiliation est supposée être expresse et à l’initiative de la personne publique. Plus encore : il existe depuis 2011 un recours pour imposer à la personne publique de reprendre les relations interrompues par la personne publique.

B. En 2019, le juge a, cela dit, confirmé qu’il peut y avoir des cas de résiliation tacite (toujours, ou presque toujours, fautive pour l’administration). 

C. Le 11 décembre 2020, le Conseil d’Etat a rendu un arrêt important sur les résiliations tacites qui peuvent, même hors du cadre des recours Béziers II, résulter du comportement de l’administration (mettant fin, de façon non équivoque, aux relations contractuelles, avec divers indices fournis par le juge).

 

A. Une résiliation est supposée être expresse et à l’initiative de la personne publique. Plus encore : il existe depuis 2011 un recours pour imposer à la personne publique de reprendre les relations interrompues par la personne publique

 

La résiliation d’un contrat public relève normalement d’une décision expresse de la personne publique cocontractante.

Plus encore, il y a un peu plus de 9 ans, un des importants arrêts « Béziers » (« Béziers II») visait à mettre fin à ces interruptions d’exécution du contrat qui frisaient la résiliation tacite. En effet, le juge forgeait alors le nouveau recours en reprise des relations contractuelles (CE, Section, 21 mars 2011, Commune de Béziers, n° 304806, rec. p. 117), non sans quelques importantes limites toutefois. Voir par exemple :

 

B. En 2019, le juge a, cela dit, confirmé qu’il peut y avoir des cas de résiliation tacite (toujours, ou presque toujours, fautive pour l’administration)

 

C’est à l’occasion cela dit d’un de ces recours Béziers II que, justement, le Conseil d’Etat confirmait, mais plus clairement qu’avant, qu’une résiliation peut être tacite (ce qui ne veut pas dire qu’une telle résiliation tacite n’est pas fautive).

De rares cas de jurisprudences avaient pu être recensés avant cette décision de 2019 pour reconnaître de telles résiliations tacites, mais celles-ci restaient rares.

De plus, un tel recours Béziers II perd son objet si le contrat arrive à terme avant que le juge ne se prononce (CE, 23 mai 2011, n° 323468).

C’est logiquement donc que le juge a fini par conclure qu’il peut en pareil cas et en dépit d’un tel recours y avoir, in fine, résiliation tacite.

Plus précisément, dans cette affaire de 2019, le juge posait que :

  1. Lorsqu’un tribunal administratif a rejeté une demande tendant à la reprise des relations contractuelles et que, postérieurement à son jugement, le terme du contrat est atteint avant la saisine du juge d’appel ou pendant l’instance d’appel, la cour saisie doit constater que le contrat n’est plus susceptible d’être exécuté et que le litige n’a pas ou n’a plus d’objet
  2. De même, si le tribunal a ordonné la reprise des relations contractuelles mais que son jugement n’a pas été exécuté et que le terme du contrat est atteint avant la saisine du juge d’appel ou pendant l’instance d’appel, la cour doit également constater qu’il n’est plus susceptible d’être exécuté et que le litige n’a pas ou plus d’objet
  3. En revanche, si le jugement ordonnant la reprise des relations contractuelles a été exécuté, le juge d’appel doit statuer sur la requête en appréciant le bien-fondé de la reprise des relations contractuelles ordonnée par le tribunal jusqu’au terme du contrat.

Dans les cas 1 et 2, le Conseil d’Etat estime donc bien qu’il n’y a plus lieu à opérer une reprise des relations contractuelles… il y a bien alors résiliation tacite (ce qui, encore une fois, ne veut pas dire que ladite résiliation n’est pas fautive).

D’ailleurs, M. Philippe Gonzague, commentant cette décision, résumait fort bien cette situation en posant que :

« Il paraît difficile d’ailleurs d’envisager des cas de résiliation tacite qui ne soient pas irréguliers, ou au moins de nature à ouvrir droit à une indemnisation du titulaire […]. »
in. La Semaine Juridique Administrations et Collectivités territoriales n° 26, 1er Juillet 2019, 2193

 

 

Source : Conseil d’État, 7ème – 2ème chambres réunies, 27/02/2019, n° 414114, à publier aux tables du rec. 

NB :  voir notre commentaire alors : Que se passe-t-il si un acheteur public « joue la montre » alors qu’il est condamné à reprendre les relations contractuelles avec un prestataire ? 

C. Le 11 décembre 2020, le Conseil d’Etat a rendu un arrêt important sur les résiliations tacites qui peuvent, même hors du cadre des recours Béziers II, résulter du comportement de l’administration (mettant fin, de façon non équivoque, aux relations contractuelles, avec divers indices fournis par le juge).

 

Le Conseil d’Etat admet donc des cas de résiliation tacite, et il vient de rendre une décision importante à ce sujet.

Schématiquement, il pose qu’en l’absence de décision formelle de résiliation du contrat prise par la personne publique, un contrat doit être regardé comme tacitement résilié lorsque, par son comportement, la personne publique doit être regardée comme ayant mis fin, de façon non équivoque, aux relations contractuelles.

En l’espèce, une personne publique met fin à une convention pour un motif d’intérêt général mais sans vraie résiliation formelle, sans reprise des travaux, ou autre. Son attitude n’était pas celle d’une résiliation, mais plutôt d’une série de mesures d’attentes sans lendemain, une sorte de pari sur l’oubli que nous rencontrons parfois…

Le juge de cassation y voit donc une résiliation tacite de la convention parce que par son comportement, la personne publique a mis fin, de façon non équivoque, aux relations contractuelles.

Nous ne sommes plus dans une course contre la montre comme dans l’arrêt de 2019, entre un recours Béziers II, d’une part, et les délais prévus au contrat, d’autre part.

Nous sommes en revanche dans la pure et simple cessation des relations contractuelles pour une personne publique qui préfère ignorer sa relation contractuelle plutôt que d’affronter une résiliation en bonne et due forme… ce qui se traduira pour ces communes, en général, par des indemnisations plus énormes encore…

Le Conseil d’Etat précise aussi ce qu’est le contrôle du juge de cassation à ce stade : les juges du fond apprécient souverainement sous réserve de dénaturation l’existence d’une résiliation tacite du contrat.

La Haute Assemblée détaille aussi les points à prendre en compte lorsque de telles affaires arrivent au contentieux : le juge doit prendre en compte, bien sûr, « l’ensemble des circonstances de l’espèce » mais le Conseil d’Etat liste, au nombre de ces éléments, en particulier :

  • les démarches engagées par la personne publique pour satisfaire les besoins concernés par d’autres moyens,
  • la période durant laquelle la personne publique a cessé d’exécuter le contrat, compte tenu de sa durée et de son terme,
  • l’adoption d’une décision de la personne publique qui a pour effet de rendre impossible la poursuite de l’exécution du contrat ou de faire obstacle à l’exécution, par le cocontractant, de ses obligations contractuelles.

… Qui sont en effet des indices clairs et logiques d’un comportement de fuite ou de blocage de l’administration.

Source : CE, 11 décembre 2020, n° 427616, à publier aux tables du recueil Lebon :

 

 

 

X. Concessions autoroutières : terrain glissant pour tout le monde…

 

Dans le sujet débattu (A) des concessions autoroutières, deux articles juridico-financiers très intéressants et très débattus sur la place publique viennent de donner de l’épaisseur juridique à un débat parfois réthorique (B). En revanche, avant d’envisager toute résiliation à d’heureuses conditions financières pour le budget de l’Etat, il importe d’avoir  à l’esprit qu’il est rare d’avoir une résiliation gratuite si en même temps le tarif consenti est trop élevé, sauf fraude difficile à prouver (C) pour schématiser une question fort complexe. 

 

 

A. Un sujet débattu

 

Le régime des concessions autoroutières donne lieu à nombre de débats, mais rarement à des études fouillées, notamment de la Cour des comptes :

Voir aussi  un avis de l’autorité de la concurrence (voir ici l’avis 14-A-13) des études de l’ART, du Sénat…

Le juge européen, de son côté, impose par exemple, s’avère strict dans la vérification des tarifs des redevances (pas de coût indirect mis à la charge de l’usager) :

 

B. Deux articles très intéressants

 

Mais voici que le débat rebondit avec deux articles de MM. Jean-Baptiste VILA et Yann WELS publiés à la Semaine Juridique (ACT, n° 48, 30/11/2020) :

 

… dont nous ne pouvons que recommander la lecture, que l’on soit d’accord ou pas avec l’analyse (tant l’appréciation d’un coût de résiliation éventuelle reste très, très délicate à faire et impose une connaissance du dossier que nous n’avons pas ; notre pratique nous pousse juste à beaucoup, beaucoup de prudence et de préconisations de calculs concrets avant d’agir !).

Les mécanismes de révision et d’indexation des tarifs y sont étudiés sont passés au crible et semblent illégaux au regard des règles du code monétaire et financier (sauf — et encore — à adopter un décret qui n’a jamais été adopté). Le protocole de 2015 (consécutif à la catastrophe brouillonne de l’écotaxe…) serait illégal lui aussi au regard notamment des garanties données à l’Union européenne (et non respectées selon les auteurs) au titre du régime des aides d’Etat (plus précisément des contreparties d’intérêt général exigées en échange et des contrôles à opérer). Sur ce point, nous n’avons pas étudié le caractère suffisamment direct qui pourrait exister, ou non, entre chacune de ces règles et leur méconnaissance et l’illégalité du tarif lui-même.

Les régimes de provisions et d’amortissements seraient également illégaux selon les auteurs. Notre pratique professionnelle nous a conduit à très souvent, mais pour d’autres services publics, à devoir batailler pour les personnes publiques à ce propos : ce qui est dit par les auteurs semble convaincant, mais nous connaissons trop les difficultés propres à telle ou telle formulation dans les contrats, notamment d’eau potable et d’assainissement, à ce sujet, pour ne pas attirer l’attention sur le caractère devenant soudain délicat des démonstrations en ce domaine… lorsque l’on a le juge pour auditoire.

 

C. Débat sur la résiliation : avant toute accélération, la pause s’impose

 

Les auteurs en viennent à envisager une résiliation qui pourrait ne rien coûter.

Sur ce point, ils ont peut-être raison et peut-être tort : il faudrait passer un grand nombre de journées à la fois dans les chiffres et les contrats pour s’en convaincre, ou non.

Mais attirons l’attention de tous sur le fait que ceci ne peut être vérifié qu’en intégrant qu’il arrive parfois qu’il faille indemniser une perte de gains importante pour ce qui auraient été sinon les dernières années (futures donc) d’un contrat résilié pour motif d’intérêt général.

NB : certes selon les auteurs la pratique et les avenants du contrat sont illégaux. Mais cela ne conduit pas nécessairement à une illégalité du contrat en son entier permettant de s’affranchir de l’indemnisation de la perte de gain (et encore… même en cas de contrat illégal il arrive qu’il faille indemniser la perte de gain et tout dépend du point de savoir s’il y a eu fraude ou non par exemple, entre autres points à vérifier). 

Il est par exemple à souligner que récemment encore le Conseil d’Etat a posé que si des droits d’entrée et/ou redevances ne sont pas justifiés dans un contrat de concession, cela n’entraîne pas obligatoirement la nullité du contrat en entier (voir notre article ici à ce sujet ; CE, 10 juillet 2020, n°434353).

Certes peut-on toujours résilier pour motif d’intérêt général et le juge admet plus qu’auparavant que l’illégalité puisse être un tel motif ( voir : Un contrat public illégal peut-il, à ce titre, être résilié ? Avec quelles conséquences ? Que changent les arrêts du 10 juillet 2020 ? [VIDEO] ).

Le principe est en effet que la résiliation pour motifs d’intérêt général ouvre en effet droit à une réparation intégrale du préjudice causé (CE 5 juillet 1967, Commune de Donville-les-Bains, Rec. 297).

Une telle indemnisation recouvre cumulativement :

  • les dépenses engagées, les travaux effectués, les investissements réalisés (damnum emergens)
  • le bénéfice que le cocontractant pouvait espérer de l’exécution du contrat (lucrum cessans), ce qui nécessite à ce stade cependant de prendre en compte :
    • l’aléa économique qui caractérise le calcul d’un tel bénéfice
    • le fait qu’il arrive qu’un bénéfice soit escompté comme meilleur en fin de contrat qu’en début de contrat (lors que les investissements sont amortis mais dotés encore d’une forte valeur d’usage)
    • le fait, pour la collectivité publique que débourser maintenant, au lendemain de la résiliation, ce chef de préjudice conduit à un apport de trésorerie anticipé pour l’entreprise (ce qui justifie soit un étalement du paiement de cette partie de l’indemnisation soit sa minoration au regard des coûts usuels de financement)
  • parfois le préjudice commercial (souvent évoqué, rarement bien indemnisé ; voir p. ex. CAA Paris, 25 avril 1996, Société France 5, rec. 572)

 

A ceci s’ajoutent deux points :

 

Ceci conduit à la grille suivante sauf fraude :

  • par défaut on appliquera le contrat sauf à (difficilement vu la montée du principe de loyauté des relations contractuelles qui s’impose de plus en plus) démontrer l’illégalité des stipulations contractuelles correspondantes. Sur ce point, voir Un contrat public illégal peut-il, à ce titre, être résilié ? Avec quelles conséquences ? Que changent les arrêts du 10 juillet 2020 ? [VIDEO] .
  • et sinon, la personne publique devra indemniser en gros :
    • les dépenses faites en application du contrat
    • moins les subventions ou aides reçues
    • moins les éventuelles pénalités à recevoir par la personne publique au titre des prestations déjà faites
    • plus le lucrum cessans… mais pour lequel il peut y avoir nombre de débats qui sont, usuellement, assez homériques
    • plus un très éventuel préjudice commercial
    • le tout étant partiellement compensé par des récupérations de biens à leur valeur contractuelle ou vénale selon des régimes complexes.

Cela dit, un autre facteur est à ajouter. Les auteurs parlent d’illégalités, à tout le moins, dans les politiques d’amortissement. Si l’on se place du point de vue de l’Etat, il faudrait alors voir s’il en résulterait ou non des redressements fiscaux conduisant à une majoration d’impôt sur les sociétés (en théorie oui mais en réalité sans doute que non si l’Etat s’est engagé sur ces points, ce dernier étant tenu par sa doctrine fiscale… dans des conditions cependant récemment assouplies ; voir CE, Ass., 28 octobre 2020, n° 428048 ; voir ici).

La facture finale pourra parfois être de 0 (pour un cas gagné par notre cabinet, voir : Résiliation pour motif d’intérêt général d’une DSP avant début d’exécution : une indemnisation du délégataire à 0 € est-elle possible ? ). Mais ce n’est pas le plus courant.

In fine, la facture peut être plus ou moins lourde selon le contrat, les expertises, les faits… et les qualités des avocats concernés car peu de domaines sont aussi « joueurs » que celui-ci, selon nous.

En ce cas, si réellement on se dirigeait vers une telle solution (ce dont je doute), une manière prudente, quoique lente, d’agir serait sans doute :

• de vérifier point par point que l’optimisme des auteurs sur ce point est certain (si l’autoroute a un péage trop élevé, difficile alors de dire qu’il n’y a pas à terme une perte de gain à indemniser SAUF certains cas de fraude par exemple, qui n’auraient que peu de chances d’être opérants ici. Mais en même temps reconnaissons que l’étude des auteurs semble pertinente et qu’il est possible qu’ils aient raison. Simplement, de tels sujets requièrent un travail énorme de vérification que je n’ai pas fait et la méthode des auteurs sur ce dernier point ne permet pas exactement d’entrer dans ces aspects du dossier).

•  et à défaut  au moindre doute, de préférer agir en plusieurs étapes : provoquer une censure au nom du droit européen (en intégrant les éléments soulevés par les auteurs et par CJUE, 28 octobre 2020, n° C-321/19, précité) ; ensuite d’avoir un peu d’exploitation déficitaire ; pour conduire enfin à une résiliation (unilatérale ou bilatérale) sécurisée financièrement. 

Mais tout ceci relève de toute manière de scénarios hypothétiques. 

 

D. A lire aussi

 

Voir aussi sur Marianne l’article de M. Emmanuel LEVY :

 

XI. Référé « secret des affaires » : le TA de Nancy ouvre le bal et les AMO partiaux s’y font marcher sur les pieds !

 

Le secret des affaires donne lieu à divers modes d’intervention et de protection, et ce à de nombreuses étapes des procédures, avec à chaque fois des défis délicats à relever (A).

Dans ce cadre complexe, il y a presque un an, nous vint un nouveau référé « secret des affaires » (B).

Or, voici une décision du TA de Nancy qui semble être la première ou une des premières en application de ce nouveau régime… et il se confirme que le juge ne lésine pas à ce stade (C).

Trois conséquences (D) peuvent être tirées de cette ordonnance  :

• 1/ ce régime est très efficace notamment en amont de l’examen des offres ;
• 2/ le référé secret des affaires même victorieux n’est pas obligatoirement synonyme de « plantage » total de la procédure ;
• 3/ ce dossier en particulier souligne l’importance du choix de l’AMO et de son contrôle. 

 

 

A. Un secret à garantir à de nombreux stades des procédures, avec à chaque fois des défis délicats à relever

 

Le secret des affaires (i.e. secret du commerce et de l’industrie) pose de nombreux problèmes pour les acteurs publics, notamment en matière de contrats publics, de respect des règles RGPD…

Voir par exemple le décret n° 2018-1126 du 11 décembre 2018 relatif à la protection du secret des affaires (NOR: JUSC1821661D) que nous avions commenté ici ; ou encore la loi 2018-670 du 30 juillet 2018 relative à la protection du secret des affaires (voir de ce côté-ci) ; voir la décision  2018-768 DC rendue par le Conseil constitutionnel à ce sujet (voir par là). 

En matière de transactions, par exemple, ce secret trouve parfois quelques limites pratiques. Voir :

 

En droit comme en pratique, il faut distinguer le secret de la vie privée, le secret professionnel, le secret en matière commerciale et industrielle (lequel s’avère plus large qu’on ne le croît usuellement), le secret des correspondances (voir ici)… Mais en pénal, la sanction est globale sans s’embarrasser de ces sous-catégories (art. 226-13 et suiv. du Code pénal).

 

Le secret des affaires soulève des difficultés concrètes, singulièrement, au stade des informations à donner à un soumissionnaire dont l’offre n’a pas été retenue et, parfois, dès la phase du DCE (sur les informations d’un délégataire précédent par exemple).

A défaut, selon les cas, on peut :

  • ne pas transmettre
  • caviarder,
  • saisir parfois le juge
  • saisir la CADA dans certaines procédures,
  • voire (sans naïveté) demander à l’entreprise concernée ce qui lui semble relever des secrets qui lui sont protégés

… ces options ayant des résultats divers et des efficacités différentes : à voir au cas par cas.

Sources sur ce point, voir CE, 30 mars 2016, Centre hospitalier de Perpignan, req. n°375529 ; CE, 16 novembre 2016, Ville de Marseille, req. n°401660 ; voir également CE, 3 décembre 2014, Département de la Loire-Atlantique, req. n°401660 ; CE, 19 avril 2013, Commune de Mandelieu-la-Napoule, req. n°365617 ; CE, 11 mars 2013, Min. de la Défense c/ Société Aéromécanic, n° 364827 ; CE, 7 novembre 2014, Syndicat Départemental de Traitement des Déchets Ménagers de l’Aisne, n° 384014 ; voir aussi la note à jour au 1er janvier 2020 de la Direction des affaires juridiques de Bercy relative aux lettres de rejet ; voir aussi dans le même sens : Direction des affaires juridiques et CADA, Fiche technique relative à la communication des documents administratifs en matière de commande publique, mise à jour le 1er avril 2019. Voir aussi CADA, conseil, 3 novembre 2011, n°20114251 ; voir également, CADA, conseil, 17 février 2011, n°20110425 et CADA, conseil, 24 octobre 2013, n°20132924.

En contentieux (référé précontractuel ou contractuel ; recours Tarn-et-Garonne…), il peut arriver que le requérant, candidat évincé, tente d’avoir des informations qui en réalité relèvent de l’espionnage industriel via des procédures contentieuses (pour un cas passionnant et protéiforme, voir ici).

L’astuce consiste alors souvent, pour la personne publique, à proposer au juge des référés d’user de la possibilité d’effectuer un contrôle via une transmission de ces données au juge, mais hors contradictoire comme le permet l’article R. 412-2-1 du Code de justice administrative, lorsque des éléments se trouvent couverts par le secret des affaires.

Astuce dans l’astuce : acheteurs publics ou avocats d’acheteurs publics, ne transmettez pas, de vous même, même par mémoire séparé, de telles informations au début du contradictoire. Même avec une mention à part sur la 1 e page… une erreur de greffe est toujours possible (en dépit des grandes qualités des greffiers, cela a pu arriver).  Mieux vaut suggérer au juge (à l’audience au pire…) d’en faire la demande… ou de le faire mais en l’ayant annoncé, au minimum téléphoniquement au greffe. 

 

B. Dans ce cadre complexe, il y a presque un an, nous vint un nouveau référé « secret des affaires »

 

Le décret n°2019-1502 du 30 décembre 2019 a créé un référé en matière de secret des affaires dans le Code de justice administrative (article R. 557-3 du CJA). Aux termes de cet article, il est prévu que

« lorsqu’il est saisi aux fins de prévenir une atteinte imminente ou faire cesser une atteinte illicite à un secret des affaires, le juge des référés peut prescrire toute mesure provisoire et conservatoire proportionnée, y compris sous astreinte. Il peut notamment ordonner l’ensemble des mesures mentionnées à l’article R. 152-1 du code de commerce. ».

Cette rédaction est strictement identique à celle de l’article R. 152-1 du Code de commerce qui prévoit également un référé en matière de secret des affaires devant le juge judiciaire.

D’ailleurs, le CJA renvoie explicitement à cet article qui liste, de manière non-exhaustive, les mesures que peut prendre le juge dans le cadre de ce référé : 

  • « 1° Interdire la réalisation ou la poursuite des actes d’utilisation ou de divulgation d’un secret des affaires ;
  • 2° Interdire les actes de production, d’offre, de mise sur le marché ou d’utilisation des produits soupçonnés de résulter d’une atteinte significative à un secret des affaires, ou d’importation, d’exportation ou de stockage de tels produits à ces fins ;
  • 3° Ordonner la saisie ou la remise entre les mains d’un tiers de tels produits, y compris de produits importés, de façon à empêcher leur entrée ou leur circulation sur le marché ; »

Ce nouveau référé peut intervenir à différents stades de la passation d’un contrat public. On peut imaginer qu’il pourra être utile lors de l’établissement du DCE si une société constate que des informations couvertes par le secret des affaires y figurent. Il pourra aussi être tenté lors des négociations mais aussi au stade, ô combien délicat,  de la communication des motifs de rejet et de la transmission des pièces telles que le rapport d’analyse des offres ou des autres pièces constitutives du contrat. Mais, nous le verrons ci-après, c’est singulièrement au stade préalable à l’analyse des offres que cet outil pourrait manifester toute son utilité.

NB : pour une présentation plus globale de ce décret et de ses nombreuses innovations, voir :

 

Surtout, sur ces sujets, il est utile de lire « L’acheteur public et le défi du référé en matière de secret des affaires », article co-écrit par MM. Kevin Picavez et Damien Giampaoli, de la DAE (direction des achats de l’État), in La Semaine Juridique Administrations et Collectivités territoriales n° 25, 22 Juin 2020, 2176 :

 

 

C. Voici une décision du TA de Nancy qui semble être la première ou une des premières en application de ce nouveau régime… et il se confirme que le juge ne lésine pas à ce stade

 

Le TA de Nancy a rendu une première ordonnance en ce domaine, et grâces à ce sujet soient rendues à :

  • notre confrère Lafay qui a en premier, semble-t-il, commenté cette décision, le 10 novembre (voir ici)
  • Mme Jessica Serrano Bentchich qui, pour Légibase/Commande publique   (voir ici), a dès le 13/11 commenté et diffusé cette décision.

 

L’affaire s’est jouée dans le domaine peu concurrentiel, en termes de nombre d’acteurs, mais féroce en termes de batailles, des assurances propres au monde hospitalier public.

Voir un exemple récent de cette guerre terrible dans ce secteur :

Et d’ailleurs, déjà dans ce domaine, que le Conseil d’Etat avait rendu une décision intéressante sur la non transmission du  détaillé de l’offre d’un attributaire d’un marché au nom du secret des affaires (CE, 30 mars 2016, Centre hospitalier de Perpignan, req. n°375529, précité).

Sauf que, là, nous passons au stade du référé nouveau propre au secret des affaires et que ce dossier illustre tout l’intérêt de ce nouveau régime, justement parce qu’il permet d’agir, non pas uniquement en aval de l’analyse des offres, mais en amont ! Or, dans notre expérience, des AMO de qualité et qui sont d’une neutralité absolue et d’une confidentialité à toute épreuve sont certes la majorité de l’espèce. Mais il y a des brebis galeuses… Et en pareil cas, agir après l’analyse des offres s’avère tout simplement tardif.

En l’espèce, un établissement public de santé avait recouru aux services d’un assistant à maître d’ouvrage (AMO) pour l’aider à passer un marché d’assurances… qui est un domaine fort spécifique en effet.

N.B. : ce contrat a donc eu un AMO qui n’était pas avocat ni accompagné en groupement d’un avocat, semble-t-il, d’une part, et que l’on parle dans cette décision de courtage, d’autre part… ce qui soulève déjà de solides difficultés juridiques (mais qui ne sont pas celles qu’avait à traiter le juge en l’espèce). Sur ces questions, voir : CE, 10 février 2014, Selarl Henri Abecassis n° 367262 ; CAA Nantes, 1er décembre 2015, n° 13NT03406 ; CA Grenoble, 3 juillet 2014, RG n° 13/05517 ; voir Bertrand Dacosta, Périmètre de l’activité d’intermédiaire en assurances, in  Revue juridique de l’économie publique n° 721, juillet 2014, comm. 30 ;  voir aussi CJUE, 20 novembre 2003, Skatteministeriet c/ Taksatorringen, C-8/01). Voir aussi : Listes de courses : prendre de l’avocat pour éviter toute salade juridique [petit rappel…article ET vidéo] 

Cet AMO était tout sauf neutre semble-t-il dans cette affaire, en tous cas à en croire le juge (et de notre expérience professionnelle, c’est un monde très, très… tendu…).

Le dirigeant de la société d’AMO a eu des pratiques qui ont conduit un des requérants à se croire autorisé à engager un référé secret des affaires… et le juge à lui donner raison.

La requérante évoquait la « situation de conflit d’intérêts dans laquelle se trouv[ait] » cet AMO.

Cette personne, en effet, avait en sus de son activité d’AMO créé en 2009 un cabinet de courtage.

Il en a résulté de nombreux litiges avec la société alors requérante, soit « plusieurs litiges dans le cadre de recours relatifs à l’attribution de marchés publics relatifs à des prestations d’assurance », avec « une politique de contestation systématique des marchés attribués  » à cette société.

Dix ans après, cette personne dirigeant la société d’AMO a cédé ses parts au sein du cabinet de courtage, mais en restant ami du DG dudit cabinet de courtage.

Le juge en déduit que, dans :

« ces conditions, eu égard, d’une part, à l’intensité et au caractère récent des liens qui unissent [le cabinet de courtage soumissionnaire et l’AMO] et l’animosité particulière avec laquelle M. A. [l’AMO] s’exprime à l’égard de [la requérante] et, d’autre part, au fait que ces sociétés sont fréquemment en concurrence pour l’attribution de marchés publics d’assurance de centres hospitaliers, la société requérante établit que la collaboration de M. A… comme assistant à la maîtrise d’ouvrage pour l’analyse des offres des candidats constitue avec un degré de vraisemblance suffisant l’existence d’une atteinte imminente au secret des affaires. Elle est par suite fondée à demander au juge des référés des mesures visant à prévenir une telle atteinte. »

Bref, il y a proximité entre l’AMO et un des soumissionnaires et donc risque pour le marché, ce qui n’est pas toujours source d’une illégalité d’ailleurs (voir par exemple CE, 12 septembre 2018, SIOM de la Vallée Chevreuse, req. n°420454 ; voir ici)… même si souvent il peut en résulter des sanctions pénales et une impossibilité de soumissionner à de futurs marchés publics (pour un cas intéressant voir CE, 12 octobre 2020, n° 419146 ; voir ici).

Mais comment passe-t-on de cette proximité à une question de secret des affaires ? Et bien tout simplement par crainte que l’AMO ne divulgue des éléments d’information d’un candidat à l’autre.

Citons le TA :

« 8. Eu égard au risque d’atteinte au secret des affaires que présente la collaboration de M. A… comme assistant à la maîtrise d’ouvrage pour l’analyse des offres […] il y a lieu de suspendre l’analyse des candidatures et des offres […] sur l’ensemble des lots auxquels elle a candidaté, c’est-à-dire les lots nos 1, 2, 3, 4, 7, 8 et 9, jusqu’à la notification de l’ordonnance à intervenir dans le cadre du référé précontractuel no 2002618 […] et d’enjoindre [à l’EPS co-défendeur] jusqu’à la même échéance, d’interdire l’accès, par tout moyen, à M. A… ou à toute personne travaillant au sein [de l’AMO], à l’ensemble des documents déposés par [la société requérante] sur les lots nos 1, 2, 3, 4, 7, 8 et 9 ».

Source : TA de Nancy, ord., 26 oct. 2020, n° 2002619 (voir ici).

 

 

D. Trois conséquences d’une telle décision : 1/ ce régime est très efficace notamment en amont de l’examen des offres ; 2/ le référé secret des affaires même victorieux n’est pas obligatoirement synonyme de « plantage » total de la procédure ; 3/ ce dossier en particulier souligne l’importance du choix de l’AMO et de son contrôle.

 

1/

La première leçon de cette aventure est naturellement l’efficacité de ce référé, notamment à ce stade du marché (celui précédant de peu l’analyse des offres) et le fait que le juge dans son analyse et ses décisions s’est totalement emparé de ce nouvel outil.

2/

Et puisque le référé secret des affaires a été efficace, et que l’AMO n’a pas eu accès aux offres de la société requérante, le TA de Nancy a rejeté le référé précontractuel de ladite société requérante qui a, donc, été victorieuse en référé secret des affaires et perdante en référé précontractuel… ce qui n’est pas un échec si réellement ensuite l’établissement public de santé reprend l’analyse des offres en toute neutralité (TA Nancy, ord., 4 nov. 2020, n° 2002618. Lire en ligne : https://www.doctrine.fr/d/TA/Nancy/2020/U58E9D0860640DC873D19).

Cela nous donne une autre leçon : le référé secret des affaires même victorieux n’est donc pas obligatoirement synonyme de « plantage » total de la procédure. C’est, pour l’acheteur public, fort rassurant.

3/

En revanche, cela peut justifier la mise à l’écart de l’AMO qui manque de distance… ce qui ne manquera pas de soulever d’autres difficultés techniques (le remplacer ; parfois obtenir le maintien de la validité des offres dans un tel contexte tendu… débats sur l’indemnisation de l’AMO).

Surtout,  une telle jurisprudence se développe, à avoir des AMO qui se détachent plus des soumissionnaires et qui, du coup, entre autres mesures de prudence, ne travaillent plus que d’un seul côté… Mais là nous évoquons un monde qui atteindrait une perfection qu’il est possible de rêver, mais — dans certains secteurs du moins — rarement de voir les yeux ouverts…

Mais cela nous conduit à une difficulté. Si l’on veut caricaturer on pourrait même dire que l’alternative qui en résulte n’est pas réjouissante : soit l’AMO connaît son secteur et il lui sera difficile d’être neutre… soit il ne le connaît pas et il sera neutre mais peut-être, parfois, incompétent.

Ceci dit, des AMO qui ne travaillent que côté public, cela existe. Des AMO éthiques, cela existe. D’où l’importance, plus que jamais, de bien choisir ses AMO, ce qui n’est pas aisé. Et d’en contrôler le travail, ce qui n’est pas beaucoup plus commode.

L’éthique peut être présumée. Mais l’éthique, c’est comme les étiquettes : mieux vaut vérifier que ce qui est affiché sur le contenant se retrouve dans le contenu.

 

 

XII. Les architectes à nouveau condamnés à démolir leur édifice anti-concurrentiel

 

L’Ordre des architectes avait bâti une grille tarifaire obligatoire (et quelques autres mécanismes du même tonneau), un système de nature à altérer la concurrence dans les marchés de maîtrise d’oeuvre.

L’Autorité de la concurrence y avait mis bon ordre (nous en avions parlé ici)…

L’Ordre des architectes s’est pourvu contre la sanction qui lui avait été infligée et contre cette décision : mais la CA de Paris a confirmé l’analyse et la sanction (à un détail près sans importance) à l’encontre de l’Ordre des architectes.

La Cour a ainsi rappelé que les marchés de maîtrise d’oeuvre public n’ont pas à donner à une entente organisée au détriment des maîtres d’ouvrage public, fût-ce sous couvert de règles ordinales ! 

 

Ces pratiques anticoncurrentielles avaient consisté à mettre en place, diffuser et faire respecter un barème d’honoraires applicables aux architectes intervenant dans les marchés de maîtrise d’œuvre publics, dans un secteur où la fixation des honoraires est libre. La diffusion de ce barème s’est accompagnée d’une « police des prix », de mesures de rétorsion à l’endroit des architectes ne respectant pas ces consignes tarifaires, et d’interventions auprès des maîtres d’ouvrages publics afin de les dissuader de passer des marchés avec des architectes proposant des taux d’honoraires considérés « trop faibles ». L’Ordre a, par ailleurs, diffusé par l’intermédiaire de son conseil national un modèle-type de saisine des chambres régionales de discipline à l’attention des conseils régionaux, en cas de non-respect par un architecte ou une société d’architecture du barème illicite ainsi mis en place.

L’autorité de la concurrence a sanctionné cet Ordre et lui a imposé de démolir cet édifice anti-concurrentiel. Cet Ordre n’avait pas à semer le désordre dans la concurrence.

L’Ordre des architectes a attaqué cette décision de l’Autorité de la concurrence devant la CA de Paris et… il a perdu, sèchement.

Voici cette décision n° 19-D-19 du 30 septembre 2019 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des prestations d’architecte de l’autorité de la concurrence, très détaillée et très lisible, comme toujours :

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Puis voir CA Paris, 15 octobre 2020, n° 19/18632 – N° Portalis 35L7-V-B7D-CAX6Z :

CA Paris, 15 octobre 2020, n° 19/18632 ; archis bâtisseurs d’ententes

 

 

XIII. Grands ports maritimes : les modes de gestion des terminaux, arrimés au JO de ce matin

 

Grands ports maritimes : sauf régies ou filiales, les terminaux pourront donner lieu à soit des conventions de terminal, soit des contrats de concession, dans des conditions (un peu) précisées au JO de ce matin. 

L’article L. 5312-14-1 du code des transports introduit par l’article 131 de la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 (LOM)  fixe un nouveau cadre juridique applicable à l’exploitation des terminaux portuaires.

L’article L. 5312-4 de ce code prévoit des cas de gestion en régie ou via des filiales, sous certaines conditions.

A défaut, les terminaux du grand port maritime (i.e. « tout ou partie des outillages et des aménagements nécessaires à l’ensemble des opérations de débarquement, d’embarquement, de manutention et de stockage liées aux navires »), peuvent être exploités :

 

Ce régime est donc, au JO de ce matin, fixé par le court décret n° 2020-1559 du 9 décembre 2020 relatif à l’exploitation des terminaux des grands ports maritimes (NOR : TRAT2016235D) que voici :

 

XIV. Une commune doit une somme (dans le cadre d’un BEA en l’espèce). Cette créance est cédée à autrui. La cession de créance peut-elle être acceptée par avance ?

 

Une commune devait des sous à une société au titre d’un bail emphytéotique administratif relatif à la construction d’une caserne de gendarmerie.

Cette créance est cédée à un établissement financier.

Quelques années après, la commune décide par délibération de cesser de payer.

Se pose alors la question de la validité de la cession de créance.

Saisi de ce dossier après des années de procédure, le Conseil d’Etat a décidé hier de poser qu’eu égard à ses conséquences pour le débiteur cédé, l’acceptation d’une cession de créance effectuée dans les conditions prévues par l’article L. 313-23 du code monétaire et financier (CMF) ne peut intervenir avant que cette cession ait pris effet et doit résulter d’un acte postérieur à la date apposée par le cessionnaire sur le bordereau après qu’il lui a été remis.

Voir aussi : CE, 25 juin 2003, Caisse centrale de crédit mutuel du Nord de la France, n° 240679, rec. p. 285. A comparer avec la solution retenue en droit privé : Cass. Com., 3 novembre 2015, Société Dumez Méditerranée, n° 14-14.373, Bull. 2015, IV, n° 151.

En l’espèce l’acte d’acceptation dont la banque se prévaut a été signé dès le 28 août 2007, alors que la date apposée sur le bordereau de la cession de créance litigieuse est le 7 février 2008.

Par suite, cette acceptation est irrégulière, puisque préalable à la cession.

Mais cela ne suffit pas à annuler la créance de la commune, naturellement, en l’espèce.

Source : CE, 11 décembre 2020, n° 436388, à publier aux tables du recueil Lebon :

http://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CE/decision/2020-12-11/436388

 

 

XV. Survol des modes de gestion à destination des nouveaux élus [VIDEO]

 

Régie, marchés publics, gérance, régie intéressée, concession, affermage, marché de partenariat et autres contrats globaux, SPL… il est difficile, pour le nouvel élu, de se perdre entre les divers modes de gestion.

En voici un rapide survol, en 6 mn 56, présenté par Me Evangelia Karamitrou et par Me Eric Landot :

 

 

https://youtu.be/aBLTlpJYV9Y